Etude / Des différences de genre dans la programmation culturelle: Toujours le même son de cloche
Dans une étude commandée par le CID Fraen an Gender, qui en appelle beaucoup d’autres, le Liser constate que moins d’un quart de l’ensemble des professionnel·les de la scène culturelle sont des femmes.
En découvrant, au printemps dernier, qu’un grand festival de musiques actuelles en plein air n’avait programmé que des artistes masculins, l’équipe du CID Fraen an Gender s’est dit qu’il était temps de relancer le débat sur la présence féminine dans le milieu culturel. Avec ses moyens limités, soutenue par la ville de Dudelange et le ministère de la Culture, elle a commandé au Liser une étude sur „l’analyse de la programmation culturelle dans une perspective sensible au genre au Luxembourg“.
En 2022, l’Observatoire de l’égalité avait certes déjà établi que les organes de gestion des institutions culturelles étaient encore largement dominés par des hommes. Mais, il restait encore à s’intéresser à la programmation dans ce qui est la première étude de ce type dans le pays. L’enjeu est de taille: „Outre l’absence de parité aux postes de direction dans les institutions culturelles, une inégale représentation des femmes et des hommes dans les programmations culturelles peut également contribuer à entretenir les stéréotypes de genre dans la population et particulièrement parmi des jeunes générations“, rappelle le Liser dans son étude. Il peut s’appuyer, pour l’affirmer, sur de nombreuses études qui l’ont démontré, à l’échelle européenne notamment.
Le Liser a mené son enquête en épluchant les caractéristiques de 963 spectacles différents présentés durant la saison 2022/23 dans huit établissements culturels (Neimënster, Philharmonie, Rockhal, Rotondes, TNL, Trois-CL, Théâtre d’Esch, CAPE) et onze festivals de musique en plein air. Il fallait analyser la répartition des genres dans les directions artistiques des différents spectacles, ainsi que dans l’interprétation (musiciens, comédiens, danseurs) et dans l’accompagnement technique. Et le résultat est éloquent: Moins d’un quart de l’ensemble des professionnel·les de la scène culturelle sont des femmes.
„Une misogynie très forte“
Des disparités existent selon le type de spectacles. Les femmes sont largement sous-représentées dans le domaine de la musique, que ce soit sur le plan de la musique classique ou de la musique actuelle (concerts et festivals) [19,1 et 15,3%]. Elles sont beaucoup plus présentes dans le domaine théâtral (43,1%) et même légèrement majoritaires dans la danse (52,2%).
Si la situation dans la musique avait donné l’impulsion pour mener cette enquête, c’est aussi celle qui a le plus heurté la chargée de politique culturelle du CID, Claire Schadeck, à la lecture des résultats. Parmi les musiciens qui se produisent sur scène dans les musiques actuelles, on arrive à un taux de 98,1% d’hommes. Pour ce qui est des auteurs des œuvres jouées dans la musique classique, plus de neuf sur dix sont des hommes. S’il a été décidé de traiter le classique à part, c’est qu’„on avait l’impression qu’il y régnait une misogynie très forte“, explique l’activiste. Les musiciennes n’y trouvent pas vraiment de figures tutélaires qui leur donnent confiance. La situation est la relique d’une époque où les femmes n’avaient pas accès aux postes.
Claire Schadeck fut plus agréablement surprise par d’autres chiffres. A première vue seulement. „J’ai fait du théâtre, alors je savais que la répartition était plus équilibrée, mais je ne pensais pas que c’était aussi équilibré. Pour la danse, je trouve très intéressant qu’il y ait plus de femmes que d’hommes en tant que danseuses. Mais si on regarde le chiffre dans les conservatoires, il y a beaucoup plus de femmes qui empruntent cette voie. Finalement, au niveau professionnel, la différence n’est plus si grande.“
„Les hommes favorisent les hommes“
Les raisons de se réjouir ne tiennent pas longtemps à la lecture détaillée de l’étude. Dans le théâtre, malgré une parité quasiment atteinte, on voit poindre des disparités dans les différents métiers. Ainsi, 60,1% des auteurs présentés sur scène sont des hommes. Et quand ce sont des hommes qui sont aux commandes de la mise en scène, ce taux augmente encore pour passer à 68,3%. En pareil cas, les comédiens et les accompagnements scéniques sont aussi encore plus souvent des hommes (respectivement 57,3% et 63,3%). „Les hommes favorisent les hommes“, observe l’étude. En revanche, lorsque la metteuse en scène est une femme, il est plus probable que l’auteure du texte soit une femme (54,2%), et que les comédiennes dominent la distribution (53,0%).
