Loi sur la tripartite / Dépassée par les événements
Le projet de loi qui doit entériner la manipulation de l’indexation automatique des salaires, décidée en tripartite, sans l’accord de l’OGBL, repose sur des pronostics de l’inflation aujourd’hui corrigés à la hausse. Aux tranches indiciaires décalées et compensées pourraient s’en ajouter d’autres non compensées ou même perdues. Quant à l’idée d’une „surcompensation“ de la perte de l’indexation pour les bas salaires, elle relève selon l’OGBL du storytelling plus que de la réalité et ajoute une raison de plus pour rebattre les cartes.
Pour la première fois depuis sa démonstration de force du 1er mai, l’OGBL a pris solennellement position sur la manipulation de l’indexation automatique des salaires prévue par un texte de loi qui doit être prochainement soumis au vote des députés. Le maintien de l’indexation et le refus de signer l’accord négocié en tripartite sont depuis la fin du mois de mars au centre des priorités politiques du syndicat. Et depuis ce jour, les preuves n’ont fait que s’accumuler que ce paquet de mesures, bouclé à la va-vite, reposait sur des bases fragiles.
Rapidement, les nouvelles économiques sont venues démontrer que la situation n’était pas aussi sombre pour toutes les entreprises que le patronat l’avait présentée lors des négociations. Au lendemain de la signature de l’accord, le secteur bancaire affichait une insolente hausse de 30,8% du résultat net des banques luxembourgeoises. A la mi-mai, la Chambre de commerce a créé un nouveau baromètre économique pour contester les résultats, se contraignant à feindre l’étonnement sur le fait que le chômage reste relativement bas.
Selon la présidente de l’OGBL, Nora Back „le problème des entreprises n’est pas l’indexation, mais la pénurie de main d’œuvre“. Le syndicat ne nie pas l’existence d’une crise, mais souligne qu’il ne s’agit pas d’une crise économique, mais d’une crise des prix, qui a la particularité de ne pas toucher toutes les entreprises uniformément, mais de frapper l’ensemble des salariés et pensionnés. Et justement, les projections des deux derniers mois montrent que la hausse des prix va être encore plus forte que celle qui avait présidé aux décisions prises lors de la tripartite. Entre février et mai, les projections sur l’inflation sont passées de 4,4% à 5,8% pour l’année 2022 et de 1,3% à 2,8% pour 2023.
„Chacun savait autour de la table de négociations que l’inflation ne resterait pas à 1,3% pour 2023, mais qu’elle allait exploser“, estime Nora Back. L’OGBL n’en veut pas aux statisticiens du Statec que la commission parlementaire des Finances a entendus lundi dernier pour comprendre les raisons de cette évolution fulgurante. Toutefois, l’imprévisibilité des chiffres invite à renoncer à des mesures qui vont jusqu’en 2024 comme celles qui figurent dans le paquet de mesures décidées en tripartite.
D’ailleurs, ces nouvelles projections posent de nouvelles questions. Elles laissent entendre une échéance sans doute plus précoce de la tranche indiciaire prévue au mois d’août et reportée au mois d’avril 2023, et l’irruption d’une nouvelle tranche au début de l’année 2023. Or, le destin de ces tranches n’est pas encore scellé. Et la „cacophonie des déclarations „empêche l’OGBL d’y voir clair. Si le ministre socialiste de l’Economie dit qu’aucune ne sera perdue, que le président libéral de la Chambre évoque leur décalage au-delà de 2024 et le patronat veut leur abandon, le texte de loi prévoit leur paiement, sans qu’il soit plausible de payer deux ou trois tranches en une fois à la fin du dispositif prévu en avril 2024.
Au vu de décisions reposant sur de „fausses prémisses“ et donc devenues „obsolètes“, mais aussi au vu de l’instabilité de la situation, l’OGBL pense que le gouvernement serait bien conseillé de retirer le projet de loi et de trouver d’autres solutions à même de renforcer le pouvoir d’achat et de rétablir la paix sociale. Il y aurait lieu d’analyser de manière plus différenciée, comme cela a été fait pendant la pandémie, la situation des entreprises plutôt que de toutes les aider aveuglément avec la manipulation de l’indexation.
L’OGBL était venu autour de la table des négociations avec des idées qu’il remet sur la table qui, avec le maintien de l’indexation automatique des salaires, proposent le doublement de l’allocation de vie chère et l’élargissement du cercle de ses bénéficiaires, le gel des prix administrés, la réduction de la TVA réduite sur les produits de l’énergie ou une plus forte imposition des salaires les plus élevés.
Manipulation de l’opinion
Si l’inflation est élevée au Luxembourg, elle figure en dessous de la moyenne européenne, ce qui donne l’occasion à Nora Back de rappeler que l’indexation n’est pas une cause, mais bien une conséquence de l’inflation. Habitué à contrer les arguments fallacieux visant à décrédibiliser cet acquis social, l’OGBL doit aussi s’efforcer, depuis la tripartie, de déconstruire le discours officiel qui voudrait présenter l’accord obtenu comme un gain pour les plus faibles.
Le crédit d’impôt énergie par lequel le gouvernement entend compenser et même „surcompenser“ le report des tranches indiciaires, n’a pas les faveurs de l’OGBL. Et une étude plus poussée du mécanisme qui doit être soumise au vote des députés, démontre que la surcompensation évoquée relève davantage de la fable que de la réalité sonnante et trébuchante. „C’est du storytelling“, peste Nora Back. „Parmi les ménages vivant avec moins de 6.000 euros, beaucoup sont perdants.“ Le syndicat relève qu’il y a beaucoup de différences entre classe 1 et classe 2. Si dans la classe 1, il y a une surcompensation pour les personnes qui perçoivent jusqu’à 5.500 euros bruts, dans la classe 2, 4.600 euros peuvent suffire pour faire partie des perdants du deal.
Il y a une première différence selon que le ménage perçoit un ou deux salaires. Pour 6.000 euros de revenus bruts, dans le premier cas, la perte est de 32 euros par rapport à l’indexation automatique et le gain est de 71 euros dans le deuxième cas. La perte est encore de 11 euros dans le premier cas pour un revenu de 5.500 euros, soit un revenu du deuxième quintile. L’OGBL constate également que les personnes faisant des heures supplémentaires sont davantage perdantes (24 euros avec 5.500 euros de revenu). Ce sont les personnes travaillant dur, dans l’artisanat, l’industrie, la santé, le commerce, le nettoyage, qui doivent faire des heures supplémentaires pour arrondir leurs fins de mois qui se retrouvent lésés, tout comme les monoparentaux. „Il faut relativiser les fables sur les grandes sommes que les gens doivent recevoir“, répète Nora Back.
Si le gouvernement ne retire pas son projet de loi, l’OGBL appelle les députés à voter contre. C’est ce que comptent vraisemblablement faire les trois partis „déi Lénk“, „Piraten“ et CSV que le syndicat a déjà rencontrés et avec lesquels il partage des constats similaires. La rencontre un jour prochain avec le LSAP s’annonce tendue, comme le sont devenues les relations entre anciens proches dans le dossier de l’indexation depuis la conclusion de ce que le gouvernement nomme pacte de solidarité.
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