France / Face à Barnier, la vraie-fausse bienveillance du Rassemblement national
Tandis que Michel Barnier poursuit ses consultations en vue de constituer son gouvernement – selon un périmètre qui alimente bien des spéculations, mais dont toute la gauche parlementaire refuse catégoriquement de faire partie – une rumeur commence à courir, selon laquelle il y aurait une sorte d’accord secret entre le Rassemblement national et Emmanuel Macron.
Cet accord consisterait, selon ceux qui en répandent le bruit, non pas certes à faire mener au premier ministre la politique, ou au moins les principaux projets, de Marine Le Pen et ses amis, mais du moins, en échange de gages et de concessions partielles, à obtenir leur neutralité bienveillante, sous bénéfice d’inventaire au jour le jour. Ce qui permettrait au nouveau gouvernement de ne pas être immédiatement renversé par la motion de censure que de leur côté, les dirigeants de la gauche annoncent vouloir déposer, et faire voter à leurs troupes comme un seul homme, avant même que M. Barnier ait prononcé sa déclaration de politique générale, et quel que soit le contenu de cette dernière.
Puisque justement, expliquent-ils à l’unisson, y compris l’ancien président François Hollande, ce cabinet est l’otage du RN. Certains ajoutant malicieusement: „C’était bien la peine d’en appeler au barrage républicain contre l’extrême droite si c’était, quelques semaines plus tard, pour s’acoquiner avec elle!“ Cette vision des choses a été encouragée, involontairement ou non, par une formule de Mme Le Pen assurant que „ce gouvernement sera évidemment sous surveillance.“
A quoi, du côté du bloc central, on répond deux choses. La première est que tout gouvernement est évidemment, en toutes circonstances et dans toute démocratie, „sous la surveillance“ de l’opposition (à quoi l’on pourrait d’ailleurs ajouter: et de l’ensemble du Parlement). Ce qui ne préjuge en rien du zèle qu’il déploiera, ou non, à complaire à ses adversaires pour éviter leurs foudres parlementaires. En second lieu, on fait valoir que Michel Barnier, qui doit s’entretenir prochainement avec des dirigeants de la gauche, ne demanderait certainement pas mieux que de pouvoir nommer – aussi – des ministres socialistes modérés, s’ils ne faisaient l’objet d’un interdit radical de leur parti. Comme celui-ci a refusé que l’ancien premier ministre PS Bernard Caseneuve puisse être nommé à Matignon par le chef de l’Etat, comme il en était fortement question voici quelques jours encore.
Et de fait, de part et d’autre, on assure qu’il n’y a eu, et qu’il n’y aura, aucun accord possible entre ce qu’il reste du macronisme et ses alliés républicains d’un côté, le RN de l’autre. Mettant, parmi d’autres, les points sur les i, un député lepéniste, Thomas Ménagé, a insisté: „Nous ne saurions participer au gouvernement Barnier, puisque nous sommes dans l’opposition, et que nous ne partageons ni le même programme ni les mêmes positionnements politiques.“
„Nous avons le sens des responsabilités“
Dont acte, même s’il ne s’agit pas tout à fait de la même chose de ne pas participer à un gouvernement ou de le renverser. Mais Marine Le Pen s’est faite plus explicite, révélant ainsi, implicitement, une partie de sa stratégie dans la perspective de la présidentielle de 2027: „Nous avons le sens des responsabilités. Notre souhait n’est pas de susciter le blocage. Si nous l’avions voulu, nous aurions fait comme le Nouveau Front populaire et menacé de censurer tout le monde.“
Autrement dit, le RN laisse le soin à la coalition de gauche de précariser le sort de la nouvelle équipe ministérielle, lorsqu’elle sera en mesure de se présenter devant le Parlement, et d’incarner ainsi, au fond, une sorte de retour à la IVe République. Lui-même se gardant un solide moyen de pression sur l’exécutif avec cette vraie-fausse bienveillance, qui n’exclura évidemment pas les coups de griffes, voire les coups tordus. Car puisque la gauche dira toujours non, l’extrême droite espère bien être en position de vendre très cher, sinon son approbation, du moins son abstention. Et poursuivre ainsi sa dédiabolisation, face à une LFI toujours adepte de la stratégie de la tension. Après quoi Barnier, ou son successeur quel qu’il soit, devra évidemment, pour les stratèges du RN, être renvoyé, le jour venu, dans les ténèbres politiques.
Un élément de plus qui confirme que cette nouvelle législature, quelles que soient les péripéties qui l’attendent, sera décidément placée sous le signe de la course à l’Elysée. Dont l’actuel locataire doit se mordre tous les jours les doigts d’avoir ainsi créé un tel désordre des institutions, lui qui était censé en être le garant.
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