Exposition / Éloge de l’ambiguïté: „Small Stories“ de David Lynch au Cercle Cité
Légende vivante du cinéma indépendant, David Lynch s’exprime désormais à travers d’autres mediums. L’exposition présentée au Cercle Cité dans le cadre du Luxembourg Film Festival nous en donne un aperçu dérangeant.
David Lynch fait partie de ces rares cinéastes venus de la peinture quand les autres arrivent plutôt de la littérature ou du théâtre. Même lorsque son activité artistique la plus en vue consistait à tourner des films, David Lynch a continué de pratiquer les arts plastiques. C’est pour cela qu’un an après son dernier film, „Inland Empire“ (2006), qui avait atteint des sommets de complexité et reste comme son dernier film en date, la fondation Cartier pour l’art contemporain a pu organiser la plus grande exposition jamais consacrée à son œuvre, réunissant plus de 500 artefacts (tableaux, photographies, dessins, croquis et notes).
C’est quelques années plus tard que le galeriste Alex Reding a fait sa rencontre, par surprise. Il se rendait dans un atelier d’impression de la rue de Montparnasse à Paris, pour rencontrer un des artistes que sa galerie, Nosbaum-Reding, suit avec fidélité, depuis sa création en 2001, Damien Deroubaix. Ce dernier faisait à l’époque beaucoup de gravures et d’éditions de multiples. Il s’était rendu dans un atelier prisé du genre, spécialisé dans la gravure d’empreinte, créé en 1881 et abritant de nombreuses machines du XIXe siècle sur lesquels les artistes aiment s’exercer. Le patron des lieux, Patrice Forest, fondateur d’Item éditions, a aussi un lien fort avec la scène californienne, notamment représentée par Paul Mc Carthy et Raymond Pettibon. C’est sans doute pour cette raison qu’Alex Reding, ce jour-là, est tombé sur David Lynch en plein travail. Cette rencontre a débouché sur une première exposition à la galerie en 2011. Et l’exposition qui s’est ouvert la semaine dernière au Cercle Cité peut être vue comme une lointaine réplique de cette rencontre.
L’exposition organisée dans le cadre du Luxfilmfest peut être présentée comme la première exposition institutionnelle au Luxembourg consacrée au réalisateur américain. Il s’agit du résultat de la carte blanche que la Maison européenne de la photographique à Paris avait laissé au réalisateur américain pour une exposition monographique qui s’est tenue au début de l’année 2014 et qui, depuis lors, n’a cessé de tourner. David Lynch l’a baptisée „Small Stories“, pour dire que ses images racontent des histoires brèves.
Cinquante-quatre clichés en noir et blanc y sont présentés. Mais ne dites-pas à Alex Reding que ce sont des photographies. „Il s’agit de collages, de superpositions, de recoupes, d’assemblages, tout sauf de la photo“, explique-t-il. „Après, ils ont dû se demander comment en faire un produit stable, et ils ont choisi le papier photo comme support de l’image.“
Le cinéma en filigrane
Si chez David Lynch, les arts plastiques, peinture et sculpture en tête, ont précédé le cinéma, le septième art est toutefois entré rapidement dans son œuvre. L’exposition montre trois films réalisés avant qu’il ne devienne cinéaste. Le premier d’entre eux, tourné en 1967, est né de la vision d’un tableau en train de bouger, accompagné d’un souffle de vent, que l’artiste, alors âgé de 21 ans, veut traduire par un tableau en mouvement. Le film, créant l’illusion du mouvement, lui apparaît comme le médium adapté. Et l’œuvre née de cette expérience s’appellera „Six men getting sick“.
On retrouve, dans ces travaux montrés une première fois en 2014, des liens avec ses premiers films expérimentaux, notamment avec des objets sculptés qui figurent dans ses films comme dans les œuvres présentées au Cercle Cité. Néanmoins, entre les deux, il y a une carrière de cinéaste, riche de dix longs métrages tournés entre 1977 et 2006, dont l’intéressé dit qu’ils l’ont porté vers le son et le collage, comme le rappelait la curatrice de l’exposition. C’est ainsi qu’à l’entrée d’un espace d’exposition pensé pour figurer le mouvement, on entend également une chanson, „The big dream“, composée en 2013, pour apporter un caractère de film à ces images.
Portraits sans visage
Dans une galerie de portraits présentée dans la petite salle du Cercle Cité, David Lynch travaille sur la répétition. On peut lire sur ces portraits sans visage, métaphoriques, ses différentes sources d’inspiration. „Le surréalisme, le symbolisme et l’école de l’absurde sont des influences que l’on retrouve dans toute son œuvre et dans les images. Il s’approprie ces codes“, explique la curatrice de l’exposition, Anastasia Chaguidouline. Les motifs sont parfois évidents, comme l’immeuble disant sa crainte des grandes villes, sur une œuvre clairement surréaliste. D’autres sont plus inquiétants et moins déchiffrables, hantés par des menaces qui peuvent être aussi bien intérieures qu’extérieures. „Il y a un malaise qui fait que le corps subit une transformation non maîtrisée, une compréhension de son corps liée à une anxiété de la psyché. Pour moi, ce sont les images les plus complexes et les plus difficiles à supporter“, commente Alex Reding.
Si ces images créent un malaise dans le public, elles ne sont pas nécessairement le produit d’un malaise de l’auteur. „David Lynch raconte qu’une main accidentée, présentant une cicatrice, est très belle, si on ne sait pas ce que c’est“, rapporte la curatrice. „Quand on lui demande pourquoi il a une esthétique si spéciale, il répond que c’est parce qu’il est capable de faire la part des choses. Ce que ça veut dire est abstrait, il ne pense qu’au visuel.“
Quand on lui demande pourquoi il a une esthétique si spéciale, David Lynch répond que c’est parce qu’il est capable de faire la part des choses. Ce que ça veut dire est abstrait, il ne pense qu’au visuel.curatrice
Dans la quarantaine d’autres œuvres présentées au Cercle Cité, on pense davantage à des scènes de ses films. Des figures comme la femme au revolver et l’homme en train de rire y reviennent. Ce sont surtout les scènes d’intérieur qui traduisent son univers filmique, réunissant collages et superpositions d’éléments très familiers, souvent liés à l’enfance, et perturbants, qui peuvent souvent contenir des références érotiques. „On ne sait pas quels sont les éléments qui nous tiennent au réel. Tout semble foutre le camp, dans une chose totalement non maîtrisée“, confie Alex Reding. C’est dire si c’est à un véritablement dérèglement des sens que le Cercle Cité invite en exposant la légende du cinéma indépendant.
Infos
Jusqu’au 16 avril 2023 à l’Espace d’exposition Ratskeller, entrée rue du Curé à Luxembourg. Entrée libre, tous les jours de 11 à 19h. Visite guidée les samedis à 15 h.
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Meinen Sie „Small Stories“ statt „smalls“?
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Oh ja, danke für den Hinweis.
-Grüße aus der Redaktion