Panorama social / Croissance inégalitaire
Dans la foulée des éditions précédentes, le „Panorama social“ de la Chambre des salariés fit état des difficultés du Luxembourg à réduire l’exposition à la pauvreté et d’assurer le bien-être d’une partie de ses salariés. Le logement pèse bien évidemment lourd dans ce constat. Mais la redistribution des richesses et la politique fiscale également.
C’est la non tenue d’une promesse tacite, celle qui voudrait que le progrès profite à tous dans de semblables proportions, qu’année après année la Chambre des salariés documente avec son Panorama social. Richesse et partage ne vont pas nécessairement de pair. „Si le Grand-Duché est l’un des pays les plus développés au monde, force est de constater que sa richesse se trouve toujours et encore (plus) inégalement répartie au sein de la population et que le taux de risque de pauvreté a nettement progressé au fil des années“, constate la présidente de la Chambre des salariés en introduction à l’édition 2022 de ce vaste tour d’horizon socio-économique. Comme il existe des dérives identitaires, Nora Back parle de „dérives inégalitaires“, souvent omises dans le débat politique et que le pays n’arrive pas à juguler au risque „à terme de nuire à la cohésion sociale“.
Ces dérives ont une source: le partage inégal de la richesse produite qui pose un problème que les inégalités de salaire, de revenus ou de patrimoine, dûment documentés dans le Panorama social, prolongent. C’est le fruit de la politique de modération salariale fréquemment employée en Europe lors des 30 dernières années. Avec une part salariale de 58% dans la valeur ajoutée brute, le Luxembourg a en 2020 le troisième moins bon résultat. Hors secteur financier, le résultat est meilleur (63,6%) mais encore en retard sur ceux des pays voisins.
Il existe plusieurs indicateurs pour attester de la forte tendance à la hausse des inégalités depuis la fin des années 1990. Il y a l’augmentation ininterrompue du ratio entre les 20% des salaires les plus élevés et les 80% autres, au titre duquel est remonté, en 2020, le Luxembourg d’une piteuse 19e place à une insuffisante onzième place. On la constate aussi à travers l’augmentation remarquable du coefficient de Gini luxembourgeois qui a rejoint en 2013 le niveau d’inégalités mesuré pour l’UE, puis a connu „une hausse considérable à partir de 2016, dépassant désormais nettement le niveau d’inégalités constaté dans la zone euro“. On peut aussi retenir le rapport entre les 5% de salaires les plus élevés et les 20% les plus faibles et constater qu’il progresse de façon continue depuis 20 ans.
Si le salaire social minimum est avec le temps devenu moins éloigné du salaire moyen, le rapport avec la moyenne des 5% les mieux rémunérés est en hausse constante depuis 2014. Perçu par 14,6% des salariés, il ne met pas nécessairement à l’abri de la précarité. Une personne seule au salaire social minimum non qualifié se situe en revenu net (1.905 euros) douze euros au-dessus du seuil de pauvreté. „Un pays comme le Luxembourg peut-il se satisfaire d’un salaire qui fournisse tout juste une protection contre la pauvreté à ses citoyens?“, demande la CSL qui a souvent par le passé demandé une hausse du salaire minimum de 10%.
Dans l’évolution du taux de personnes exposées au risque de pauvreté, le Grand-Duché compte aussi parmi les mauvais élèves européens. Il est le pays de la zone euro dans lequel, depuis 2005, ce taux a le plus augmenté, avec +1,6% par an en moyenne, contre +0,7% par an pour la zone euro. Il n’a baissé durant cette période que pour les couples avec deux enfants, mais il a augmenté pour les couples avec au moins trois enfants à charge (+19%) et les ménages monoparentaux (+6,6%). Dans cette dernière catégorie, la situation s’améliore depuis 2009. Et quand on en vient à considérer les différentes catégories de ménages „ayant des difficultés à joindre les deux bouts“, il apparaît d’ailleurs que ce sont plus souvent les familles nombreuses et les ménages monoparentaux qui font face à ce type de difficultés: respectivement 46,7% et 46 en 2020 et que 28,6% des ménages éprouvent ces difficultés. „C’est énorme et c’est de plus, avant le Covid, la guerre et la crise des prix“, s’inquiète Nora Back.
Mal classé dans la Grande Région
Le Panorama social démontre aussi que le système fiscal est facteur d’inégalités. Il apporte une correction de la distribution de revenus bruts parmi les plus faibles des pays comparés (autour de 8%), „alors que, dans le même temps, le Grand-Duché affiche, grâce aux transferts sociaux, la plus forte correction de la distribution des revenus primaires avant impôt“. Ces derniers limitent la casse en faisant passer par exemple le taux de risque de pauvreté du troisième taux le plus élevé en Europe (47,4%) à 17,4%. „Le rôle joué par les transferts sociaux et les pensions dans la diminution du risque de pauvreté est l’un des rares aspects positifs que l’on peut observer en matière de pauvreté au Luxembourg“, concède le Panorama social.
Et pourtant, ils ne suffisent pas au Luxembourg à faire bonne figure dans une comparaison inédite avec les voisins de la Grande Région, présentée en „gros plan“ de la publication. Le Luxembourg y affiche le deuxième taux de risque de pauvreté le plus élevé de la Grande Région, devancé par la seule Wallonie avec 18,2%. Et en matière d’inégalités de revenu, il détient même la première position.
En 2020, ce sont 16,8% des personnes ayant un emploi à temps partiel (exercés à 79,9% par des femmes) et 10,5% de celles travaillant à temps complet qui sont touchées par le risque de pauvreté. Pour
les travailleurs à temps complet, le Grand-Duché se place sur la première marche des pires performances, Pour les retraités, il compte parmi les meilleurs, mais enregistre une augmentation de 3% des personnes exposées par an, en moyenne depuis 2010.
Le taux de risque de pauvreté des locataires est élevé (31%). Le poids du logement dans le revenu est une source majeure d’inégalités, constate la CSL. Le Luxembourg est le quatrième pays de la zone euro où le logement ampute le plus le revenu disponible des ménages. Plus d’un ménage sur trois (35,5%) fait face, en 2020, à de lourdes charges financières liées au logement. Il y a de grands écarts en termes de „lourdes charges financières liées au logement“ entre les exposés à la pauvreté (66%) et la population (29%).
De surcroît, la progressivité de l’impôt repose sur les revenus moyens et inférieurs (entre 11.000 et 45.000 euros), tandis que les revenus du patrimoine bénéficient d’un traitement préférentiel par rapport aux revenus issus du travail. „Selon les calculs de l’OCDE, les bas revenus paient une des parts les plus élevées d’impôts de toute la zone de coopération“, constate la CSL. Ce qui fait dire à la présidente de la CSL (et de l’OGBL), Nora Back, que la future réforme de la législation fiscale ne devra pas éluder ce sujet souvent évoqué par le syndicat quand il s’agit de défendre l’indexation des salaires et souligner que c’est par la fiscalité que l’on obtient la justice sociale.
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