Théâtre / Derrière les coulisses: „Midsummer“ par David Greig dans une mise en scène d’Anne Simon au TNL
Pour clôturer la saison théâtrale, la loufoquerie est au rendez-vous. Après un „Wusical“ aussi remarqué que remarquable au Grand Théâtre, voici venir „Midsummer“, un pastiche de comédie romantique au métatexte shakespearien évident. Si la déconstruction scénique et l’expérimentation formelle sont souvent jouissives, Midsummer est aussi et en même temps un tantinet longuet et „over the top“.
C’est l’histoire d’une jeune avocate qui picole dans un bar huppé et qui, parce que son amie vient d’annuler leur soirée et qu’elle en a marre de siffler des bouteilles de vin surtaxées, mais aussi par ennui, pour éviter de devoir se confronter à quelque chose d’indicible au fond d’elle, se met à draguer un type qui n’est pas du tout son type et qu’elle invite à s’enivrer avec elle. Bien sûr, ça se termine au pieu, et au bout d’un coup d’un soir dont la teneur érotique est quelque peu gâchée par la présence d’une figurine parlante de Buzz Lightyear – si, si, ce jouet un peu ringard dans „Toy Story“ –, les deux se quittent en se promettant de ne jamais se revoir.
Chose promise, chose indue, puisque le lendemain, alors que les deux poursuivent leurs existences un peu perdues de trentagénaires paumés, lui, Bob, devant enfin s’occuper d’une sombre histoire de vol de voiture alors qu’elle, Helena, doit affronter un énième mariage familial en gueule de bois, ils se recroiseront – elle, couverte de vomi et lui, avec un sac contenant quelque quinze mille livres sous le bras. Lui propose de dépenser tout l’argent en un weekend, elle hésite. Des années plus tard, Helena se rappelle ce weekend et sent la mémoire de ces heures comme tombées en dehors de la routine lui échapper lentement. Pour contrecarrer l’oubli, elle se remet à se le rappeler dans les moindres détails – jusqu’aux contradictions et aux tours que nous joue la mémoire.
Plutôt que de proposer une rumination mélancolico-proustienne sur le délitement de la mémoire, la mise en scène d’Anne Simon prend le parti pris d’embrasser le tourbillonnement incessant et délirant de cette pièce loufoque écrite par l’auteur écossais David Greig avec la participation du musicien Gordon McIntyre. Trêve de musique, ici – ou du moins, pas de musique jouée en live, mais une setlist qui combine Sufjan Stevens, Lou Reed et Joy Division: au départ, le public, plongé sur des chaises pivotantes (inconfortables), muni d’un casque qu’on le prie de bien vouloir mettre (sur les oreilles), ne voit strictement rien. Et s’il ne voit rien, c’est qu’il n’y a (presque) rien à voir. Car c’est à travers les écouteurs que nous parviennent les éclats de voix d’Helena (Larisa Faber) et de Bob (Daron Yates), qui tour à tour racontent, chuchotent, commentent, monologuent, gueulent, se rappellent, font s’enchevêtrer leurs voix, incorporent d’autres personnages, dont la bite de Bob, qui a un fort accent français (certaines voix sont un peu surinterprétées) sur fond de coulisse et de bande sonore.
Un pastiche survolté
Cette partie en paraîtra un peu étirée à d’aucuns – elle dure une petite demi-heure et lors de la représentation du mardi, deux spectateurs quittent la salle, dont une avec force claquements de talons. Il suffisait pourtant de penser à la première partie de la trilogie „Don De Lillo“ de Julien Gosselin, dont Anne Simon s’est peut-être inspirée (ou de jeter un coup d’œil au programme de salle) pour réaliser qu’un rideau allait être levé à un moment donné, nous montrant que tout ce qu’on aurait pu croire n’être qu’un enregistrement radiophonique était en vérité joué et réalisé en live, à quelques mètres de nous.
Dès lors, Larisa Faber et Daron Yates s’en donnent à cœur de joie, révélant au grand jour la manière dont ils ont trafiqué leurs voix et improvisé (une partie de) la coulisse sonore derrière le bar du TNL. Alors que la pièce achoppe sur un moment de comédie romantique un peu mièvre, une autre pan scénique se dévoile et c’est tout le bois enchanté du „Midsummer Night’s Dream“ (la scéno et les costumes sont signés Loriana Casagrande) qui apparaît, Faber et Yates s’adonnant alors à un pastiche du classique, qui fait passer en revue la pièce en recourant d’abord à ce résumé sous forme de pantomime qu’on jouait, du temps de Shakespeare, avant la pièce, puis en faisant défiler à une vitesse époustouflante et impressionnante des scènes et des personnages volontairement surjoués – c’est hilarant mais un brin longuet, le comique de répétition s’épuisant un peu rapidement.
L’idée, formellement passionnante, d’aller vers toujours plus de jeu – d’une pièce quasiment radiophonique au pastiche survolté de Shakespeare – en impose d’abord, surtout parce que l’on sent que toute l’équipe – et surtout les deux acteurs – s’amuse comme des fous. Ce bric-à-brac théâtral se veut surtout un éloge de la forme théâtrale et de ses infinies possibilités, oscillant entre expérimentation formelle et théâtre plus classique, entre minimalisme et grandiloquence, faisant muter les formes comme changent aussi nos émotions et nos souvenirs.
Pourtant, le côté survolté finit parfois par lasser – chacune des métamorphoses formelles dure juste un chouïa trop longtemps pour qu’on puisse les apprécier à leur juste valeur – et par éprouver – c’est un brin trop survolté, et l’on a par endroits l’impression que l’équipe s’enfonce dans des running gags sans trop se soucier si le public suit ou non. N’empêche: malgré ces quelques écueils, „Midsummer“ est un pari formel souvent remporté, qui perd parfois ses spectateurs en route – mais qui arrive toujours à les retrouver au détour d’un moment de surprise (à condition donc qu’ils n’aient pas quitté la salle).
La pièce sera encore jouée aujourd’hui et demain à 20 heures au TNL.
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