Artistes entre Luxembourg et Berlin / Delali Amegah: afropéenne
Poète, photographe et réalisatrice, Delali Amegah se consacre depuis deux ans à son art pluridisciplinaire, dans lequel elle explore avec sensibilité les questions liées à l’identité afropéenne.
En 2022, Delali Amegah a fait un burn-out. A l’époque, elle travaillait dans une banque, au Luxembourg. Cet épuisement professionnel la pousse à remettre sa vie et ses intentions en question. Elle décide de donner priorité à ce qui a toujours occupé une place fondamentale en elle – la créativité, les arts narratifs.
Amegah s’inscrit alors à Catalyst, Institute for Creative Arts and Technology, à Berlin. La ville lui fait „comme une grande bouffée d’air frais“.
Issue d’une famille française de descendance africaine, Amegah a passé son enfance dans le Sud puis le Nord de la France, avant de s’installer à Luxembourg. „J’ai grandi dans des milieux majoritairement blancs, où il n’y avait pas beaucoup de diversité. Alors une fois que je suis arrivée à Berlin, c’était hyper important pour moi d’être entourée de personnes de couleur, surtout dans le milieu artistique.“ La communauté africaine n’est cependant pas la plus représentée dans la capitale allemande. „Je vis à Wedding, dans le quartier africain, non loin de la bibliothèque EOTO, qui regorge d’archives incroyables, notamment sur les liens entre pays d’Afrique et Allemagne. Pourtant dans la rue, il n’y a pas tellement de gens de descendance africaine, en tout cas de mon âge. Mais j’ai activement cherché des communautés afro-diasporiques à travers les réseaux sociaux et j’en ai trouvé. Cela m’a permis de me créer un cocon ici.“
„L’ignorance divise“
En 2024, Delali Amegah expose pour la première fois son travail à la galerie Zimmer48 à Kreuzberg, sous le titre „Afropean Girl“: une série de photographies dans lesquelles elle se représente elle-même dans différentes situations évoquant cette identité afropéenne. Sur chacun des clichés, une phrase apparaît, comme un sous-titre qui donne également son titre au portrait. A travers ces photos évoquant des images tirées de films, Amegah aborde de manière frontale deux thématiques essentielles: le racisme ordinaire auquel sa communauté continue d’être confrontée au quotidien, et la sous-représentation des femmes noires dans les médias et les arts. „J’ai toujours eu le sentiment d’être incomprise, ou invisible, en quelque sorte. Très souvent, j’étais la seule fille noire de la classe ou d’un groupe. Je me suis souvent sentie très isolée. C’est ce que je représente dans ces photos. J’ai également mis des ressources à la disposition du public, pour que les personnes qui entrent dans la galerie ou me suivent sur les réseaux sociaux puissent comprendre le travail de recherche qui a été fait, car cette exposition fait partie de mon master. Pour moi, il est très important non seulement de m’éduquer à travers cette recherche, mais d’éduquer aussi les personnes qui me ressemblent, qui vivent cette même expérience, et également des personnes non noires, non africaines, pour qu’elles puissent s’informer. L’ignorance divise.“
Poésie
Depuis son adolescence, Delali Amegah écrit. En 2016, elle remporte le Prix Laurence à Luxembourg pour son poème „One Shade of Black“, avant que ses textes ne paraissent dans deux recueils de poésie aux éditions Black Fountain Press. Dans ses poèmes, Amegah choisit de laisser apparaître certaines phrases barrées – comme une façon d’explorer les non-dits, les pensées qu’on tait ou qui nous font honte. Mais ces phrases barrées rappellent également la place des femmes noires dans nos sociétés majoritairement blanches: bien présentes, mais invisibilisées. „Pour moi, la poésie, c’est comme respirer. Après, il y a beaucoup de poèmes que je garde pour moi, que je ne préfère pas partager, parce que c’est privé, c’est personnel. Mais j’écris tous les jours. C’est vraiment un besoin. Avec l’ère des réseaux sociaux, je me suis rendu compte qu’il est très difficile de capter l’attention des personnes de mon âge, ou plus jeunes. L’audiovisuel marche mieux que les textes, a priori. Mais j’ai envie de continuer à écrire. Je ne veux pas me baser sur les attentes du monde autour de moi. Je pense qu’il est important de garder mon essence et de respecter ce que j’ai envie de faire.“
Yovodevi
Avec son exposition, Delali Amegah entame un projet pluridisciplinaire qu’elle a en tête depuis des années et qui se nommera Yovodevi. „C’est un surnom que mes parents m’ont donné. Ça vient du mina, au Togo, le pays de mon père: l’idée d’être un enfant qui a grandi dans des pays européens, blancs. Ce mot reflète la dissonance identitaire dans laquelle je me suis construite, car dans la communauté africaine, on me perçoit toujours comme une européenne. La façon dont je parle, par exemple, a toujours été sujet de moquerie légère dans ma famille. Le fait de s’exprimer avec certains mots, d’avoir certaines manières. Ça revenait toujours, et ça m’a toujours dérangée. Je me suis dit que j’allais alors utiliser ce terme, le revendiquer, me le réapproprier.“
Pendant longtemps, j’ai attendu, je me suis dit que j’allais voir une personne française et noire le faire, humaniser les personnes noires à l’écran. Mais j’attends, j’attends, et ça ne vient pas. Alors, je me suis dit qu’il fallait que je le fasse moi-même.
Delali Amegah mène une recherche artistique que l’on pourrait qualifier d’auto-ethnographique, un travail de fond qui vise à disséquer les mécanismes de non-appartenance, les notions d’autre et d’étranger, mais également le racisme intériorisé et la santé émotionnelle et psychique. Toutefois, elle se détache de l’adage éculé selon lequel „ce qui nous blesse nous rend plus forts“: „Peut-être qu’on développe une résilience, mais la contrepartie sont des problèmes de santé physique et mentale. Je dirais plutôt que ce qui me blesse me donne encore plus besoin d’en parler! Pendant longtemps, j’ai attendu, je me suis dit que j’allais voir une personne française et noire le faire, humaniser les personnes noires à l’écran. Mais j’attends, j’attends, et ça ne vient pas. Alors, je me suis dit qu’il fallait que je le fasse moi-même. Ça ne vient pas d’une perspective arrogante, je ne pense pas être la seule personne qui en soit capable, mais pour moi, c’est un processus de guérison. Et puis lorsque j’ai découvert le terme afropéen dans les écrits de Johnny Pitts, j’ai fait des recherches et fini par apprendre que c’est Marie Daulne, une artiste belgo-congolaise, qui l’a inventé. C’est là que j’ai compris que ce que je ressens n’est pas un sentiment isolé, une expérience qui m’est propre. C’est quelque chose qui a toujours existé. J’espère contribuer, par ce que je fais, à ce mouvement-là, voir de plus en plus de personnes s’en emparer, dans différentes disciplines.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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