Elections en France / La bourgmestre d’Audun-le-Tiche entre crainte et espoir
Native d’Esch-sur-Alzette, petite-fille de mineur anti-fasciste italien et fille de Luxembourgeoise, la bourgmestre d’Audun-le-Tiche Viviane Fattorelli déplore l’amnésie des électeurs du Rassemblement national, comme l’indifférence des abstentionnistes sur son territoire.
Quand on cherche des traces du vote communiste séculaire à Audun-le-Tiche dans le résultat des élections européennes du 9 juin, il semble falloir le faire non pas dans les résultats des partis de gauche (le premier, socialiste, à moins de 14%) mais plutôt dans le fait que le Rassemblement national (RN) ne dépasse pas les 50% comme il le fait par exemple à Hayange, où les victoires ont commencé pour lui en Moselle avec la prise de la mairie par l’ancien syndicaliste Fabien Engelmann. Aux européennes du 7 juin à Audun, le RN a presque doublé son score: de 18,3% en 2019 à 32,3% le 9 juin. En nombre de voix, cela ne fait pas grand-chose (492 électeurs), mais c’est toujours beaucoup plus que les autres forces politiques. Pris sur le nombre d’électeurs inscrits, la situation semble moins dramatique: Audun-le-Tiche compte un peu plus de 7.000 habitants et le nombre d’électeurs inscrits s’élève à 3.985 électeurs. Le parti d’extrême-droite n’a conquis que 12,34% d’entre eux.
Un précédent
A Audun-le-Tiche, le Rassemblement national a triomphé pour la première fois en 2022, en emportant la 8e circonscription de Moselle, dont la commune fait partie aux élections législatives. Et encore. Ici, c’était bien la candidate soutenue par la gauche, l’Insoumise Céline Léger, qui était sortie en tête face au poids lourd que le RN avait parachuté sur place: Laurent Jacobelli, homme de médias, passé par TF1 et ancien directeur des programmes de TV5 Monde de 2005 à 2008, porte-parole du parti. La victoire dans cette circonscription traditionnellement à gauche, qui avait cru au macronisme en 2017, avait une forte valeur symbolique, mais aussi stratégique pour le RN.
Depuis la circonscription, le député Jacobelli n’a eu de cesse d’occuper le terrain, de multiplier les visites. „Il y a un avant et un après Jacobelli“, constate la maire d’Audun-le-Tiche, Viviane Fattorelli. „Avant, Fabien Engelmann était isolé. Depuis cette victoire, ils ont fait un gros travail de terrain et infiltré toutes les associations. Tous les week-ends, le député est là, alors que je ne l’invite pas. Il distribue les sourires et les poignées de main.“ Prendre Audun-le-Tiche serait une grande conquête pour le RN. Viviane Fattorelli le sait. „On est un des derniers bastions historiques de la gauche. Il sait que s’il fait tomber Audun-le-Tiche, il fait tomber tout le Pays-Haut.“
On est un des derniers bastions historiques de la gauche. Le RN sait que s’il fait tomber Audun-le-Tiche, il fait tomber tout le Pays-Haut.maire d’Audun-le-Tiche
La maire de gauche s’est donc employée à lui compliquer la tâche, devenant la bête noire du parti dans le coin. „J’ai été la seule à m’opposer à lui frontalement. Il n’a pas apprécié. Je suis dans l’oeil du cyclone.“ Elle a en retour subi les stratégies diffamatoires dont le parti d’extrême droite est coutumier. En évoquant par exemple „la république socialiste soviétique d’Audun le Tiche“. „On est dans la caricature la plus totale. Il y a une manière, au niveau sémantique, de vider les mots de leur sens pour mieux les détourner“, constate-t-elle. Jeudi dernier, au moment où l’alliance de six partis de gauche, le Nouveau front populaire, se mettait d’accord sur un programme commun, elle postait sur les réseaux sociaux des mots de Victor Klemperer, analyste du langage des nazis. „Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic: on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir.“
Une histoire italienne
La stratégie du parti arrivé en première place aux élections européennes consiste à réduire le débat à des formules, qui ne s’encombrent pas de la réalité des faits. „Ils emploient la caricature la plus crasse et ça marche. D’un argumentaire plus développé, les gens n’en ont pas envie. On est dans l’immédiateté des réseaux sociaux. (…) Ils ont réussi à renverser le paradigme et à faire passer les gens de gauche pour des antisémites“, regrette la maire.
