Jazz / Improvisations accordées: le „free“ signé Pilz-Reis-Dahm-Martiny
Pilz-Reis-Dahm-Martiny, c’est le quatuor jazz composé par le clarinettiste basse Michel Pilz, le pianiste Michel Reis et les batteurs Pit Dahm et Benoit Martiny. Michel Pilz nous a tristement quittés l’an dernier. „Mayhem“, le disque du groupe, fait office de dernier témoignage sonore du grand musicien qu’il a été. Il s’agit aussi d’un album de jazz aventureux, empli de trouvailles ingénieuses et, plus largement, de vie. Benoît Martiny nous en parle ici.
Votre groupe s’appelle Pilz-Reis-Dahm-Martiny: Michel Pilz ayant tragiquement disparu l’an dernier, vous n’êtes donc plus un quatuor, mais un trio …
Benoit Martiny: Le nom du groupe, ce sont nos noms accolés. Et ce groupe, justement, n’existe plus vraiment. Le 25 septembre prochain, nous allons jouer au Kasemattentheater, mais c’est surtout pour présenter le disque. Michel Pilz est irremplaçable. Si l’on a fait une opération de promotion, c’est pour que l’album puisse exister, qu’il fasse figure d’hommage à Michel. On va voir ce qu’on va faire. Si l’on intègre un autre musicien, ça ne sera plus ce groupe.
Vous faites du jazz, mais votre disque, „Mayhem“, porte le nom d’un groupe de métal.
Le nom est souvent utilisé, oui. Je l’avais choisi en titre de travail provisoire, il possède une force impactante. Mayhem veut dire désordre, chaos. C’est parce que, chez nous, ça commence avec du bruit et ça se termine avec … beaucoup de bruit. Mais il s’agit plutôt d’un désordre positif. Le free jazz, c’est bruitiste, parce que c’est rebelle.
Le free jazz, c’est un peu le versant punk du jazz, vous ne trouvez pas?
Absolument. Le free jazz s’est développé d’abord aux Etats-Unis, à la fin des années 1950, puis avec la guerre du Viêt Nam, et surtout avec les luttes de classes pour les afro-américains. Le jazz est, à l’origine, la musique d’un peuple opprimé. En Europe, le free jazz s’est inspiré des Américains, mais il a eu une autre raison d’exister, notamment le free allemand, duquel Michel Pilz faisait partie. Les jeunes se rebellaient contre leurs parents, qui étaient, en partie, encore des nazis, ou qui, en tout cas, ne se prononçaient pas à propos de l’Histoire allemande, pendant la Seconde Guerre mondiale. Le free a toujours eu un sens politique.
Pour votre groupe aussi, le free est politique?
Je trouve que le free jazz a sa place, plus que jamais, dans le monde d’aujourd’hui. Mais nous, on aime, avant tout, cette musique, car on aime l’improvisation. Michel Pilz était un maître en la matière. Cela dit, notre album n’est pas composé à 100% de free jazz: il y a des compositions de Michel Reis et de Pit Dahm; il y a même des ballades, si l’on veut. En fait, on est libres, quelque part, à l’intérieur même du free.
Le free jazz fait sauter le format pop: c’est un genre qui, loin des standards radio, est par définition anti-commercial.
Oui, c’est un style rattaché à une niche. Je trouve néanmoins que notre album a une certaine forme d’accessibilité; un auditeur de jazz plus classique peut s’y retrouver.
Votre groupe s’est formé aussi de façon improvisée: lors du pot de départ de Danielle Igniti (ex-directrice d’ Opderschmelz et de Like a Jazz Machine), vous êtes montés sur scène pour jouer un morceau et la sauce a pris.
L’improvisation a été complète. On était les derniers à monter sur scène. Moi, j’avais déjà mon duo avec Michel Pilz; Michel Reis et Pit Dahm étaient eux-mêmes en duo. On a joué deux minutes ensemble, et ça a été très inspirant, il y a eu, tout de suite, une merveilleuse chimie. On s’est dit alors qu’il fallait qu’on aille plus loin. On a préparé une performance au Like Jazz Machine, entre-temps, il y a eu la pandémie et les conséquences que l’on sait. En 2021, l’album a été enregistré surtout en résidence, on l’a échafaudé comme un album studio. On a commencé par plein de bruits aux percussions, on a joué ensuite un titre composé par Michel Pilz, puis une improvisation … On savait où l’on allait aller, mais on ne savait pas ce qui allait se passer.
