Festival de Cannes / Extension du domaine de la sélection cannoise
Avec six coproductions à Cannes, le Luxembourg bat le record de l’année précédente, où il y en avait eu trois – et la journée luxembourgeoise retourne enfin, après deux années difficiles, aux étapes obligatoires, avec le sempiternel rendez-vous avec Xavier Bettel au village international.
Après une année en demi-teinte, où le village international paraissait plutôt désert et où le Luxembourg avait décidé de marquer malgré tout sa présence, ce que les trois coproductions en sélection officielle légitimaient tout à fait, voilà que la journée luxembourgeoise reprend son petit bonhomme de chemin, avec le retour du ministre des Médias Xavier Bettel, à qui le secteur du film expose, d’année en année, ses demandes (financières), demande à laquelle Bettel a coutume de se dérober en puisant dans son réservoir de tours rhétoriques: „Si vous arrivez à 18 films en sélection, on en reparlera“, conclut-il en plaisantant, faisant allusion aux six coproductions luxembourgeoises qui ont réussi à figurer dans des sélections du festival.
En effet, pas moins de trois coproductions luxembourgeoises, dont deux avec l’actrice Vicky Krieps, („Corsage“ de Marie Kreutzer et „Plus que jamais“ par Emily Atef/Samsa, auquel se rajoute „Harka“ de Lotfy Nathan (Tarantula) figurent dans la sélection „Un certain regard“. Ensuite, on retrouve le Luxembourg dans la „Séance spéciale“ („Le petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux“, par Amandine Fredon et Benjamin Massoubre/Bidibul), la „Séance de minuit“ („Rebel“ par Adil El Arbi et Bilall Fallah/Calach Films) et dans la „Quinzaine“ („Pamfir“ par Dymtro Sukholytkyy-Sobchuk, coproduit par Adolf El Assal). En plaisantant, Guy Daleiden, directeur du Film Fund, estime qu’il faudra, si le Luxembourg continue sur cette lancée, „penser à agrandir le stand afin qu’on arrive à y mettre toutes les affiches en sélection“.
Au-delà des passages obligatoires sur l’unité et la solidarité d’un milieu pourtant en concurrence – Bettel reviendra là-dessus –, le directeur du Film Fund souligne les initiatives récentes du Fund: aux aides aux auteurs et cartes blanches viennent s’ajouter le soutien plus spécifique aux productions de femmes, l’accord signé pour encourager le codéveloppement d’initiatives avec le Portugal ainsi que la toute nouvelle initiative avec RTL au niveau du développement de séries, initiative qui avait été lancée par un appel à projets qui s’était clôturé en début d’année. Quatre séries ont été retenues de cet appel à projet, qui débouchera sur une convention entre RTL et le gouvernement dans les prochaines semaines, dixit Xavier Bettel.
Quand Nicolas Steil prend la relève, on est tout de suite dans le domaine des métaphores un peu éculées : l’année actuelle serait „un bon cru“, le milieu cinématographique une „équipe“ et Guy Daleiden un „éleveur de champions“, tout cela ne pouvant évidemment fonctionner sans „le chef d’orchestre Xavier Bettel“, analogie cependant un peu maladroite puisqu’on voit mal où et dans quel sens Bettel dirigerait un orchestre – qui plus est, le chef d’orchestre, en général, n’a pas pour rôle de mettre à disposition du fric.
Une fois ce ballet d’analogies terminé, Steil en vient droit au but (vous aurez remarqué que je le maîtrise aussi, l’art de la catachrèse): „Pendant la pandémie, il y a eu une espèce de révolution par rapport à l’utilisation des œuvres que nous produisons. S’il y a beaucoup moins de spectateurs en salles pour les films d’auteur, de nouveaux marchés – celui des séries, celui de la réalité virtuelle ou augmentée – ont prospéré“.
Le but serait de soutenir, à côté du développement des (co-)productions luxembourgeoises, le développement de ces „très longs films que sont les séries“ et de voir comment se positionner par rapport aux plateformes tout en accentuant aussi les productions de réalité augmentée. „On arrive donc à la limite du budget qui nous est alloué, puisque au-delà du marché traditionnel, il y en a deux nouveaux à explorer.“
Pas d’augmentation de budget
Quand c’est au tour de Bettel de prendre la relève, celui-ci commence en insistant qu’il faut arrêter avec cet éternel complexe d’infériorité (je paraphrase, il n’a pas utilisé cette expression à laquelle recourent souvent les universitaires quand ils débattent du sort de la littérature luxembourgeoise, on sait bien que Bettel et l’université, c’est deux paires de manche) qui fait qu’on pense ne pouvoir arriver à rien si on vient du Luxembourg.
