Rentrée musicale / Beauté du désastre: Avec „Hey What“, Low sort un nouveau chef-d’œuvre expérimental
Trois ans après le sublime et apocalyptique „Double Negative“, Low revient à la charge avec „Hey What“, un nouveau chef-d’œuvre émouvant qui va plus loin encore dans la dissonance, la déconstruction et la beauté.
Ils sont rares, les groupes qui se réinventent de fond en comble au bout d’une carrière de trente ans. Les Allemands de The Notwist y sont parvenus, en début d’année, en ouvrant leur son aux influences et collaborations de groupes et musiciens amis sur un „Vertigo Days“ vertigineusement génial.
Low, originaire du Minnesota, opère de façon diamétralement inverse, puisque, plutôt que d’incorporer des influences étrangères, le groupe offre un son de plus en plus cloisonné, minimaliste, réduisant son slowcore – le genre qu’il a inventé au début des années 90 – à des compositions où, entre white noise, ellipses et silences, l’entrelacement des voix d’Alan Sparhawk et de Mimi Parker devient plus que jamais un repère, une bouée à laquelle s’accrocher au milieu de la désolation.
Il continue en cela le travail entamé sur „Double Negative“ (2018), dont la noirceur et la beauté radicale lui avaient valu, il y a trois ans, d’être sacré album de l’année du Tageblatt. Ce virage plus avant-gardiste, plus bruyant, plus osé aussi, le groupe produisant une musique toujours un peu plus cassée, qui témoigne d’un monde qui ne saura plus être réparé, Low avait commencé de l’entamer sur l’excellent „Ones and Sixes“ (2015), premier album où les synthés, l’électro et la déconstruction émergeaient lentement après „The Invisible Way“ (2013), disque sur lequel on sentait le groupe répéter une formule qu’il maîtrisait par trop.
„Ones and Sixes“ était leur premier album à être produit par BJ Burton, qui a également assumé la fonction de producteur sur „Hey What“ et qui est en passe de devenir une sorte de membre à part du groupe, un peu à la façon dont l’est devenu Nigel Godrich pour Radiohead, tant on sent que le travail de Burton est coresponsable des expérimentations qui caractérisaient „Double Negative“ et dont „Hey What“ constitue, pour l’instant, l’apogée.
Apocalypse et minimalisme
Sur „Hey What“, le groupe, qui se réduit désormais, après le départ du bassiste et préposé aux synthés Steve Garrington, à Mimi Parker (chant, batterie) et Alan Sparhawk (chant, guitares), continue à défigurer les différents instruments au point où il n’y a presque plus, sur tout l’album, de guitare qui sonne comme une guitare et que les percussions si caractéristiques de Mimi Parker ont laissé place à quelque chose de plus planant, à des plages ambient dont la beauté stupéfiante est souvent dérangée par des drones, des interférences, des samples de voix déformées qui reprennent ou annoncent des mélodies.
Mais là où l’instrumentation reprend les motifs apocalyptiques du prédécesseur en en radicalisant encore une fois l’étrangeté, les voix des deux chanteurs ont regagné en assurance et se retrouvent sur le devant de la scène: alors que, sur „Double Negative“, les voix de Parker et de Sparhawk étaient souvent un peu hésitantes, qui émergeaient d’un fond sonore bruitiste, saturé, quand elles n’étaient pas carrément déformées par maints effets, „Hey What“ accentue plus encore la dichotomie entre la beauté du chant polyphonique de ce couple mythique qui, après la rupture de Kim Gordon et Thurston Moore, est peut-être le dernier grand amour qui reste au rock indé, et la désolation sonore qui l’accompagne.
„Days Like These“, premier morceau à être publié, le montrait, qui commence avec un saisissant a capella et une mélodie entraînante, mélodie qui se fait ensuite accompagner par une guitare sauvagement saturée au point de vous faire douter du bon fonctionnement de vos enceintes pour laisser place à un magnifique segment ambient au cours duquel l’on pensera aux expérimentations électro d’un Kurt Wagner (de Lambchop), la voix de Mimi Parker ne cessant de répéter „again“ avant de s’estomper en douceur.
Aux antipodes de „Days Like These“, „More“, le troisième single, est court, affirmatif et efficace – sur fond de guitares toujours aussi granuleuses et bruyantes, Mimi Parker chante: „I want all of what I didn’t have“. Il s’agit d’un de ces titres Low hyper-courts et à la mélodie entêtante qu’il leur arrive de jeter en pâture comme pour montrer qu’il sait en pondre aussi, des titres plus accessibles, plus immédiats, plus rentre-dedans. Mais là où le groupe laissait, à l’époque de „Drums and Guns“ (2007), affleurer la pop sur un morceau comme „Hatchet“, „More“ est à la fois pop et bruyant, simple et complexe, les voix se superposant à la fin pour un summum d’harmonie et de beauté.
D’une traite
Si le choix des titres publiés avant la parution de l’album paraît un tantinet étrange (à titre personnel, je trouve que „Disappearing“, deuxième single, est le morceau qui fonctionne le moins bien sorti du contexte de l’album), c’est que „Hey What“ s’écoute plus que jamais comme une seule et longue plage – les différents titres sont reliés par des intermèdes instrumentaux qui permettent de lentement changer d’ambiance tout en créant une continuité entre les dix pistes de l’album.
Ainsi, „White Horses“, sublime morceau d’ouverture, où le duo nous gratifie d’une de ces mélodies dont il a le secret sur fond d’un staccato de guitare de plus en plus saturé, finit sur une sorte de bruit de métronome enrayé, un bégaiement sonore qui se répète en boucle et qui constitue le squelette musical de „I Can Wait“, où l’on s’aperçoit qu’un des fils conducteurs de l’album réside dans son caractère lancinant, immersif et envoûtant, les chansons n’ayant de cesse de muter subtilement, évoluant en arrière-fond, modulant les différentes couches de bruit alors que l’auditeur se raccroche aux couplets chantés par Parker et Sparhawk.
Sur „All Night“ et „Don’t Walk Away“, deux ballades absolument magnifiques, le travail sur les voix est impressionnant, la voix de Mimi Parker, plus centrale que jamais, étant amoureusement portée par celle de Sparhawk, les deux traversant ensemble les murs de son et les dissonances qui reflètent un monde qui court à sa perte à une vitesse de plus en plus hallucinante pour résonner, quand le calme s’installe, avec une force émotionnelle absolument renversante.
Autre phénomène de structuration en miroir, chaque moitié d’album se termine par deux titres assez longs: le presque éponyme et lumineux „Hey“, qui s’achève sur quatre minutes d’ambient rappelant plus que jamais la sensibilité des travaux électroniques de Sufjan Stevens et „The Price You Pay (It Must Be Wearing Off)“, une chanson d’une énorme beauté dont la structuration un tantinet plus conventionnelle (il y a des guitares, de la batterie et une dissolution progressive dans le bruit) clôt un album à nouveau presque parfait.
Si on avait pu découvrir les premiers titres de „Double Negative“ en live avant la sortie de l’album – et le choc avait été de taille, puisque dans leurs premières apparitions sur scène, nombre de titres se montraient plus classiques que sur l’album qui suivait –, la pandémie aura fait qu’il nous faudra attendre la tournée au printemps de l’année prochaine pour voir comment quelques-unes de ces dix nouvelles merveilles s’intégreront dans une setlist qu’on a d’ores et déjà hâte de découvrir.
Hey What – 10/10
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