Rentrée musiscale / Bain de soleil
Sur son cinquième album, Deafheaven rompt (presque) avec le black metal – et nous propose un magnifique et lumineux album de shoegaze qui garde intacte toute l’intensité dont il a toujours été capable.
Deafheaven a toujours décontenancé au sein d’un milieu – celui du black metal – auquel il n’appartenait pas vraiment – avec „Sunbather“ (2013), son deuxième album, la pochette, rose, annonçait clairement que George Clarke et son groupe refusaient de se soumettre à un genre fortement codifié et un peu réactionnaire, genre où, pour être pris au sérieux, il valait mieux des pochettes aux tons sombres, où figure un nom de groupe tracé dans une graphie aussi illisible que sont inaudibles les paroles braillées par le chanteur.
Brisant quelque peu avec ces clichés, Deafheaven déployait, sur ce même „Sunbather“, de longues chansons où le black metal fréquentait le post rock et le shoegaze pour une musique hybride qui fascinait autant qu’elle intriguait – par la suite, le groupe figurera parmi les têtes d’affiche d’un festival comme l’ArcTangent, plus connu pour sa programmation post rock, math rock et noise que pour les différentes déclinaisons du metal.
Sur les deux albums consécutifs – „New Bermuda“ (2015) et „Ordinary Corrupt Human Love“ (2018) –, le groupe de San Francisco entérine sa réputation de vouloir faire bande à part – sur „Ordinary Corrupt Human Love“, la palette stylistique du groupe s’enrichit encore, avec la présence renforcée de claviers et de chants mélodieux.
Avec „Infinite Granite“, paru en ce peu lumineux mois d’août, Deafheaven perdra définitivement sa crédibilité dans le milieu du black metal qui lui a toujours reproché d’être un groupe pour hipsters alors que les hipsters de Pitchfork, qui avaient toujours été de véhéments défenseurs du groupe (on trouve habituellement très peu de recensions black metal sur leur site) ont déjà décidé qu’avec ce cinquième album, le groupe abandonnait non seulement le genre du black metal, mais aussi ce qui faisait son unicité, sa force de frappe.
On n’est pas obligé d’être d’accord avec les journalistes de Pitchfork – et force est de constater, après l’avoir écouté de nombreuses fois, qu’avec „Infinite Granite“, Deafheaven n’abandonne en rien son unicité mais poursuit au contraire, avec une détermination qui force le respect, son exploration d’un univers sonore qui lui est propre.
En finir avec le metal?
Car loin de trahir le black metal, on en trouve, sur „Infinite Granite“, à la fois l’énergie – il n’y a qu’à entendre la percussion de Daniel Tracy, à la fois précise et vigoureuse – et la force, la verve cathartique – trois chansons, „Great Mass of Color“ (le premier titre à avoir été publié), „Villain“ et „Mombasa“, qui clôt l’album, se terminent sur une apothéose, un déchaînement impressionnant, comme si le groupe s’était retenu au long des passages shoegaze qui précédaient, raison pour laquelle ces trois courts passages finaux convainquent bien plus que si le groupe s’était contenté de laisser son chanteur George Clarke brailler tout au long des huit chansons (plus un court intermède) qui constituent le disque.
Écrit lors du confinement pendant des nuits d’insomnie, „Infinite Granite“ est essentiellement un album de shoegaze – mais qui transcende le genre en y ajoutant donc les particularités qui constituent le groupe et qui font que, de l’ouverture rêveuse de „Shellstar“ au final furieux de „Mombasa“, où le groupe commence par être au plus méditatif pour finir sur trois minutes intenses et violentes, l’album est à la fois très homogène – ce que certains critiques confondront avec de la monotonie – et très diversifié.
Ainsi, le travail sur les guitares est époustouflant – il n’y a qu’à écouter la façon dont le chant et les guitares s’enchevêtrent au beau milieu de „Villain“ avant le déchaînement final ou encore les accords éthériques dont est tressé „Shellstar“, il n’y a qu’à ressentir la dynamique entre notes et accords égrenées avec parcimonie et les riffs furieux. La basse est bien plus proéminente que sur les albums précédents et le chant de Clarke, même s’il paraîtra un peu monotone à d’aucuns, parvient à porter les chansons avec prouesse (notamment sur les trois titres sur lesquels il oscille donc entre voix lisse et déferlement guttural).
Alors oui, „Infinite Granite“ est avant tout un album de shoegaze mâtiné de dream pop – au-delà des évidentes références à Ride et Slowdive, l’on pense parfois à Beach House, voire à Mew (sur la très belle „Other Language“) – qui ne manquera pas de décevoir ceux qui voulaient que Deafheaven produise un énième „Sunbather“ ou qu’il embrasse à nouveau les plus riffs plus métalleux de „New Bermuda“. Mais c’est avant tout un album lumineux, courageux, qui montre un groupe qui poursuit son bonhomme de chemin sans se préoccuper des attentes qu’on formule à son égard. A défaut donc d’avoir écrit l’album black metal de l’année, Deafheaven vient de sortir le meilleur album shoegaze de cette deuxième année pandémique.
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