Selon Bettel, ces six sélections prouvent quelque chose: „Quand vous avez des nominations ou des sélections à Tribecca, à Annecy, à Cannes, c’est autre chose que de se taper sur l’épaule soi-même pendant la cérémonie du Filmpräis – et ça me permet aussi de me dire que cet argent a été bien investi.“
Passons néanmoins, avant un final où des allusions à des tensions antérieures vibrent derrière un discours qui chante la nécessaire solidarité du milieu, à la réponse aux demandes d’augmentations budgétaires du secteur: „Je n’ai jamais promis des choses que je ne tenais pas, et je ne devrais peut-être pas le dire car dans un an et quelque, il y aura les élections. Mais je vous le dis franchement: je n’arriverai pas à changer le budget cette année-ci.“ Ce que le ministre des Médias justifie de façon assez cohérente: l’Etat aurait investi quelque deux milliards pour que la pandémie ne tue pas l’économie. „Si le secteur a réussi à tenir, c’est notamment grâce à des aides telles que le chômage partiel, les aides indirectes.“ S’y rajoute un milliard pour compenser l’impact de ce qui se passe en Ukraine et la hausse des coûts de vie qui en résulte.
Nicolas Steil y répondra encore brièvement, soulignant que c’est plus un engagement programmatique qu’on visait – la demande serait moins une demande d’augmentation de budget immédiate qu’un espoir que le gouvernement suivra le secteur dans les nouveaux défis qui se présenteront. Finalement, conclut Steil, le secteur tout entier souhaiterait que Bettel assume encore, après les prochaines élections, son rôle de chef d’orchestre. Au moins, on aura su ce que cochera Steil lors du scrutin de l’an prochain.
Trois questions à Guy Daleiden, directeur du Film Fund
Tageblatt: Le retour à la norme au Festival de Cannes se traduit-il par un retour à un certain bien-être du secteur?
Guy Daleiden: Je n’irai pas jusqu’à parler de bien-être. Depuis deux ans, notre secteur est très touché par la pandémie – au même titre que nombre d’autres secteurs tels l’événementiel et la gastronomie. Pendant une partie de la pandémie, on n’avait pas le droit de tourner des films, donc pas le droit, pour de nombreuses personnes du milieu, de travailler. Et les films déjà finis ne pouvaient pas sortir, puisque les salles étaient closes. Des bouchons se sont donc produits à un peu tous les niveaux. C’est une des raisons pour lesquelles des plateformes comme Netflix ont eu tant de succès: cela permettait d’en finir un peu avec ces embouteillages. Aujourd’hui, on peut à nouveau travailler et les gens ont le droit de retourner au cinéma. Mais des bouchons demeurent: au niveau international, il y a bon nombre de films qui ne sortent pas parce qu’il y en a trop, tout simplement. Pour ce qui est des films qui n’ont pas pu être tournés, cela se résout peu à peu: à l’heure actuelle, trois films sont tournés au Luxembourg – le nouveau Andy Bausch, un long-métrage de Loïc Tanson, et „15 Jahre“, une coproduction de Samsa.
Six films en sélection à Cannes, ça doit faire rêver …
Certainement. Mais il faut rester modeste: si on a un seul film à Cannes l’année prochaine, je n’en serai absolument pas déçu. C’est plutôt ça, la norme. L’année dernière, cette année-ci, ce sont des années exceptionnelles. Qu’on ait six films montre que notre secteur a bien travaillé, qu’il y a une reconnaissance internationale de nos acteurs – notamment de Vicky Krieps, présente dans deux films –, de nos techniciens, de nos producteurs. Cela implique aussi qu’on propose des films de haute qualité à nos producteurs – on ne vient pas nous présenter des navets. Enfin, cela veut dire aussi que notre comité de sélection a peut-être aussi pris les bonnes décisions.
Comment réagissez-vous à l’annonce qu’il n’y aura pas d’augmentation budgétaire?
Je comprends tout à fait qu’avec tout ce qui se passe dans le monde, il y a plus urgent que notre secteur. Il faut attendre que ces choses-là soient réglées. Après, je dis qu’on aurait évidemment besoin d’un petit peu plus de budget, notamment à cause des nouveaux médias comme la VR et les séries. Mais attention, je dis bien: un peu. Car si on nous donne beaucoup plus d’argent, il nous faudra produire plus de films – et pour cela, il faudrait plus de gens, qu’on n’a pas. Cela impliquerait donc d’importer des gens et d’agrandir le secteur de façon artificielle, ce que je trouve aberrant.
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