Politique culturelle / La part des choses: la causa Film Fund entre conspirationnisme, sensationnalisme et semi-vérités
Après l’audit en 2019, un rapport de la Cour des comptes met à nouveau au centre de la critique le Film Fund et son directeur, qui sont criblés de reproches par l’opposition politique et la presse. Entre conspirationnisme, semi-vérités, hypothèses fumeuses et un flou dans la gestion financière assez flagrant, le Tageblatt a décortiqué le rapport de la Cour des comptes, parlé au directeur du Fonds, au syndic des producteurs, à des gens du milieu – et à ses détracteurs.
Une atteinte à la démocratie, une propension inquiétante aux fake news et autres semi-vérités, une interprétation biaisée du rapport de la Cour des comptes, une politisation d’un rapport qui nuirait au secteur filmique dans un climat d’année électorale: les représentants du secteur filmique ne mâchent pas leurs mots quand il s’agit de réagir à la déferlante d’articles, de débats et d’accusations qu’un rapport spécial de la Cour des comptes ne manqua pas d’engendrer dans la presse et la sphère politique.
A lire ce long rapport, commandité après l’audit réalisé par Values Associates, qui s’étale sur une bonne quarantaine de pages et où les recommandations sont en effet nombreuses, j’ai repensé à la fameuse série „Black Books“, qui évoque le quotidien de Bernard Black, libraire irlandais grincheux et alcoolique, libraire dont l’assistant feuillette, lors d’un épisode, le livre de comptabilité pour y découvrir, surtout, des dessins, des gribouillis et des blancs. „Il y a peut-être l’un ou l’autre trou, dans ma compta“, esquive Bernard, à la recherche d’une bouteille de rouge à déboucher. „Il y en a surtout un“, de trou, répliquera son assistant, et c’est un énorme trou là où il devrait y avoir la comptabilité.
Trêve de plaisanteries, force est de constater que le rapport fait état d’un nombre assez impressionnant d’écueils. Parmi ceux-ci (allez, faites-vous un café, ça sera un peu long), figurent des frais de restauration non légitimes, un directeur dont on questionne par moments la „place prééminente au niveau de la gestion du Fonds“, des dossiers d’aide financière sélective souvent incomplets (sur 40 dossiers analysés, 27 contenaient des omissions), des projets pour lesquels un financement aurait été accordé, mais qui n’auraient pas été réalisés, des inexactitudes dans le remboursement des aides et autres flous dans la gestion des finances.
A cela s’ajoutent la création d’un poste de directrice adjointe sans que cela ait été „prévu par la nouvelle loi“, un budget dont l’approbation par les ministères de tutelle ne serait pas „prévue de manière explicite par la loi organique du Fonds“, comme cela est le cas pour d’autres établissements publics tels la Rockhal, le recours sans procédé ouvert à des fournisseurs pour la promotion, le doublage, l’événementiel et l’informatique (alors que le règlement grand-ducal oblige à un tel procédé dès lors que la somme engagée dépasse les 55.000 euros), un comité de sélection dont le remplacement de certains membres semble avoir été fait sans égard pour la procédure officielle et des avoirs en banque de presque 80 millions d’euros, qui s’expliquent cependant par le fait qu’il s’agit d’aides financières accordées „pour des projets qui n’ont pas encore été entamés“.
„Quand j’entends dire que le Fonds disposerait d’argent qui se trouverait dans les limbes, quand j’entends des gens confondre ainsi l’actif et le passif, je me demande si je rêve“, commentent d’une seule voix les producteurs Nicolas Steil et Paul Thiltges. „Cet argent n’est plus disponible, il est engagé“, confirme le directeur du Fonds. La députée Diane Adehm conteste cette vision des choses: „On a conseillé à Guy Daleiden de faire un état des lieux de ces 70 millions, ce afin de vérifier quels projets, parmi ceux qui y figurent, peuvent encore être réalisés. Car s’il y en a qui sont à abandonner, cet argent non liquidé pourra être libéré pour d’autres productions.“
Un directeur se défend
Souvent portraité comme une sorte de roi-soleil régnant en souverain absolu sur le microcosme cinématographique grand-ducal, Guy Daleiden a de quoi polariser: sa proximité avec le DP et Xavier Bettel gêne, on a l’impression qu’il est le directeur du Film Fund depuis cent mille ans et, surtout, il a une façon de s’exprimer, joviale, collégiale, un peu rentre-dedans qui ne sied pas au bon fonctionnaire dont il refuse d’endosser le rôle.