Au printemps 2024, la commune a fait poser des pavés de mémoire devant les maisons d’habitants de confession juive déportés pendant la guerre. Deux ans plus tôt, elle en avait fait déposer devant les maisons de treize antifascistes italiens déportés– on y retrouvait notamment le père de Norbert Rutili, homme de théâtre bien connu au Luxembourg, décédé la semaine dernière, ou encore le grand-père de l’ancienne ministre socialiste de la Culture, Aurélie Filipetti (Filippo), native d’Audun, dont son père fut le maire.
Viviane Fattorelli est, elle aussi, la petite-fille d’un communiste italien anti-fasciste, réfugié à Esch-sur-Alzette dans les années 30. Elle y est née trois décennies plus tard, d’une mère luxembourgeoise, avant de venir s’installer, encore très jeune, avec ses parents à Audun-le-Tiche. Si elle n’est pas encartée, elle fait partie de l’association des élus communistes et républicains, groupe représenté à l’Assemblée nationale. Dans son bagage culturel, il y a l’impossibilité de banaliser un parti comme le Rassemblement national, dont le programme est la négation des principes énoncés dans la Constitution française.
En 2012, le politicologue lorrain François Roth expliquait le succès du Parti communiste des années 40 aux années 70 dans le bassin minier par le „prolongement politique aux luttes sociales et les syndicats“ qu’il avait donné et par l’apport des immigrés antifascistes d’origine italienne et de leurs enfants qui ont „fourni l’ossature du vote communiste et donné au parti une tonalité spécifique“. Néanmoins, force est de constater que cet héritage est en train de s’étioler.
Il est possible que le fait que le candidat du RN au niveau national, Jordan Bardella, et celui de la circonscription, Jacobelli, portent des noms à consonance italienne décomplexe les électeurs. En tout cas, il est un fait qu’une partie des descendants d’immigrés italiens alimentent la machine de l’exclusion. „Les plus vieux, qui étaient des politiques qui se sont battus, qui avaient une conscience de classe, ne sont plus là. Aujourd’hui, ce sont les enfants issus de l’immigration qui se laissent berner“, déplore Viviane Fattorelli.
À Audun-le-Tiche, il y a pourtant des raisons géographiques qui devraient dissuader de voter RN. „Je ne pense pas que tous les gens qui se laissent entraîner par les sirènes du RN sont racistes, loin de là. Ce qui me dérange, c’est qu’on est tellement proches de la frontière, 80% de la population travaille au Luxembourg et on ne se pose pas de questions“, s’interroge Viviane Fattorelli. „Ces gens qui votent RN et qui habitent Audun-le-Tiche sont pourtant, à mes yeux, des migrants économiques. Ils paient leurs impôts au Luxembourg et pèsent sur les finances de la collectivité alors qu’ils n’y contribuent pas. J’ai du mal à l’expliquer“, dit celle qui tous les jours traverse deux frontières pour enseigner au lycée germano-luxembourgeois de Perl.
Rétrocéder face au RN
Des services en souffrance, des prix du logement qui s’envolent, un chômage plus élevé que la moyenne nationale, malgré la proximité du Luxembourg: les causes de frustrations, terreau du vote RN, sont néanmoins nombreuses. Viviane Fattorelli fait partie des maires qui défendent un système de rétrocession fiscale. Mais là aussi, l’idée subit la droitisation des esprits. Le ministre vert Claude Turmes, favorable à l’idée, a été balayé avec son parti par un virage à droite. „Si le Luxembourg ne vient pas en aide, c’est ça qui l’attend. Après, ce sera à eux de composer avec le Rassemblement national“, prévient la maire.
Néanmoins, le fort taux d’absentéisme (plus de 60% aux élections européennes) et le fait que les européennes sont souvent détournées au profit d’un vote de sanction contre le gouvernement en France, peuvent donner espoir d’échapper au pire. Audun-le-Tiche et sa circonscription en seront un bon baromètre, aux portes du Grand-Duché, aux élections des 30 juin et 7 juillet prochains. „Il va falloir rassembler large. Ça va être très compliqué. Autant la circonscription était largement prenable en 2022, on n’est plus du tout dans le même contexte. On a un député installé“, explique la maire.
En 1997, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, une majorité de droite avait laissé la place à une majorité de gauche. Il n’est pas interdit d’espérer un même résultat. „Avant, on était en 29, maintenant on est en 33“, tempère Viviane Fattorelli. „On entre dans des temps troubles. J’appelle une telle victoire de mes vœux, mais je ne ferai aucun pronostic. Quel que soit le candidat qui sera au deuxième tour, tous les républicains devront y aller ensemble.“ Le meilleur effet de la dissolution voulue par Emmanuel Macron pourrait être cette réconciliation de la gauche avec le peuple. „Les partis de gauche ont perdu le contact avec les classes populaires, parce qu’ils étaient dans des querelles d’attributions de poste“, constate la maire d’Audun-le-Tiche.
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