Luxemburgensia / La littérature luxembourgeoise à la Leipziger Buchmesse: une foire entre merveilleux et dystopie
Après trois éditions annulées, la Leipziger Buchmesse reprend enfin – et pour la première fois depuis longtemps, les productions littéraires luxembourgeoises actuelles y étaient présentées sur un stand, organisé par Kultur | lx.
Ça n’avait pas trop manqué, constaté-je alors que j’essaie de rejoindre le stand C303 du hall 4 de la Leipziger Buchmesse, où six maisons d’éditions (Hydre Éditions, Capybarabooks, Point Nemo Publishing, Éditions Guy Binsfeld, Kremart Edition et Black Fountain Press) présentent l’actualité littéraire du Luxembourg, et que je fais du surplace à cause d’un flot de visiteurs qui, visiblement, adorent s’arrêter aux carrefours et autres endroits stratégiques pour se mettre à pointer du doigt un panneau, à consulter des cartes, à constater à voix haute qu’ils ont faim ou qu’il fait trop chaud, bloquant toute circulation, entravant le passage fluide des visiteur·rice·s, transformant le stand de Kultur | lx en château kafkaïen.
La Buchmesse se doublant d’une comic-con, on y voit des écrivains en chemise et autres agents littéraires ou éditeur·rice·s mis sur leur trente-et-un se faufiler entre des créatures fantastiques tout droit sorties d’un cross-over de Tolkien, Marvel et autres blockbusters fantastico-merveilleux. Au point où on a parfois du mal à distinguer entre un jeune homme déguisé en Man in Black et les vrais vigiles – un floutage ontologique très propice pour une foire qui propose l’immersion dans toutes sortes d’univers littéraires.
Peu avant, mon arrivée au „Hauptbahnhof“ de Leipzig m’a permis de constater l’inutilité totale de cette méthode récemment adoptée à la gare centrale du Luxembourg, où l’on suit désormais l’exemple allemand et diffuse de la musique classique pour chasser les junkies – des junkies ici joyeusement rassemblés en grand nombre devant le Hbf., qui se chamaillent et rigolent grassement, comme un grand fuck adressé de loin aux décisionnaires de la CFL.
Leipzig, enfin
Alors que la volonté d’étendre la présence luxembourgeoise sur d’autres salons (allemands) que celui de Francfort était depuis longtemps sur l’agenda de Reading Luxembourg (alors sous l’égide de l’ALAC), puis sur celui de Kultur| lx, ce projet fut enrayé à cause de l’annulation subséquente des éditions leipzigeoises de 2020, 2021 et, étonnamment, de 2022, cette dernière tombant victime de la sur-précaution allemande – une sur-précaution comme incarnée par ma voisine de train, une Allemande indignée qui, après que j’eus toussé une seule et unique fois dans le train très matinal me ramenant à Leipzig (en passant par Coblence et Francfort, on sait tous qu’aucun trajet n’est jamais direct, pour qui voyage en Allemagne), me demanda si j’étais enrhumé, ce à quoi j’eus à peine le temps de répondre par un timide „un chouïa, peut-être“ que déjà elle avait reculé avec effroi, pris d’un geste étudié son manteau et sa valise tout en marmonnant un „vade retro satanas“ ou une autre insulte relative à ma très probable infection covidienne (j’avais fait un test la veille, qui fut négatif, j’aurais dû le brandir sous ses yeux effarés comme une gousse d’ail prouvant que je n’étais pas un vampire).
Bref, en 2023, la chose fut enfin possible, et, si le stand luxembourgeois fut moins visité que d’autres, en face duquel il y avait, entre autres, celui des „écrivains allemands de Russie“, dont la désertion précoce permit de prendre un lot de photos tristement symboliques, la curiosité pour les productions littéraires était réelle, ce dont témoigne le jeune écrivain Maxime Weber, qui dit avec enthousiasme avoir pu dédicacer son livre à un Allemand qui venait d’acheter son roman, qu’il ne connaissait évidemment pas.
Pour Ian De Toffoli, cette présence à Leipzig est un pas dans la bonne direction: „Le travail fourni par Kultur | lx est de la plus haute importance. Il s’agit maintenant de continuer à chercher l’équilibre entre un stand dont le coût ne soit pas exorbitant – comme cela fut le cas pour Francfort: si on avait investi l’argent dispensé pour le stand auprès de maisons d’édition étrangères afin que celles-ci publient des écrivains luxembourgeois, on serait bien plus avancé aujourd’hui – et un ou deux événements bien ciblés, comme cela fut le cas à Leipzig, événements lors desquels des auteurs et autrices luxembourgeois s’échangent avec et rencontrent des auteurs et autrices d’autres pays ou lors desquels ils sont encadrés par des critiques littéraires ou des journalistes allemands. Il s’agit donc moins de dépenser des sommes d’argent exorbitantes, comme cela est le cas quand le Luxembourg s’exporte à l’étranger dans d’autres domaines culturels, mais d’actions ciblées, où l’on réunit les bonnes personnes, comme cela fut fait avec succès.“
Pour l’éditrice Susanne Jaspers, il est un peu tôt de donner des conclusions tant la reprise du secteur après la pandémie et l’existence même de Kultur | lx sont récentes. Pourtant, „c’est à travers cette lente, mais intensive construction, qui doit s’étendre sur plusieurs années et qui nécessitera peut-être aussi la présence à d’autres salons ou foires plus petits, que la visibilité s’accroît, que le contact avec d’autres auteurs et autrices, d’autres maisons d’édition et d’autres institutions se noue et que l’intérêt bien réel pour nos livres et auteurs se réveille de plus en plus“.