Sorte de messie du secteur filmique luxembourgeois qui n’hésite pas à se voir à la fois comme le sauveur et le martyr du cinéma national, Guy Daleiden a tout pour gêner: à l’ambassade du Luxembourg à Berlin, lors d’une de ses réceptions mondaines où le secteur s’empiffre de canapés, de crémant et de sa propre gloire, il disait, devant un bourgmestre berlinois un peu choqué, qu’il avait déjà survécu à un premier ministre et qu’il serait encore là quand plus personne ne parlerait de Bettel, qu’il tapotait conjointement dans le dos. C’est le genre de blague qui peut coûter cher.
Pareillement, un producteur filmique estime que le directeur du Fonds est parfois trop dans l’hyperbole: „Un jour, il a dit que les décisions du comité se prenaient toujours à l’unanimité. Je n’ai pas compris pourquoi il disait quelque chose comme ça. Ça partait de la volonté de rassurer ceux qui critiquaient le fonctionnement du comité – mais il aurait mieux fait d’admettre qu’il y avait débat.“
Pourtant, dans le secteur, les gens auraient plutôt tendance à prendre la défense de Guy Daleiden, dont on dit qu’au temps où, dans le comité, siégeait quelqu’un qui a tendance à qualifier de „Schäiss“ toute production locale, il n’aurait pas hésité à faire opposition, prenant ardemment parti pour le cinéma luxembourgeois.
Quant au surplus de pouvoir dont il bénéficierait, c’est une des premières choses dont il se défend quand nous le rencontrons, agité, au Pacha à Belair: „Dans tout cela, je ne comprends pas où exactement j’ai trop de pouvoir. Parmi les 40 millions qui nous sont accordés chaque année, 36 sont des montants fixes: il y a les 32 millions en aides sélectives, il y a les salaires, calculés par la Fonction publique, le loyer, notre accord avec Eurimages, à quoi s’ajoutent les décisions du conseil, qui décide des montants dont on disposera pour différents accords – avec RTBF, le Canada, le volet VR. Certes, c’est moi qui signe. Mais le rapport a aussi établi qu’il n’y a pas un centime qui manquait, que je n’ai dépassé aucun seuil. Qui plus est, le premier audit donnait un avis globalement positif – je ne comprends pas alors pourquoi on parle de moi comme si j’étais le pire escroc du pays. Si maintenant, alors qu’il est établi que je n’ai commis aucune erreur, on veut s’assurer que je n’en commette pas à l’avenir, je suis très d’accord qu’on adapte, tel que suggéré dans le rapport, le principe de la double signature pour les virements. J’avais moi-même suggéré qu’on procède ainsi par le passé, mais on m’avait alors répondu d’endosser seul la responsabilité.“
Et le directeur de conclure, comme quelqu’un qui connaît sur le bout des doigts son Batman version Christopher Nolan: „Car on oublie souvent que plus on a de pouvoir, plus on a de responsabilités.“
Pas d’erreurs commises, mais des imprécisions, comme cette absence de 27 écritures comptables portant sur les frais de fonctionnement du Fonds. „27 engagements en dix ans, ça en fait à peine trois par ans.“ Pourtant, 27 engagements sur un échantillonnage de 88, cela fait presque un tiers qui manque. „Si j’ai signé un engagement pour payer, ça veut dire que c’est bon pour moi, je n’ai donc pas vu l’intérêt à les garder. Si la Cour juge qu’il faut les garder, je les garderai évidemment, à l’avenir.“
La contrôlite – aiguë pour les uns, trop relâchée pour les autres
Pour en avoir le cœur net, je rencontre aussi Paul Thiltges, Nicolas Steil et Claude Waringo, tous trois membres du bureau exécutif de l’Union luxembourgeoise de la production audiovisuelle (ULPA), au Filmland à Kehlen, où on se sent tout aussi mal compris. Sises dans une zone industrielle tout ce qu’il y a de plus éloigné des grands décors filmiques, les bâtisses en tôle ondulée ne se distinguent en rien, dans cette enclave au bout du monde, des hangars, entrepôts et autres bureaux qui y ont élu domicile.
