Netflix / (In)tolérable cruauté
„Marriage Story“, le nouveau long-métrage Netflix de Noah Baumbach, est un film dur, triste et beau sur la rupture amoureuse et le divorce.
Ça commence par un trompe-l’œil, une séquence qui pourrait être tirée d’un pastiche du „Fabuleux destin d’Amélie Poulain“, au cours de laquelle la voix off de Charlie (Adam Driver) commence par lister les qualités de sa conjointe Nicole (Scarlett Johansson) avant que Nicole ne fasse l’éloge de Charlie, les deux n’étant pas sans omettre ces tares charmantes (elle laisse traîner partout ses tasses de thé, lui engloutit la nourriture comme s’il n’y en avait pas assez pour tout le monde, les deux sont d’assez mauvais perdants) qui en début de relation enchantent avant que la vie conjugale ne les révèle sous des auspices plus sobres et qu’on n’en arrive à s’énerver du désordre de l’un et du peu de manières de l’autre.
La séquence, illustrée par des fragments de scènes qui par petites touches, donnent le la (ils sont intermittents du spectacle, se sont mariés un peu vite, ont un enfant, Henry, âgé de huit ans), touche juste, mais paraît annoncer, pour qui ne connaît pas Noah Baumbach, un film un peu niais. Quand elle fait mine de s’achever, Charlie et Nicole se retrouvent chez un médiateur. Ils vont divorcer. Le médiateur leur a ordonné de dresser l’inventaire des qualités de l’ex-partenaire – inventaire qu’on vient d’entendre – afin qu’on se rende compte des raisons pour lesquelles l’on était tombé amoureux à l’époque. Sauf que Nicole refusera de s’adonner à la mièvrerie d’une telle scène, et qu’elle partira en trombe du cabinet du médiateur.
Rupture à l’amiable?
A partir de là, les choses vont se gâter. Lui, Charlie, est un metteur en scène de théâtre d’avant-garde dont la dernière production a réveillé l’intérêt du Broadway. Il est égocentrique, compétitif et un peu gauche. Elle, Nicole, connue avant tout pour un premier film dans lequel elle montrait ses seins, s’est entichée de cet homme charmant jusqu’à devenir l’égérie de sa troupe de théâtre, l’actrice un peu connue qui déclenchait l’intérêt des médias et du public pour les productions de Charlie. Elle est têtue, déterminée – et elle en a marre de rester dans l’ombre d’un homme qu’elle était prête à suivre partout, qu’elle a nourri de ses idées à elle, et qui l’a remercié en la trompant avec un membre de la troupe.
Le moment de la rupture, c’est précisément quand elle se fait offrir un rôle dans une série télévisuelle, que lui s’en moque tout en lui proposant de réinvestir les sous qu’elle gagnerait grâce à ce bas métier dans sa compagnie théâtrale. Réalisant qu’elle ne vivait non seulement dans l’ombre de Charlie, mais que dans sa relation avec lui, elle s’était rapetissée au point de devenir son ombre, elle déménage à Los Angeles, où elle s’installe d’abord chez une mère égocentrique et imbuvable (Julie Hagerty), puis contactera, sur le conseil d’une autrice de série, Nora (Laura Dern), une avocate du divorce impitoyable qui flaire bien la bonne affaire – ayant déjà fait gagner des parts d’une chanson de Tom Petty à l’ex-épouse de celui-ci, elle entend bien faire profiter Nicole (et son portefeuille à elle) du MacArthur Grant que vient de décrocher Charlie.
Médiateurs, évaluateurs, avocats
Au-delà des vignettes d’étude de deux microsociétés – le milieu du théâtre d’avant-garde new-yorkais et celui des plateaux de tournage à Los Angeles – et des quelques scènes hilarantes que Baumbach en fait découler, „Marriage Story“ se passe dans le huis clos du couple défait, oscillant entre scènes d’une absurdité hilarante (la remise de l’enveloppe avec les papiers du divorce), d’une solitude glauque (les chambres d’hôtel à L.A.) et d’une tristesse déchirante (la visite de l’évaluatrice chez Charlie, presque lynchienne dans sa texture et ses silences).
