Économie du partage / Des alternatives à la propriété
S’appuyant sur une nouvelle étude, le ministre de l’Economie Franz Fayot a présenté hier les premières mesures qui doivent permettent un réel décollage de l’économie du partage.
Une conférence de presse au beau milieu du mois d’août peut donner à son objet une audience qu’il n’aurait pu espérer avoir le reste de l’année. Mais, il ne pouvait sans doute pas y avoir meilleur moment pour évoquer les projets ministériels en matière d’économie de partage que la chaleur et la sécheresse qui n’en finissent plus. L’économie de partage est l’un des nombreux leviers qu’il nous reste à activer pour limiter la casse et sortir d’un modèle économique linéaire suicidaire pour tendre vers une économie circulaire plus protectrice.
„On dit que ‚sharing is caring’, mais partager ce n’est pas seulement prendre soin, c’est aussi une nécessité. C’est quelque chose dont on est toujours plus conscient, encore davantage cet été où le climat apparaît comme une urgence“, soulignait hier le ministre de l’Economie, Franz Fayot, en préambule de la présentation de sa feuille de route en la matière. Le contexte de pénurie énergétique est une raison supplémentaire pour s’écarter d’un modèle économique qui implique „une consommation assez insensée d’objets qu’on achète, qu’on possède et qu’on n’utilise presque pas“, dixit le ministre, qui cite en exemples les voitures, les perceuses et les jouets.
L’économie du partage propose justement de mettre en commun des outils sous-utilisés. „Un outil partagé est un outil dont l’intensité d’usage est maximisée. Ainsi, il contribue à une diminution de la pression sur les ressources en réduisant le besoin de produire de nouveaux outils identiques.“ L’économie du partage peut avoir des effets tentaculaires. „Cette baisse de la production va entrainer une diminution des emplois nécessaires. Dans une perspective généralisée, ce mode de vie aboutit à revoir la taille des logements: posséder moins d’objets permet de réduire la surface nécessaire à leur stockage et entraine par conséquent une diminution des besoins d’espace“, lit-on dans l’étude qu’a commandée le ministère de l’Economie au bureau de conseil impaKT, pour établir sa feuille de route.
Bibliothèques d’outils
Néanmoins, il faut, pour espérer des retombées positives sur l’environnement, remplir un certain nombre de critères que l’étude était justement chargée d’identifier, à la suite du rapport „Sharing Economy Policy in Luxemburg“ réalisée en 2018 par la London School of Economics. Il a d’abord fallu délimiter l’économie du partage pour mieux en exclure les pratiques qui lui font une mauvaise publicité. Le document retient de la désigner comme „un modèle économique qui permet d’organiser le partage et la mise à disposition, à court terme, de biens durables entre acteurs, moyennant une transaction qui crée une plus-value économique“.
Il s’agit ainsi de biens qui doivent être utilisés par les individus demandeurs, ce qui exclue l’économie de plate-forme qui met à disposition des services. Il doit y avoir une plus-value économique, une transaction dûment établie, ce qui exclue les initiatives par lesquelles des personnes se réunissent pour partager des objets entre eux. Les biens doivent expressément être durables, pour ne pas être dans une même logique de création de déchets. „Mise en œuvre selon une logique linéaire (maximiser les revenus financiers à court terme et externaliser au maximum des coûts), la ‚sharing economy’ peut engendrer des situations socio-économiques précaires et contribuer négativement aux résultats en matière de durabilité en raison d’effets de rebond“, note l’étude. Un enjeu majeur est l’attention portée à un bon usage des objets.
Une économie du partage a pour conséquence visible une nouvelle institution: la bibliothèque d’outils. On pourrait même la qualifier d’institution culturelle, puisqu’il s’agit aussi de former par son intermédiaire une société plus conviviale. Les citoyens viennent y louer, moyennant transaction, l’objet dont ils ont besoin. Londres et Rotterdam connaissent déjà le concept. La première mesure spectaculaire de la feuille de route ministérielle consiste en un appel à ce type de projets, qui sera lancé avant la fin de l’année en direction des communes ou d’autres acteurs économiques intéressés – l’offre devant précéder la demande en raison des investissements que demande une telle activité, puisqu’il faut d’abord acheter les objets avant de les amortir par le prêt (le ministère de l’Économie entend apporter son soutien financier).
Sensibiliser
Au dernier trimestre 2022 et au premier trimestre 2023 serait ensuite effectuée une mesure des bénéfices environnementaux. Cette dernière viendrait d’ailleurs nourrir une campagne de sensibilisation sur les bénéfices de la ‚sharing economy’. Une récente étude portant sur un concept de ‚carsharing’ à Bremen a démontré qu’une voiture en prêt en remplace seize. Or, l’un des freins identifiés par l’étude réside dans une certaine conception de la propriété (auxquels les plus jeunes citoyens seraient néanmoins moins sensibles). La volonté des citoyens de faire quelque chose pour le climat pourrait aider à dépasser ces coquetteries. D’autres aspects aussi: l’usager doit trouver dans le partager un intérêt économique, une facilité d’usage, un gain de temps et profiter d’une internalisation des risques. Les initiatives les plus courues sont celles par lesquelles la responsabilité de l’usager est dégagée en cas d’accident et où le bon usage des outils est par ailleurs contrôlé. „Nous sommes dans une société qui pose rapidement la question du risque, il faut l’aborder, qu’il soit réel ou pas“, a observé Jeannot Schroeder, du bureau d’études impaKT Luxembourg.
Pour faire sauter les ultimes barrières, il est suggéré que le ministère de l’Economie intervienne avec un chèque ‚sharing economy’ au deuxième semestre 2024. Cette mesure s’ajouterait à d’autres parmi lesquelles figurent des modules de formation et d’accompagnement pour les entreprises, le développement d’une logistique inversée des contenants, la mise sur pied d’un portail unique pour les transactions, le développement d’une solution pour la traçabilité des biens ou encore la création de nouveaux produits d’assurance.
Franz Fayot a tenu à préciser qu’il s’agissait là d’une stratégie complémentaire à beaucoup d’autres initiatives, et que „ce n’est pas la solution miracle“. „Nous ne pourrons pas passer à côté de réglementer, par exemple pour l’obsolescence programmée par laquelle on voit des produits tomber en panne après deux, trois ans“, a-t-il ajouté.
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