„On a ce qu’on appelle une bible des règles, qui comporte plus de 150 pages et qui est en constante modification – on en est à présent à la V6 puisque, depuis le fameux audit, on n’arrête pas d’organiser des réunions afin de l’adapter et de la modifier. De sorte que mon métier de producteur consiste à 80% en gestion administrative et financière – et plus qu’à 20% en activité créative“, se plaint Steil.
„Le Fonds m’a accordé trois millions pour ma future série ‚Droneland‘, que je n’aurai que si j’arrive à trouver les dix millions qui manquent. Si j’y parviens, on me le paie en tranches, cet argent, dont je ne disposerai qu’à condition de prouver que je l’ai dépensé, ce qui implique en retour d’importants crédits bancaires. La tendance est à plus et encore plus de contrôle – c’est pourquoi le Fonds a recruté une véritable armada de Project Managers.“
Pour une coproduction internationale, on dispose de six mois pour trouver le financement, pour une production nationale, le temps imparti est de douze mois, avec une possibilité d’extension de six mois pour les deux cas. „Si je n’arrive pas à rassembler les sous, il est normal qu’ils soient débloqués pour d’autres productions.“
Alors que les producteurs se plaignent d’une „contrôlite aiguë“, le rapport de la Cour des comptes suggère au contraire, pour une éventuelle modification de la loi organique de 2014, de „prévoir un contrôle récurrent“ afin de s’assurer de la bonne gestion du Fonds. Et alors que les producteurs affirment ne disposer que de très peu de temps pour trouver un financement, il ressort du rapport de la Cour des comptes qu’il n’en a pas toujours été ainsi. „Le film, c’est un état d’exception permanent“, dit la productrice, autrice et réalisatrice Bady Minck. „Je suis contente que Guy le comprenne et qu’on dispose d’une certaine flexibilité – car les situations imprévues sont notre lot quotidien.“
Pour la productrice, il est clair qu’il y a collision entre la rigueur d’analyse de fonctionnaires, qui ne connaissent pas les vraies conditions de travail du milieu et la réalité sur le terrain, qui nécessité, précisément, une adaptabilité rapide. „Les dossiers que nous devons soumettre sont épais, complexes, les règles changent souvent. Il est bien possible que certains aient manqué de rigueur“, admet Paul Thiltges. „Avec tout ce qu’on nous demande, il est dans la logique des choses qu’un documentail manque“, renchérit Steil.
Du conspirationnisme (beaucoup) et de la vérité (un peu)
Au centre de tout cela, chaque camp a tendance à des théories qui pourront paraître conspirationnistes: alors que certains journalistes voient un système autoritaire au centre duquel le directeur du Film Fund serait une sorte de chef d’orchestre mégalomaniaque, qui distribuerait l’argent du contribuable selon son bon vouloir, dans le secteur filmique, l’on se sent visé par un groupe de journalistes dirigé de main de maître par un homme de l’ombre, frustré d’avoir été écarté du système de financement du Film Fund et qui aimerait voir le directeur du Fonds évincé, conspué, humilié.
