France / Bourrage d’urnes, gestes hostiles: une pénible ouverture au Palais Bourbon
L’Assemblée nationale française vient de tenir une première semaine de session qui aura laissé un goût amer à tous ceux qui croient encore à la légitimité parlementaire, et à la vertu du dialogue républicain.
Car de bourrage d’urnes en coups bas, de gestes déplacés en alliances contre nature, les députés n’auront pas donné à leurs électeurs, pourtant plus nombreux que depuis bien longtemps, une image bien valorisante du Palais Bourbon. Tout aura commencé avec ce vote pour l’élection du (ou en l’occurrence de la) président(e) de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, qui détenait déjà, sous l’étiquette macroniste, cette fonction dans l’Assemblée précédente. Le bureau provisoire en ayant été confié, comme le prévoit la loi, au doyen d’âge pour sa présidence, et aux six plus jeunes élus pour l’organisation concrète du scrutin, le préposé au recueil des bulletins se trouvait être, comme trois autres de ses collègues, un membre du RN, âgé de 22 ans.
Du coup, nombre de députés mélenchonistes ont refusé, contrairement à tous leurs autres collègues, y compris de gauche, de lui serrer la main, contrairement à la coutume, après avoir mis leur bulletin dans l’urne. Considérant, comme l’ont expliqué plusieurs d’entre eux, que les députés lepénistes n’appartiennent pas à la République. Ce qui pouvait laisser penser qu’à leurs yeux, les quelques onze millions d’électeurs de ces derniers n’appartiennent pas non plus au corps électoral français, dont ils constituent pourtant, même si l’on peut le déplorer, la plus nombreuse composante.
Après la réélection de Mme Braun-Pivet (voir Tageblatt du 19 juillet), avec l’appui des Républicains, allait venir, pour le coup, un vrai scandale: une tentative de fraude, si grossière qu’elle laisse rêveur sur ses auteurs et son intention véritable. Lors du premier tour de l’élection des six vice-présidents de l’Assemblée, dix enveloppes de trop ont été glissées dans l’urne. Techniquement, il paraît très difficile que cette opération ait pu être réalisée par un seul député: on était donc en présence d’un mini-complot. Mais en faveur de qui, ou de quoi?
Il était évident que ce bourrage d’urnes ne pouvait passer inaperçu. Il s’agissait donc plutôt de jeter le discrédit sur le scrutin, ou plus vraisemblablement sur l’Assemblée proprement dite. Une Assemblée que La France Insoumise s’emploie à ridiculiser depuis deux ans: ce que l’on a appelé en termes peu châtiés la „bordélisation“ du Palais-Bourbon. Mais de là à accuser sans preuve LFI d’être à l’origine de cette manœuvre, il y avait une marge… C’est en tout cas à un député socialiste, Jérôme Guedj, plusieurs fois cible d’attaques antisémites de certains mélenchonistes, qu’est revenu l’honneur de crier: „Honte à ceux qui ont commis cette fraude!“
Ruffin: „Ils ne veulent pas gouverner“
Ni dans ce renouvellement des vice-présidents ni dans celui des secrétaires qui allait suivre dans la nuit, le Rassemblement national n’a pu obtenir le moindre siège, au nom d’un „cordon sanitaire“ établi par LFI contre le parti lepéniste et adopté par une partie de la gauche et de la droite républicaines. Il est vrai que les secrétaires de l’Assemblée, dont la tâche excède de beaucoup celle d’un simple secrétariat, au sens que ce mot peut avoir dans les entreprises, ont été désignés entre trois et quatre heures du matin. Autrement dit à un moment de la session où la plupart des élus du centre étaient, contre toute attente, allés se coucher.
On a peine à croire qu’à peine investis de leurs responsabilités parlementaires, ces deniers aient pu faire passer leur lassitude – certes compréhensible – avait leur présence dans l’hémicycle – évidemment indispensable. Le résultat en est que le Nouveau Front populaire, grâce à l’appoint des voix RN (ce qui devrait l’amener à s’interroger), est désormais majoritaire au sein du bureau de l’Assemblée, alors qu’il est loin de l’être en sièges. Et qu’il n’a pas manqué d’en tirer aussitôt argument pour exiger à nouveau du chef de l’Etat qu’il nomme l’un des siens à Matignon. Tout en restant toujours incapable de lui proposer un nom, ce qui a fait dire hier à un éminent élu de gauche, François Ruffin, dissident de LFI: „On n’est pas capables de donner un nom pour Matignon. Je me dis même maintenant qu’ils ne veulent pas gouverner.“
Reste la question du RN. C’est de très loin, quoi qu’on en pense, le premier parti de France. Il détient le plus grand groupe parlementaire, après avoir recueilli le plus grand nombre de voix. Cela ne prouve aucunement la justesse de ses arguments. Mais était-ce une bonne idée de l’exclure complètement des organes directeurs de la nouvelle Assemblée, en l’accusant de „magouilles“ (comme on nomme traditionnellement les négociations des autres)? Réponse désolée d’un vieil élu socialiste, familier des arcanes de la République: „Cet ostracisme, hélas, vient de faire encore gagner un million de voix à Marine Le Pen pour 2027. Faudra-t-il ne pas le voir jusqu’à la catastrophe finale?“
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