Frankfurter Buchmesse / Incarner la littérature: Jean-Philippe Rossignol sur les défis qui attendent la littérature luxembourgeoise
Après un parcours marqué par des étapes chez Flammarion et la Compagnie Ghislain Roussel, Jean-Philippe Rossignol est nommé responsable littérature et édition chez Kultur|lx. Le Tageblatt s’est entretenu avec ce passionné de littérature sur les défis qui attendent le secteur.
Installés dans une cafète qui a déjà fermé son self-service à 17 heures battantes, symbolisant un peu tristement cette première mouture (peut-être) postpandémique, nous nous entretenons donc sans prendre le café avec Jean-Philippe Rossignol, responsable de la littérature et de l’édition chez Kultur|lx.
Pour ce touche-à-tout pétillant d’idées – il est éditeur, écrivain, programmateur … –, le paysage littéraire et éditorial du Luxembourg est à la fois „une découverte et pas une découverte“, puisqu’il avait pu découvrir, alors qu’il présidait la Compagnie Ghislain Roussel, une partie émergée de l’iceberg littéraire du pays – un premier ancrage qui, pour lui, s’est fait par le biais de Hydre Editions et s’est poursuivi par des projets sur la traduction et l’animation de rencontres.
„Maintenant, c’est complètement différent, puisque je suis d’ores et déjà imprégné des nouveautés littéraires et que je travaille avec quelque dix éditeurs très actifs, dont je découvre le catalogue“, estime Rossignol. „S’il y a cette joie de découvrir tout un univers littéraire, je ne suis pas ici dans ma fonction d’éditeur: mon rôle est d’accompagner, de soutenir, de promouvoir, de voir comment il est possible de mieux défendre les auteurs et éditeurs dans le pays, mais aussi à l’extérieur.“
Rossignol est la troisième personne à endosser la responsabilité d’exporter la littérature luxembourgeoise à l’étranger. Après un premier retour à Francfort organisé par Anina Valle Thiele en 2018, qui se conclut par la volonté de marquer aussi une présence sur d’autres salons, l’ALAC retourne à Francfort sous la responsabilité de Marc Rettel et Aviva Rübel en 2019, puis n’y retourne pas en 2020, comme d’ailleurs personne ne le fera en cette difficile année pandémique.
Rossignol s’estime heureux de pouvoir s’appuyer sur de tels acquis et dit s’inscrire dans le travail effectué par Reading Luxembourg, qui consistait à mieux structurer, mieux mettre en avant les activités littéraires et éditoriales du pays. „Reading Luxembourg mettait l’accent sur des questions européennes en s’inscrivant aussi dans une sorte de politique éditoriale, avec la force du Luxembourg en termes d’image, de branding. Si je ne remets pas cela en cause, j’ai aussi envie d’apporter modestement ma propre expérience pour faire en sorte que les auteurs et éditeurs soient plus incarnés, qu’on connaisse mieux leurs démarches et leur travail. Pour cela, il faut qu’ils prennent la parole – dans les institutions culturelles, dans les librairies et la presse. Car si des auteurs comme Anise Koltz ou Lambert Schlechter sont implantés depuis longtemps, il y a toute une jeune génération d’auteurs entre 25 et 45 ans, qui ont plein de choses à dire sur des thématiques pas forcément luxembourgeoises et pour lesquels il s’agira de faire le même chemin que pour ces auteurs établis.“
Cette idée d’incarnation, de matérialité lui tient à cœur. Elle est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Rossignol estime qu’il fallait venir à Francfort en dépit de l’absence de bon nombre de grands éditeurs: „Disparaître sur encore une session n’aurait pas été une bonne idée. Même si c’est une foire de cession de droits, de rencontres entre éditeurs et agents, il m’importe de montrer qu’il y a des gens derrière, qu’il y a des genres, des styles, des univers, des constructions romanesques. On n’est pas dans un monde de digitalisation complète, et parler de littérature sans la vivre ou faire vivre me paraît absurde.“
Rossignol confirme que des négociations avec Oliver Zille, directeur de la Leipziger Buchmesse, ont lieu, qui devraient aboutir à une présence luxembourgeoise, puis déploie toute une liste de salons et festivals pour lesquels il serait intéressant de marquer une présence luxembourgeoise, dont Livre Paris en avril prochain, qui passe du format salon au format festival, et pour lequel il réfléchit à une présence d’auteurs luxembourgeois. „C’est un peu complexe car ils sont dans une phase de transition“, explique-t-il avant de poursuivre: „On imagine toujours la présence du Luxembourg à Londres, Berlin ou Paris. J’ai envie de développer une présence plus ponctuelle sur la Grande Région. Metz et Nancy sont à une heure de train. Ce sont des villes qui accordent une grande importance aux librairies, aux salons, et qui ont un lien plus direct avec le Luxembourg. Il y a plein de choses à imaginer sur ce plan-là, comme par exemple une présence plus soutenue d’auteurs luxembourgeois dans leurs librairies. Avec Aviva Rübel, on réfléchit aussi à des lieux de résidence pour les auteurs du pays.“