Or, il faut qu’on se mette d’accord: soit on reproche à Daleiden de se comporter en homme politique et on lui reproche de vouloir satisfaire tout un chacun, soit on accepte la théorie selon laquelle le Fonds, à chaque réunion de son comité de sélection, écarte bon nombre de porteurs de projets qui auraient, dès lors, toutes les raisons du monde pour lui en vouloir. „Pour le dire de façon un peu exagérée: quand mon projet est retenu, notre Fund est le meilleur du monde, quand il est écarté, c’est le pire“, commente Nicolas Steil.
Ce dernier rejette entre autres une théorie défendue dans une vidéo par le journaliste investigateur Finn Overdick, qui montre une société de boîte à lettres où l’on voit apparaître Iris Belgium, une voix en off affirmant que les producteurs multiplient les sociétés à l’étranger afin de soutirer encore plus d’argent au Fonds.
„D’un, on ne peut pas obtenir de l’argent du Fonds quand on est basé à l’étranger. De deux, cette société de boîte à lettres, filmée dans ce court documentaire qui se veut investigateur, eh bien, j’ai vérifié: il s’agit d’une société de manutention au capital de 28 millions d’euros. On y trouve bien un Nicolas. Malheureusement, il ne s’appelle pas Steil [On a vérifié, il s’appelle Nicolas Brun et est coordinateur de projets, NDLR]. Il suffisait pourtant de taper ça dans Google pour s’en assurer.“ A faire des recherches sur Google, l’on se rend pourtant compte que la société Iris – celle dont Nicolas Steil est le CEO – existe bel et bien en Belgique, en France et en Allemagne.
Au centre de ces théories, il existerait un troisième rapport, qui compléterait l’audit et le rapport de la Cour des comptes – et qui serait „beaucoup moins positif“, affirme Diane Adehm. „Plusieurs sources nous ont rapporté des rumeurs témoignant de l’existence d’un tel document, raison pour laquelle on a cru bon de formuler une question parlementaire, qui ne vise pas le Film Fund, mais qui veut exclure la thèse selon laquelle Xavier Bettel retiendrait des informations importantes.“ Pour l’ULPA, cette théorie relève du conspirationnisme pur et dur: „L’audit n’a rien donné, le rapport de la Cour des comptes non plus, alors on espère qu’un troisième rapport miraculeusement surgi de nulle part ne vienne enfin dire à quel point le Fonds est mafieux – cela relève du pur délire.“
„Capitani“ et „Bad Banks“, des machines à fric qui tournent à vide?
„J’ai l’impression qu’il y a des gens qui ne veulent pas entendre certaines choses qui sont pourtant assez faciles à comprendre quand on nous écoute“, estime Claude Waringo, dont la boîte de production Samsa est abonnée aux succès tant nationaux („Superjhemp“, „Capitani“) qu’internationaux („Corsage“) et qui s’insurge que des journalistes de renom se soient demandé où donc était passé l’argent de „Capitani“ et de „Bad Banks“, deux (co-)productions luxembourgeoises au succès incontestable.
A écouter l’ULPA, c’est pourtant assez simple. Avant 2014, les aides que reçurent les producteurs étaient non remboursables, qui prenaient la forme de certificats d’investissement audiovisuel. Il s’agissait là d’aides économiques, qui quoique non remboursables, car sous l’égide du Tax Shelter, devinrent à un moment, après la crise financière de 2008, moins intéressantes, raison pour laquelle on bascula dans un système d’aides financières remboursables.
Avant d’aller plus loin, il faut préciser que les remboursements de bénéfices sont à verser sur un compte dans lequel le producteur pourra puiser par la suite pour le développement d’un futur projet. „Impossible d’y détourner ne serait-ce que le moindre centime“, estime Bady Minck, qui déplore plutôt des contrôles doubles, voire triples – „contrairement à un pays comme l’Autriche, où c’est bien plus laxiste.“
Si l’on considère que le nouveau système, qui exige remboursement, n’entre en vigueur qu’en 2014, que les premiers dossiers sont soumis en 2015, que la production et le tournage commencent au plus tôt en 2016, que le film ou la série entrent en post-production en 2017 et sortent en 2018, qu’un premier bilan financier est fait en 2020 et que la société de production l’envoie, ce bilan, avec son remboursement, au Film Fund en 2021, il est logique que de tels chiffres n’apparaissent ni dans l’audit, ni dans le rapport, dont la période d’analyse s’arrête en 2018.
