Filmkritik / „Serre moi fort“ de Mathieu Amalric a de quoi intriguer
„Serre moi fort“ est, en apparence, l’histoire assez simple d’une rupture amoureuse. Pourtant, dans ce film formellement enjoué, fiction et réel se déconstruisent l’une l’autre, amenant le spectateur à suivre les rêveries de cette femme qui largue au cœur de l’indicible.
„Je m’en vais“: c’était le titre, fort limpide et simple, d’un roman de Jean Echenoz – l’un des rares romans des fameuses Editions de Minuit, rachetés par Gallimard fin juin 2021, à avoir eu le prix Goncourt – qui énonçait ainsi, de manière tout aussi limpide, son programme narratif.
Pour „Serre moi fort“, septième long-métrage de l’acteur et réalisateur Mathieu Amalric, les choses sont moins évidentes, même si son synopsis se veut l’écho, la déclinaison au féminin du roman d’Echenoz, qui se contente d’un laconique: „Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va.“ Cette femme, Cassandre, incarnée par l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps, qu’on ne présente plus (surtout pas à Luxembourg), paraît quitter son mari et ses deux jeunes enfants sans s’en expliquer, sur un coup de tête, larguant les amarres afin de retrouver sa liberté, loin du carcan de la vie familiale.
Comme son titre, où manque le trait d’union entre le verbe et le pronom possessif, l’indique, „Serre moi fort“ est l’histoire d’un effacement, d’une rupture: alors qu’on observe Cassandre s’en aller en voiture dans un début de road movie décliné au féminin, des séquences au cours desquelles l’on voit son mari Marc (Arieh Worthalter) se débrouiller au quotidien avec les deux gosses viennent s’enchâsser sans qu’on sache au juste, là réside tout l’intérêt de ce film fantomatique, s’il s’agit d’une rêverie (Cassandre s’imaginerait la vie de famille sans elle) ou du réel.
Les images savent très bien mentir
Assez rapidement donc, le doute s’insinue et persiste: comment qualifier les images, les séquences qu’on nous présente? Quel est leur statut ontologique? Car s’il est vrai qu’il est plus facile de mettre en scène des narrateurs indignes de confiance dans des fictions littéraires – dans un roman, on peut s’exempter de montrer et il est plus facile de laisser le lecteur dans le noir –, l’on sait que les images savent très bien mentir – ce qu’Amalric nous montre avec brio, amalgamant réalité, rêve et souvenirs, dans un long-métrage où fiction et réel se déconstruisent l’une l’autre.
Ainsi, la construction en miroir du film – dont on vous taira l’essentiel afin d’éviter de trop vous en dire – est telle qu’assez vite, on ne sait plus à quel réel – ou à quelle représentation du réel – se vouer: et si toute cette fugue n’était qu’un fantasme, qu’un délire narratif pour fuir une réalité bien différente, si toute cette fugue n’était qu’un moyen, pour cette femme, de substituer, à un réel traumatique, une fiction de son cru dont elle tiendrait les rênes là où, dans la réalité, c’est ce que montre Amalric, on ne les tient jamais vraiment, les rênes – on ne fait que faire semblant qu’on y croit encore.
Rappelant à la fois la partition de piano d’une pièce de Ravel ou de Debussy (pour ce qui est du cadre narratif et formel, sa construction en écho) et les improvisations du jazz (pour ce qui est du contenu même de ces scènes, légères et mélancoliques, écrites de façon souvent floue et planante, comme un souvenir qui s’estompe), „Serre moi fort“ a de quoi intriguer, même si, précisément, certaines trouvailles formelles paraissent un peu trop construites – la conversation-fantôme entre Cassandre et Marc, la musique comme embrayeur de séquences – et que l’on a parfois l’impression que les acteurs se perdent eux-mêmes dans les dédales de ce film construit comme une boucle, dont le caractère fantomatique, surréel nous hante bien au-delà du générique.
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