Là où „Intolerable Cruelty“ des frères Coen faisait du divorce une joyeuse et grinçante comédie de mœurs sur la connerie des hommes et la cruauté des juristes, „Marriage Story“ déplace son point de vue (bien plus empathique) du côté d’un couple pris dans un engrenage dont il ne parviendra plus à s’extirper, la colère et le ressentiment incitant Nicole et Charlie à commettre exactement les erreurs qu’ils s’étaient toujours juré de ne jamais commettre (la plus grande consistant à recourir à des avocats), à se livrer une guerre impitoyable entre partenaires – une guerre d’autant plus terrible que lors de la vie en couple, l’on a livré, en se dénudant, en se montrant sous son jour le plus vulnérable, toutes les armes qu’il faut à l’autre pour vous mettre en pièces.
Il y a, dans ce film, des scènes de dispute terribles, qu’on a tous plus ou moins connus. Il y a cette douleur de la rupture qui ouvre sur un abyme presque ontologique. Il y a cette déception, cette tristesse d’avoir trouvé quelqu’un avec qui partager son univers intime et de l’avoir perdu, cette déchirure de se trouver à nouveau seul avec ses lubies, ce gouffre dans lequel on tombe quand votre gamin dit préférer passer son temps avec l’autre. Il y a ce deuil qu’est la rupture amoureuse, un deuil qu’on doit faire à côté de la personne dont on le fait. Il y a l’incompréhension des autres, parfois hilarante, parfois révoltante, souvent les deux à la fois.
Un deuil difficile à porter
Il y a six mois, je recensais „Rompre“ (de Yann Moix) et „Lettres à Joséphine“ (de Nicolas Rey), deux livres nombrilistes, viriles, sur la rupture amoureuse, où l’autre n’était souvent qu’un prétexte au vain ressassement de manies narcissiques – et où l’on comprenait donc fort bien que la partenaire ait voulu prendre la poudre d’escampette. Rien de tel ici, les réactions des deux partenaires étant mis en scène sans parti pris, même si certains spectateurs choisiront évidemment de se ranger du côté de Nicole ou de Charlie, selon leur distribution des sympathies (le film jouant aussi pas mal sur les clichés inhérents aux comportements dits masculins ou féminins).
C’est dans les détails que le film touche le plus. Quand les deux se retrouvent dans une rame de métro et qu’ils ne se parlent pas. Quand après une dernière conversation new-yorkaise, Nicole s’en va dans la chambre conjugale – lui dort sur le canap’ – et qu’elle s’effondre. Quand lors d’un affrontement entre leurs avocats (car il devra s’en trouver un, Charlie, après que Nicole a brisé la promesse de s’en passer), Charlie ne sait pas quoi choisir pour déjeuner et que Nicole passe la commande pour lui. Et c’est dans ces détails que le casting du film révèle toute son ampleur – si Laura Dern et Ray Liotta sont impeccables, Scarlett Johansson et Adam Driver jouent avec une justesse et une précision terrible – c’est bien grâce à leur jeu que le film émeut si profondément. Si „Revolutionary Road“ (par Sam Mendes) montrait le lent délitement d’un couple brisé par de trop grands rêves et aspirations, „Marriage Story“ met en lumière la douleur qui vient après.
Alors oui, le côté vautour des avocats (Laura Dern et Ray Liotta) est parfois un peu caricatural (quoique probablement assez réaliste), la fin est un brin consensuelle et l’on peut toujours regretter de devoir regarder le film sur petit écran – à cause des montages habiles, de la beauté de certains enchaînements de séquences, d’une photographie imparable, il aurait mérité d’être projeté dans les salles de cinéma du pays. Mais ce sont là d’infimes critiques, largement compensées par la profondeur des personnages et la justesse à la fois du portrait et du propos.
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