Plus encore, comme l’estime Claude Waringo, la plupart des coproductions internationales sont pour la plus grande partie financées par ceux qui les montreront ou diffuseront ensuite. „Ainsi“, renchérit Nicolas Steil, „pour la première saison de ‚Bad Banks‘, qui a coûté dix millions et bénéficié d’1,8 million d’aides du Fonds, la ZDF a pris en charge 60 pour cent des coûts de production, les 2,2 restantes ayant été fournies par des aides allemandes. Le marché le plus intéressant – l’Allemagne – étant inaccessible, car aux mains de la ZDF, il reste la vente dans les autres pays du monde, dont se charge le vendeur Fédération, cela avec un minimum garanti de 300.000 euros. La série ayant rapporté 1,25 million, dont il faut soustraire le minimum garanti de Fédération et les 30 pour cent de part au vendeur, il en restera quelque chose vers les 650.000, montant dont 18 pour cent nous seront dus – et dont une grande partie retournera au Fonds. C’est ça, la loi du marché. Et encore, c’est le cas de figure d’une série qui a marché. Alors, imaginez un peu les séries qui ne fonctionnent pas.“
Bady Minck affirme quant à elle que le rapport aurait analysé des films comme „Iceman“, une production qui n’aurait pas du tout été soutenue par le Fonds et dont il est logique qu’il n’y ait pas de remboursement.
Si la Cour des comptes estime que les ressources financières à repayer au Fonds devraient alimenter d’office les nouvelles aides financières accordées, le Fonds estime qu’„au nom du principe de la liberté artistique, il appartient au producteur de choisir les projets dans lesquels il décidera d’investir les fonds capitalisés“.
Paul Thiltges, l’homme sans contrat
Alors que Robert Musil parlait de l’homme „sans qualités“, l’on parle beaucoup, récemment, de cet homme sans contrat que serait Paul Thiltges, qui aurait de plus commis le méfait de cumuler différentes fonctions. Comme le formule Diane Adehm, il paraît étrange qu’on ait engagé Paul Thiltges, dont elle ne met en question ni les compétences ni le travail fourni, sans contrat. „Or, pour qu’il y ait engagement, chez l’Etat, il faut ou bien un contrat, ou alors une convention.“
Paul Thiltges admet qu’en effet, il avait réagi, avec sa société Paul Thiltges Distributions (PTD), à une demande explicite du Fim Fund, qui le sollicitait pour des missions de consultance et qu’au début, ces opérations s’étaient passées de contrat – situation à laquelle on aurait quand même bien vite remédié, au point où Guy Daleiden aurait exigé, plutôt qu’un simple accord de l’ULPA, que chaque société de production signe un papier afin de donner son aval.
Quant à l’absence d’appel d’offres, cela s’expliquerait par le fait que, dans le microcosme du milieu cinématographique, sa société serait bien la seule à pouvoir fournir le know-how et la technologie pour assurer la vente et la promotion à des festivals ou des ambassades.
„Les ambassades nous demandent des films autour de tel ou tel sujet et, après avoir consulté l’ULPA et le LARS, je compose une sélection. En fin de compte, ce sont les ambassades qui choisissent. Ce que je fournis, au-delà du contact et des négociations avec les ambassades, est un know-how technique. Tout ce travail est fait par trois personnes, car il y a des périodes où c’est assez intense. Que ma compagnie ne puisse pas faire cela sans être payée me paraît normal. Mais ça n’est pas comme si Guy avait simplement déboursé 600.000 balles – nous facturons ce service à 6.000 euros par mois depuis quelque huit ans“, explique Paul Thiltges.
