Concert / Année sanguine: Russian Circles et Helms Alee à la Kulturfabrik
Pour cette tournée attendue pendant deux ans, le trio postmétal mythique présente „Blood Year“, son septième album. Si cet opus au titre malheureusement prophétique n’est pas leur meilleur, ça ne change absolument rien à la qualité éblouissante de leur prestation sur scène.
La dernière fois que Helms Alee et Russian Circles jouèrent à la Kulturfabrik, ce fut pour l’édition 2015 du festival Out of the Crowd. Les groupes ayant alors tourné ensemble, les organisateurs du festival disséminèrent les deux trios américains sur la durée du festival, Helms Alee ouvrant alors plus ou moins le bal tandis que Russian Circles finirent le festival en toute beauté (métallique). Il me reste des souvenirs d’un pote parti depuis vivre à Montréal, qui joua, dans la cour de la Kufa, une sorte de football américain complètement improvisé (et éméché) avec Ben Verellen, le guitariste de Helms Alee.
De retour à la Kulturfabrik en première partie du trio américain mythique, Helms Alee ont encore peaufiné leur mélange entre stoner, post-hardcore et sludge, leur compositions ayant gagné en clarté, en harmonie aussi peut-être, les trois membres se relayant au chant pour une variété vocale très plaisante. Outre le guitariste Ben Verellen, le trio se compose de deux femmes, chose assez rare dans le genre pour être soulignée, la bassiste Dana James et la batteuse Hozoji Matheson-Margullis s’en donnant à cœur joie, le groupe compensant largement la réduction de leurs influences sludge par des compositions plus progressives, plus complexes et aérées pour un set qui valait largement la peine qu’on arrive à temps à la Kufa, et qu’on abandonne la cour ensoleillée pour s’immerger dans les sonorités assez peu estivales des deux groupes.
Pendant le bref répit – pause clope pour les uns, pause bière pour les autres, pause bière-clope pour d’autres encore –, l’on eut le temps de se rappeler à quel point on l’avait attendu ce concert, censé faire partie d’une tournée commencée au fatidique printemps 2020, tournée maintes fois repoussée, au grand détriment de tous ceux qui savent à quel point Russian Circles, si c’est un très bon groupe sur album, est une véritable tuerie sur scène – affirmation que le groupe vient confirmer dès les premiers accords de la première chanson du set, puisqu’ils commencent avec „Arluck“, titre phare du nouvel album, qui reprend un peu le côté Tool des riffs de guitare qu’on avait tant apprécié sur leurs deux premiers albums tout en y ajoutant la basse incroyablement saturée de Brian Cook, absent encore sur les disques „Enter“ et „Station“.
Comme à son accoutumée, le batteur Dave Turncrantz est l’ossature du groupe, son cœur palpitant, sa force motrice, qui parvient à combiner le côté incroyablement groovy et technique d’un jazzman avec la force brute du métal, Turncrantz donnant l’impression de vouloir détruire sa batterie – mais avec élégance. C’est simple, à chaque fois qu’on le voit sur scène, on se demande comment il fait pour tenir le coup pendant tout le show tant sa prestation paraît sportive et énergique. A côté, Brian Cook joue avec grâce des riffs de basse les plus saturés qui soient, alors que Mike Sullivan enchaîne et superpose des riffs de guitare qui oscillent entre postrock éthérique et métal à la limite du trash.
Pour son set à la Kulturfabrik, l’un des plus longs qu’on ait entendus du groupe – quelque 90 minutes –, le trio se contente de trois extraits du nouvel album (en même temps, quand on connaît la longueur et le côté alambiqué de leurs compositions, l’on sait que cela fait un tiers du concert), „Arluck“ étant rejoint par le plus métalleux „Quartered“, placé au milieu du set, et le plus progressif „Sinaia“, qu’on aura le plaisir d’entendre vers la fin du concert. Ces (plus si) nouveaux titres sont disséminés au beau milieu de classiques du groupe – ainsi „Arluck“ fut-il suivi par le très atmosphérique „Afrika“ et „Harper Lewis“, du deuxième album „Station“, un incontournable au même titre que l’énorme „Youngblood“, qui conclut le concert. Si les nouveaux titres ne pâlissent pas en comparaison, grâce surtout à la qualité de la performance des trois musiciens, inégalable, l’on peut regretter que la présence d’un „Quartered“ ait écarté quelque peu des albums comme „Geneva“ (dont pas un titre ne fut joué), „Empros“ (dont on n’entendit que l’excellent „309“) ou „Memorial“ (dont on put apprécier le très sombre „Deficit“).
Néanmoins, malgré le fait que certains titres récents aient sacrifié le côté plus progressif des compositions et la mémorabilité des riffs à des influences métal (trash ou black) plus conventionnelles, la recette opère sans failles et à chaque fois: il y a d’abord ces passages ambient rêveurs entre les chansons, il y a ensuite le fait que le groupe n’ait jamais proféré ne serait-ce qu’une seule parole sur scène (pas d’encouragements lambdas sans profondeur), il y a encore le fait qu’il n’ait jamais donné d’encore, qu’il laisse donc la musique parler pour elle, il y a que leurs concerts soient aussi de petits bijoux de scénographie, de dramaturgie, mais aussi et surtout, il y a cette impression (ou plutôt: la certitude) que ces trois musiciens donnent, à chaque concert, de leur meilleur – et que cela est tout simplement bluffant.
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