Vous découvriez le morceau en temps réel, comme n’importe quel auditeur.
Tout à fait. On avait une carte qui déterminait le point de départ et le point d’arrivée. On a joué sans pause, pas titre par titre. Dans le disque, il y a un morceau qui a été capté en concert, mais le reste a été confectionné en studio.
Votre groupe trouve son équilibre entre, pour vous citer, une „fusion des tempéraments“ et une „communion naturelle“.
Dans le groupe, chaque membre peut jouer ce qu’il veut. Chacun peut y injecter sa personnalité. Et la magie, c’est que ça a très bien marché, mais c’était risqué. En jouant avec un musicien aussi créatif que Michel Reis, en tant que batteur, je n’ai rien à faire, il démarre et tout devient limpide. Il faut avoir les oreilles très ouvertes. Il ne faut pas aller sur scène en se disant avec obstination: „Je vais jouer ça maintenant.“ Si l’on fait un plan, il y a de grandes chances pour que celui-ci soit détruit par un quelconque imprévu.
Vous êtes deux batteurs: comment se passe la communication, même muette, pour qu’il n’y ait pas de cafouillage?
Pit et moi, on s’accorde bien. Ma batterie est accordée un peu bas, là où la sienne, plus jazz, sera accordée plus haut. Il joue plus fort que moi, mais sans doute parce qu’il est plus jeune! Il faut dire qu’on ne s’entend pas tout le temps à 100%, mais on essaye de se compléter: s’il joue un groove, je joue avec des petites percussions; s’il joue sur les cymbales, je joue sur la caisse claire. C’est aussi une question d’énergie. Il s’agit de faire beaucoup de bruit. Alors, on n’entend pas toujours chaque note, mais ce n’est pas important. Car deux batteries, en effet, constitue un risque, on peut ne pas les distinguer. Mais le mix est très bon, il a été assuré par Frank Jonas, le guitariste de mon groupe (Benoît Martiny Band) qui, en plus d’être un super guitariste, est un producteur talentueux. De toute façon, il faut se regarder et s’écouter, c’est ainsi que l’on crée de la singularité.
Travailler avec lui ces dix dernières années, ça m’a fortifié, ça m’a rendu plus sûr de mon jeu. Et puis Michel a joué à une époque où j’aurais aimé vivre, les années 1960 et 1970, avec un public, nombreux, qui appréciait ce genre de musique.musicien
Quels souvenirs gardez-vous de votre relation avec Michel Pilz?
Michel était un musicien magistral. Entre lui et moi, en plus d’avoir une passion commune, notre histoire a évolué sous le signe de la confiance. Il m’a accordé la sienne, je ne l’oublierai jamais. Travailler avec lui ces dix dernières années, ça m’a fortifié, ça m’a rendu plus sûr de mon jeu. Et puis Michel a joué à une époque où j’aurais aimé vivre, les années 1960 et 1970, avec un public, nombreux, qui appréciait ce genre de musique. Michel me disait aussi qu’il jouait devant des gens très jeunes. Alors qu’aujourd’hui, le public jazz est composé d’un public ayant un certain âge – cela dit, le public rock, parfois, aussi.
Infos
„Mayhem“ est sorti en vinyle et en digital (trouvable chez CD Buttek beim Palais et sur le Site du Label)
25/09: L’album sera joué au Kasemattentheater à Luxembourg-ville.
2/11: Concert Tribute to Michel Pilz Opderschmelz à Dudelange avec plein de musiciens qui ont joué avec lui pendant sa longue carrière.
- Sandy Artuso macht mit „Queer Little Lies“ Esch zum queeren Kultur-Hotspot - 26. November 2024.
- Gewerkschaften und Grüne kritisieren „Angriffe der Regierung“ auf Luxemburgs Sozialmodell - 26. November 2024.
- Sozialwohnungen statt Leerstand: Was die „Gestion locative sociale“ Eigentümern bieten kann - 26. November 2024.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können.
Melden sie sich an
Registrieren Sie sich kostenlos