Il n’empêche que la situation reste déontologiquement enchevêtrée, ce que Thiltges admet volontiers („si Paul donnait la priorité, dans son travail de promotion, à ses propres films, nous autres producteurs serions les premiers à nous plaindre“, précise Nicolas Steil) – et que le rapport de la Cour des comptes relève non pas une, mais deux périodes lors desquelles PTD aurait opéré sans contrat.
Le comité de sélection, une instance sclérosée?
„C’est bien une des premières fois qu’une polémique survient alors que le secteur, lui, semble satisfait“, s’insurge Guy Daleiden. Alors que certains lui reprochent sa place au sein du comité qui décide des aides financières sélectives, le rapport de la Cour des comptes lui reproche plutôt son absence dans les comités d’attribution d’aides mineures comme celle de la Carte blanche – et ne conteste pas sa place dans le comité des AFS. „Il faut qu’on se mette d’accord – ou bien je suis trop présent, ou alors je ne le suis pas assez“¸ constate Daleiden.
„Quand on sait qui siège dans ce comité [outre Guy Daleiden et Sarah Bamberg pour le Fonds, on y trouve Gabriele Röthemeyerk, Meinolf Zurhorst et Boyd von Hoeij, NDLR], on sait qu’il s’agit de gens qui ne s’en laissent pas compter“, affirme Paul Thiltges. „On a déjà du mal à trouver des gens pour ce comité, où ils sont mal payés pour lire d’énormes dossiers. Il est alors ridicule de critiquer le fait qu’on ait invité ces gens à manger un bout“, estime Bady Minck.
Pour Guy Daleiden, le défi, pour ce comité, c’est de trouver des gens venant de l’étranger, qui connaissent assez le milieu pour pouvoir juger des dossiers soumis et qui lisent les trois langues. „On veut que ces gens viennent s’investir pour connaître le paysage cinématographique du pays – et puis on veut qu’ils déguerpissent au bout de deux ans. On a déjà changé des mandats. Combien en faut-il changer encore pour que l’on ne se plaigne plus?“ „Sans quelqu’un comme Guy ou Karin [Schockweiler, que remplace Sarah Bamberg, NDLR], qui connaissent à la fois l’histoire du pays et les productions cinématographiques, que ferions-nous? Le feedback de ces gens est précieux au point où nos pays voisins nous envient un tel comité. Quand j’ai des projets qui sont refusés, cela me permet souvent de pointer vers un défaut du scénario. Et les coproducteurs de me dire alors que chez eux, les comités ne les lisent pas avec autant de soin, les scénarios“, explique Bady Minck.
Si c’est tenir en petite estime d’autres professionnels que de dire que personne d’autre ne sait lire des dossiers luxembourgeois, il est vrai que ces autres professionnels sont trop souvent impliqués eux-mêmes par le biais de projets – une solution serait de recourir à des critiques de cinéma ou autres connaisseurs extérieurs à la production.
Le cœur du problème
Nombre de points soulevés n’ont, au final, que peu de choses à voir avec le rapport de la Cour des comptes. Quand on sait la proximité de Guy Daleiden avec le premier ministre et ministre des Médias Xavier Bettel, difficile de ne pas faire le lien avec la préparation de l’année électorale: „Il est clair qu’on vise Guy afin de toucher à Xavier. C’est une exploitation politique avant l’année électorale“, estime un producteur.
Diane Adehm pense qu’une telle affirmation ne fait que divertir du vrai problème: „Cela n’a rien à voir. Toute cette affaire nous occupe déjà depuis au moins l’audit réalisé en 2018.“ Elle insiste: „Le rapport de la Cour des comptes ne met pas en question l’argent qui est mis à disposition du secteur filmique, dont les besoins sont entendus et compris – il met en question la gestion financière du Film Fund.“ Quant au directeur du Film Fund, il préfère ne pas spéculer là-dessus, affirmant seulement qu’il espère qu’il ne s’agit pas de cela – „cela signifierait qu’on serait tombé bien bas“.