Là encore, tout un tourbillon de résidences lui vient à l’esprit, dont la villa Yourcenar à Saint-Jans-Cappel ou le Théâtre de la Chartreuse à Avignon. Car s’il est vrai que la présence annuelle d’un auteur luxembourgeois au magnifique LCB berlinois est un véritable développeur de carrières, côté français, les résidences d’auteurs luxembourgeois sont moins systématiques. „Chez Kultur|lx, on peut être un relais pour ça. Mais c’est évidemment aux auteurs d’imaginer, d’élaborer les projets.“
De nombreux défis
L’un des problèmes centraux de la littérature luxembourgeoise, c’est son manque de visibilité. Cela commence, au Luxembourg, par l’éducation nationale, qui continue à ne pas trop promouvoir sa littérature dans les écoles. „Je sais que depuis des années, auteurs et éditeurs ont fait front pour être mieux représentés dans les lycées, parfois avec du succès, parfois avec des échecs, souvent, à force de batailler, avec du découragement, aussi. Je ne suis pas du tout un magicien, je n’ai pas de baguette magique. On va essayer encore et encore de convaincre le ministère pour que les professeurs disposent de matériel pédagogique, que la Luxemburgensia soit inscrite dans leur programme, mais ça doit passer par les directives du ministère.“
Autre cheval de bataille, et de taille: la distribution et la diffusion, encore très déficientes, ce qui fait que même des auteurs luxembourgeois écrivant en français et en allemand sont aux abonnés absents des librairies de nos pays voisins. Rossignol nous informe qu’il a eu, le matin du jour de notre entretien, une discussion avec la responsable du domaine international et territorial du Centre national du livre, qui portait sur un nouveau dispositif assurant la présence de livres d’éditeurs étrangers dans les librairies françaises.
„Développer la présence en librairie, les résidences, les festivals: tout cela est complémentaire du travail de traduction. Il s’agira de voir comment des auteurs luxembourgeois pourraient être traduits et publiés dans d’autres pays. L’idée est de choisir de façon ciblée, par exemple un livre germanographe et de le présenter à une maison d’édition française dont on pense que la ligne éditoriale peut coïncider avec le livre en question. Présenter tout un catalogue ne servirait à rien: l’éditeur ne peut pas s’y repérer.“
Fort de son expérience, Jean-Philippe Rossignol estime que, pour développer la littérature luxembourgeoise, „il faut qu’elle soit forte nationalement. Je veux comprendre comment fonctionne le réseau de diffusion pour voir comment l’améliorer, le professionnaliser. Les libraires doivent trouver les motifs commerciaux pour mettre en avant les productions éditoriales du pays. C’est aussi le rôle du libraire que de promouvoir la littérature en organisant des rencontres, des événements ciblés. Les productions éditoriales du pays sont souvent séparées des livres en allemand, français ou anglais. Le multilinguisme est à la fois une force et un piège. Il ne faut pas écarter la Luxemburgensia, il faut que ces livres soient sur les tables, avec les auteurs allemands et français. Là encore, ce n’est pas à moi de décider cela, il faut que les libraires le fassent. Mettre la Luxemburgensia à l’écart, c’est une manière d’assumer avec fierté son identité littéraire tout en la mettant à l’écart, en la régionalisant, en la compartimentant.“
Pour Rossignol, il faudra développer des temps forts autour d’une véritable rentrée littéraire et rééquilibrer les parutions, tant il est vrai qu’une grande majorité des titres sort pour les „Walfer Bicherdeeg“. Enfin, dernier chantier évoqué, le fait qu’il soit difficile pour le milieu éditorial de fidéliser des collaborateurs dans la durée, qui souvent quittent l’édition pour rejoindre des postes d’Etat. „Ce qui va être intéressant, c’est de voir si l’université va pouvoir créer des masters en métiers du livre. Pour professionnaliser le secteur éditorial, il faut qu’il y ait en amont une filière professionnelle. En fin de compte“, conclut Rossignol avec un sourire, „il faudra simplement améliorer les choses qui fonctionnent – et contrer celles qui dysfonctionnent.“ Et tout cela sans baguette magique.
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