LuxFilmFest / Eloge de la vacuité: „La Verónica“ de Leonardo Medel
Fable grinçante sur la course à la célébrité des influenceuses à l’ère d’Instagram tout autant que polar qui vous glacera le sang et exercice de style courageux, „La Verónica“ met en scène l’un des personnages principaux les plus insupportables qu’il nous ait été donné de voir à l’écran, incarné avec brio par Mariana Di Girolamo.
Le problème, explique Verónica Lara à ses deux amies mannequin, c’est qu’une bonne photo sur Instagram nécessite une vacuité d’expression totale. Si le photographe te surprend alors que tu es en train de penser, la photo est ruinée. Qui pense trop prend des rides, adopte une posture d’inquiétude qui nuit à la course aux clics et aux likes. Par conséquent, il faut s’exercer à la vacuité, qui est synonyme de bonheur, d’absence de soucis, de zen.
C’est, en quelques lignes, le tractatus philosophicus, le mode d’emploi du mannequin contemporain, dont l’auteur serait, si elle croyait en une chose aussi peu rentable que l’écriture philosophique, Verónica Lara, épouse d’un footballeur richissime, sorte de Victoria Beckham chilienne, incarnée avec brio par Mariana Di Girolamo, qu’on avait découvert dans l’excellent „Ema“ (de Pablo Larraín, en compétition officielle l’année dernière au LuxFilmFest) et qui occupe ici le premier plan pendant l’intégralité du long-métrage, Medel ayant adopté le pari formel aussi radical que réussi de filmer „La Verónica“ comme une séquence ininterrompue de close-ups, le film ressemblant ainsi à un montage de selfies filmés sur Instagram.
Hautaine, manipulatrice, mythomane, indifférente aux autres, souffrant d’un manque d’empathie total, Verónica est entièrement dévouée à sa plus grande obsession: décrocher les deux millions de vues afin de devenir le nouveau visage d’une marque de rouge à lèvres. Pour y arriver, Verónica est prête à tout – même à instrumentaliser sa fille Amanda, âgée de quelques mois seulement, et qu’elle jalouse pourtant au point de ne jamais, tout au long du film, s’occuper d’elle (puisqu’il y a des gouvernantes pour ça). Cette inquiétude – de ne pas atteindre à temps les deux millions de followers – la turlupine bien plus que le fait d’être la principale accusée dans une enquête autour de la mort de sa première enfant. Même la présence d’une autrice qui veut écrire un livre sur elle et dont les investigations pourraient jeter une ombre sur sa vie de chouchou chilienne ne l’angoisse pas outre mesure – tant qu’elle aimante les regards, tout va bien.
Me, Myself, My Instagram Profile & I
Le film ne s’empêtre pas d’un psychologisme à deux balles: ici, point de séquences où l’on verrait Verónica victime d’une enfance malheureuse. Au contraire, sa mère, qu’elle cache à la vue du monde, la vouvoie avec dévotion, qu’elle traite en retour avec un mépris on ne peut plus répugnant, mépris qu’elle réserve aussi au personnel qui l’entoure et qui prend en charge tout ce qui pourrait la détourner de son occupation principale – prendre des bains de soleil et poster des inepties sur Insta. Verónica est intégralement le produit de sa génération. En tant que telle, elle est et restera un mystère psychologique insondable.
Medel filme exclusivement sa protagoniste principale, au point qu’on ne verra jamais certains des personnages secondaires, toujours hors champ, bannis et du film et du centre d’intérêt de Verónica. Le résultat est saisissant: le monde extérieur s’efface lentement, n’est plus qu’un reflet gênant, une interférence nuisible. Verónica nage en plein solipsisme, son narcissisme évacuant jusqu’à l’existence d’autrui. Il n’y a, dans ce film, pas de personnages secondaires: tous sont des figurants qui tournent autour du soleil noir et rayonnant de son détestable personnage principal. Jamais film n’a mieux montré les ravages d’un nombrilisme non seulement encouragé mais requis par les réseaux sociaux: plus on nage dans le délire solipsiste, mieux on se débrouille en tant qu’influenceur·euse. Même une mort d’homme ou de bébé n’est plus que ressentie comme un fâcheux glitch, une perturbation extérieure gênante.
Révoltant et brillant, „La Verónica“ est un long-métrage d’une noirceur totale, qui assume à la fois son choix formel et la construction sans ambages d’un personnage qui est entièrement le produit des nouvelles technologies et dont le but ultime est, en fin de compte, un pur devenir-produit, une dissolution dans sa propre image. Sorte de version cauchemardesque de „L’occupation des sols“ de Jean Echenoz, où un homme observe chaque jour la dernière image de sa femme décédée sur une publicité murale, „La Verónica“ dépeint un monde où la reproduction de son image grandeur immeuble est devenu un but en soi, ultime, qui ne fait que tapisser un énorme vide.
„La Verónica“ est disponible en ligne jusqu’à dimanche matin, 10.00 heures.
4/5
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