Si Guy Daleiden déplore que, au milieu de tous ces reproches infondés faits par des journalistes qui auraient mal fait leur métier, les véritables activités du Film Fund – il cite les collaborations futures avec Finkapé, des engagements pour des tournages écologiques ou encore les liens avec le Portugal et l’Irlande, où un fonds est constitué pour soutenir la féminisation du secteur – passent inaperçues, les producteurs regrettent, de leur côté, que tout cela empêche de parler des vrais problèmes du secteur et de les aborder politiquement.
Match nul?
„Il y a d’abord l’inflation, qui fait que l’ensemble des coûts ait augmenté“, explique Nicolas Steil. „J’ai récemment fait le calcul en mettant à jour les frais d’une production comme ‚Superjhemp‘. Le résultat est désastreux: réaliser ce même film aujourd’hui nous coûterait au-delà de 30 pour cent de plus. La conséquence à en tirer? De tels films ne peuvent plus être produits au Luxembourg. On se limitera donc à des coproductions, puisqu’à l’international, il y a plus d’opportunités pour rassembler les fonds nécessaires, ou alors, on dit aux créateurs luxembourgeois de se contenter de scénarios à trois personnages qui se passent dans une chambre d’hôtel“, explique Claude Waringo. Un peu comme „Good Luck to You Leo Grande“ ou le récent „Zeréck“. „Oui, mais comme on a affaire à des créateurs, il est frustrant de leur imposer de telles limites. Tout le monde n’est pas doué pour écrire de bons scénarios en situation de huis clos.“ Et puis, il est vrai que cela en appauvrirait encore plus un cinéma local qui, parfois, manque de diversité.
Autre défi de taille, ce que Steil appelle un changement de paradigme: „Les cinémas se vident, les gens se sont habitués à regarder en streaming. On met la pression à Guy pour qu’il s’en occupe. Or, non seulement le Luxembourg n’est pas attractif, avec les quelques milliers d’abonnés Netflix dont il dispose, mais en plus, plutôt que de négocier avec les plateformes, le directeur du Fund perd son temps à devoir se défendre contre ses détracteurs.“
Enfin, dernier problème, la jeune génération ne suit plus, qui en temps de crise préfère se focaliser sur des métiers plus sûrs. „On constate qu’il y a des gens qui sortent du métier, qui vont faire autre chose. Ils reviendront peut-être un jour. Mais rien n’est moins sûr. Surtout quand autrui leur demande – ah, toi aussi, tu fais partie de ce circuit de mafieux? Cela fait tout sauf motiver“, s’inquiète Waringo.
„On a abordé le ministre des Médias, demandant une augmentation progressive et échelonnée du montant qui nous est annuellement accordé, de façon à ce qu’on passe, en un laps de trois ans, des 40 millions actuels à 50 millions. La réponse de Xavier fut claire: dans la situation actuelle, cela est impossible. Le pire, c’est que je le comprends: quand on nous accuse plus ou moins d’être de mèche avec un escroc, quand on insinue d’être parmi les 40 voleurs d’Ali Baba, proposer de mettre encore plus d’argent à disposition du secteur équivaut à un suicide politique“, conclut Nicolas Steil, rageur.
Alors, en fin de compte, s’il paraît évident que le Film Fund a tenu sa comptabilité avec autant de zèle et de méticulosité que moi quand je fais ma déclaration d’impôts, il apparaît que certains confrères ont été tout aussi peu soigneux dans leurs recherches. Pour rester dans l’esprit d’une compétition que personne ne regarde, mais dont tout le monde parle (qui résume donc aussi un peu la situation du film luxembourgeois dans les débats actuels), je dirais: match nul, avec des cartons jaunes et rouges des deux côtés. Et un perdant potentiel: l’industrie filmique.
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