Festival de Cannes / Accident de parcours
La Palme d’or pour „Titane“ de Julia Ducournau laisse pantois – un collègue a même parlé à juste titre d’erreur titanesque, ce à quoi je souscris entièrement. Voilà un film en forme de véritable provocation, qui se regarde sans aucun plaisir, qui veut semer le malaise mais ne parvient qu’à choquer sans subtilité aucune. Certes, on peut vouloir couronner un cinéma qui choque – si tant est qu’il y a, au-delà de la pure provocation, une esthétique, une transcendance, une actualité. Or, on l’a écrit il y a quelques jours, „Titane“ va à la fois trop loin dans son imaginaire et pas assez loin dans son contenu. Le film – l’histoire d’une jeune femme qui baise avec des voitures, tue des gens et tombe enceinte à force de rapports non protégés avec des bagnoles – dresse le portrait d’un malaise sociétal mais ne fait qu’effleurer des sujets comme l’identité transgenre ou la toxicité masculine, sujets qu’il laisse en jachère pour se complaire dans sa propre laideur.
Alors que „Parasite“ était, il y a deux ans, un choix justifié, qui pouvait faire consensus à la fois du côté critique et public, couronner „Titane“ se veut un choix politique au détriment de toute considération artistique. Pour preuve, même la presse française, qui a tendance à encenser les productions locales (les films français en sélection étaient en surnombre, cette année), n’a pas vraiment adoré „Titane“ et il est à gager que le film sera vite oublié. S’il est symboliquement juste et important de couronner le film d’une femme dans une compétition où il n’y avait presque que des films réalisés par des hommes (c’est la deuxième Palme d’or pour une réalisatrice dans toute l’histoire du festival), la qualité artistique, elle, souffre de cette palme. Qui plus est: donner une Palme d’or à un film médiocre parce que c’est une femme qui l’a réalisé n’est pas à proprement parler un geste féministe – chercher à avoir une parité du côté des films en sélection, par contre, le serait.
Pourtant, il y en avait, des films à couronner, dans cette compétition, qu’on retrouve d’ailleurs dans la suite du palmarès, qui se lit comme une sorte d’excuse, de justification de la Palme d’or, puisqu’on y voit, abstraction faite de „Petrov’s Flu“, à peu près tous nos coups de cœur: y figurent donc „Drive My Car“ de Ryusuke Hamaguchi (prix du Scénario), „The Worst Person in the World“ (prix de l’interprétation féminine pour Renate Reinsve), „Annette“ (prix de la mise en scène pour Leos Carax) ou encore „Un héros“ d’Asghar Farhadi et „Compartiment n°6“ de Juho Juosmanen (Grand Prix ex-æquo) ou encore „Le genou d’Ahed“ de Nadav Lapid (prix du Jury, ex-aequo avec „Memoria“ d’Apichatpong Weerasethakul). Mais si l’on y retrouve donc plusieurs des films importants du festival, l’attribution de tel prix à tel film paraît parfois un peu aléatoire. Pourquoi attribuer le prix du scénario à Hamaguchi, alors que son „Drive My Car“ était d’une maîtrise totale et qu’il aurait fallu primer le film entier? Pourquoi le scénario plutôt que la mise en scène, le jeu des acteurs? Le Grand Prix, partagé entre „Compartiment 6“ et „Un héros“ tout comme le prix du jury, attribué ex-æquo au radical „Le genou d’Ahed“ de Nadav Lapid et au très contemplatif (et un brin longuet) „Memoria“ d’Apichatpong Weerasethakul montrent un palmarès un peu fourre-tout, où manquent aussi, abstraction faite du long-métrage de Nadav Lapid, des films un peu plus engagés, plus politiques.
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