Dystopies en série
Comme Ian De Toffoli, Maxime Weber appréciait notamment toutes les lectures organisées dans le cadre de la foire à travers la ville de Leipzig, lectures qui culminaient, d’un point de vue luxembourgeois, avec celle, à la Nato, samedi soir, où furent présentés les quatre nouveaux romans dystopiques de Tomas Bjørnstad („Von der schönen Erde“), Samuel Hamen („Wie die Fliegen“, voir la recension ici-même), Claire Schmartz („Bug“) et Maxime Weber („Das Gangrän“).
Peu avant, au même endroit, l’on présenta la parution de la traduction de „Lisbonne dernière marge“ d’Antoine Volodine, publiée 33 ans après la publication du roman: son traducteur, Holger Fock, relata le difficile parcours de „Einige Einzelheiten zur Seele der Fälscher“, notamment à cause de chamboulements dans le milieu éditorial allemand, de personnes qui trouvaient le roman illisible et impubliable et de grands éditeurs allemands qui n’appréciaient guère que des titres de chapitres portent des noms de terroristes de la RAF. A l’entendre enfin en allemand, ce texte d’une beauté féroce et d’une radicalité totale, l’on ne peut qu’avoir envie de se (re)plonger dans l’œuvre étrange et (formellement et sémantiquement) révolutionnaire d’Antoine Volodine.
Peu après donc, et avec une salle étonnamment bien plus remplie que pour Volodine (c’est réjouissant pour le Luxembourg, mais décevant pour la présentation de la traduction d’un des romans français contemporains les plus importants qui soient), Thomas Hummitzsch anima une lecture-débat au cours de laquelle les visions du futur souvent assez sombres des quatre romans présentés furent au centre des discussions: que ce soit l’énigmatique gangrène éponyme qui dévaste le monde chez Weber, la relation entre une professeure et son robot chez Schmartz, l’Esch dystopique de Bjørnstad, où une société fait face, un peu comme chez France Télécom il y a maint années, à de multiples suicides d’employés ou encore l’enquête autour de la disparition d’un jeune ado dans une ville mystérieuse où tous et toutes vivent sous la tutelle d’un institut énigmatique chez Hamen, les quatre parutions récentes cherchent de la luminosité et de l’espoir au fond de mondes souvent en proie à la décomposition.
Investiguant leur positionnement par rapport à leur pays natal, dont certains disent se distancier, explorant le rôle de la dystopie et de l’utopie dans leur œuvre, évoquant (un peu sur le tard) des questions de genre et de féminisme, la modération de Hummitzsch fut à la fois intelligente et drôle, les différents débats connaissant par la suite une prolongation dans les couloirs du bar.
Manque de diffusion
Au niveau des doléances, Maxime regrette que les foires demeurent les seuls endroits où des livres du Luxembourg soient vendus à l’étranger – alors qu’il démarche souvent seul des librairies berlinoises pour leur demander si ça pouvait les intéresser de prendre en stock son roman, il espère vivement qu’une solution pour cette distribution inexistante sera un jour trouvée.
C’est ce que disent aussi Ian De Toffoli et Susanne Jaspers: „Il faut trouver un modèle pour la diffusion et la distribution de nos livres à l’étranger, que ce soit selon le modèle typique à l’étranger de structures de diffusion ou alors par le biais de coproductions ou de ventes de droits“, estime De Toffoli. „Malheureusement, les maisons d’édition du pays sont trop petites pour ce faire, où beaucoup de choses se font bénévolement par leurs fondateurs ou fondatrices. Pour que Kultur | lx puisse nous aider en cela, il faut que leur département littéraire redevienne complet – or, depuis un an, le poste de responsable du département littérature et édition est vacant.“
Pour Susanne Jaspers, qui pense aussi que Kultur | lx, dont elle apprécie l’ouverture d’esprit de ses directrices et employé·es, pourrait avoir son rôle à jouer dans la distribution des livres luxembourgeois à l’étranger, une piste possible serait que des représentants de maisons d’édition entrent en contact de façon ciblée avec des librairies à l’étranger, qu’ils visiteraient et qu’ils convaincraient ainsi à prendre des livres luxembourgeois dans leur stock – une réalité qui fait cruellement défaut sur le marché européen.
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