Dans le domaine de la danse, la majorité des chorégraphes sont des hommes, représentant un pourcentage élevé de 65,1%. „Cette prédominance masculine dans la chorégraphie peut refléter des tendances historiques et des stéréotypes de genre persistants quant à la perception du leadership artistique dans la danse“, lit-on dans l’étude. Si le chorégraphe est un homme, seulement 35% des accompagnant·es scéniques sont des femmes (58,8% quand c’est une femme). L’étude en conclut – et c’est aussi la preuve de son bien-fondé – que le fait que le chorégraphe soit un homme ou une femme a un impact significatif sur la participation des femmes.
Le but de l’étude est avant tout de sensibiliser. „Je suis certaine que la plupart des hommes qui sont en charge de la programmation ou de la mise en scène n’orientent pas leur choix d’une manière consciente et ne disent pas: ,Je n’ai pas envie de programmer des femmes.‘ Le sexisme, comme le racisme, est en pareil cas internalisé“, observe Claire Schadeck. Elle imagine des formations de sensibilisation, mais n’est pas opposée non plus au recours à des méthodes plus musclées comme les quotas, dans les instances décisionnelles comme dans la programmation. „Le but est qu’on n’ait pas besoin de quotas. Mais les chiffres montrent très bien que si on n’a pas d’obligation, c’est difficile de faire évoluer les choses.“ Il est plus facile de programmer des personnes connues, et donc plus souvent masculines, que de prendre le temps de rechercher des artistes moins présentes. De même, le public est plus souvent tourné vers des classiques, plus souvent le fait d’hommes, que par des nouveautés.
„Au niveau structurel, il est important qu’il y ait une diversification des personnes pas seulement au niveau du genre, mais aussi de l’ethnie et de l’âge. C’est important pour la représentation des différentes idées dans les textes“; observe encore Claire Schadeck. L’étude s’intéresse aussi aux chiffres sur la capacité des salles et suggère notamment que les collaborations entre artistes masculins et féminins peuvent influencer positivement la taille des audiences.
Je suis certaine que la plupart des hommes qui sont en charge de la programmation ou de la mise en scène n’orientent pas leur choix d’une manière consciente et ne disent pas: „Je n’ai pas envie de programmer des femmes.“ Le sexisme, comme le racisme, est en pareil cas internalisé.chargée de politique culturelle du CID
Un début
Avec cette étude, le CID Fraen an Gender a lancé le débat. „On espère que ce n’est pas la fin. Car il manque beaucoup de perspectives dans cette étude.“ Elle ne s’intéresse pas non plus au genre des personnes en charge de la programmation ni à la composition des conseils d’administration. Elle ne s’intéresse pas au contenu des spectacles ni aux arts plastiques. Malgré tout, elle donne une photographie fidèle à un moment clé, l’adoption d’une charte de déontologie par laquelle quatre établissements publics, 91 structures culturelles conventionnées ainsi que quatre communes s’étaient engagées en 2023 „à ce que la représentation des hommes et des femmes soit équilibrée au sein des organes de prise de décisions et au niveau de la programmation“.
Cette photographie de la situation, fait remarquer Claire Schadeck, décrit un terrain propice aux abus sexistes, alors que le Luxembourg n’a toujours pas vécu de #MeToo culturel. „Des actrices disent que le Luxembourg est tellement petit, qu’il est difficile de dénoncer des abus de pouvoir, des abus sexuels. On est dans une dépendance. C’est ce qui rend ce milieu aussi toxique“, commente-t-elle.
- Un livre sur le colonialisme récompensé – Le choix de l’audace - 14. November 2024.
- Trois femmes qui peuvent toujours rêver: „La ville ouverte“ - 24. Oktober 2024.
- Une maison à la superficie inconnue: Les assises sectorielles annoncent de grands débats à venir - 24. Oktober 2024.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können.
Melden sie sich an
Registrieren Sie sich kostenlos