Théâtre / La vérité de Marie: Frank Feitler met en scène un monologue de Colm Tóibín
Après „Lenz“, Frank Feitler, récemment couronné par le prix national du théâtre, s’en prend à nouveau à un monologue, donnant voix à Marie de Nazareth pour l’entendre déconstruire une figure mythique – celle de son propre fils.
En lisant „Œdipe n’est pas coupable“ de Pierre Bayard, où l’auteur s’adonne à une de ses contre-enquêtes policières afin de démontrer qu’Œdipe n’a pas pu tuer son père Laïos, j’ai réalisé que les dieux grecs et leurs histoires peuplaient bien plus souvent la scène théâtrale que le Dieu de la religion chrétienne, me disant que la raison en était peut-être que l’imagerie christique et le caractère un peu trop édifiant, pontifiant ou poussiéreux de cette religion devrait avoir repoussé maint auteur à s’en emparer – pour preuve, les pièces bibliques de Racine sont bien plus rarement mises en scène que ses tragédies grecques.
Avec „Le testament de Marie“, l’auteur irlandais Colm Tóibín s’en prend précisément à la religion catholique et déconstruit l’histoire du Christ en donnant une version alternative, féminine de l’histoire de la vie de Jésus, qui n’est pas explicitement nommé dans le texte. Seule et isolée, Marie de Nazareth contrecarre le discours que deux visiteurs – deux apôtres, qui apparaissent comme des silhouettes taiseuses, s’obstinant à la surveiller – cherchent à forger, transformant l’épopée mythique et héroïque du salvateur en une histoire tragique et intime d’une mère qui a perdu son fils.
Déconstruction d’un mythe
Dans un enchevêtrement des strates temporelles, Marie raconte, contestant et révélant ce qu’il y a de fabrication dans les écritures des apôtres, qui, suggère-t-elle, confondent réalité et fantasme, cherchant à transformer la vie de son fils en un mythe édifiant et quelque peu pathétique. Elle nie pouvoir certifier que son fils ait transformé de l’eau en vin, nie avoir été là pendant la crucifixion de son fils, nie aussi l’immaculée conception, souriant quand on veut qu’on lui parle de la conception de son fils comme si elle se rappelait avec tendresse les ébats avec son mari.
En reracontant l’histoire de son fils sans les oripeaux et les bondieuseries de la religion, le texte de Tóibín s’inscrit doublement dans l’air du temps, où règne la fabrication du réel à partir de faits, de rumeurs et de demi-vérités, mais qui entend aussi donner la voix à des femmes dont le rôle et l’importance historiques ont souvent été tus: là où le récit officiel, masculin, repris dans des pièces ou films souvent mièvres (qu’on se rappelle le film de Mel Gibson) est une saga teintée de miracles, d’héroïsme, de sang et de souffrance, le récit de Marie, qui est quelque peu, à l’instar de l’essai de Bayard que je viens d’évoquer, une contre-enquête censée restaurer la vérité, révèle une version plus émotionnelle, honnête de la vie christique.
La mise en scène de Frank Feitler, sobre et efficace, repose tout entièrement sur le jeu de son actrice Valérie Bodson, qui incarne Marie avec précision et sans pathos dans un jeu juste, entre désespoir et calme, son personnage s’avérant émouvant dans son obstination à lutter contre un récit dominant qu’on veut lui imposer, Bodson jouant avec les rites religieux relatifs à son fils, mettant en lumière ce qu’il y a de parallèle entre l’incarnation d’un personnage par une actrice et la fameuse transsubstantiation, entre fiction théâtrale et la fiction religieuse.
La scénographie de Zeljko Sestak, simple, se contente d’une table, de deux chaises – l’une, celle de Joseph, restera vide – et met l’accent, elle aussi, sur l’actrice et son texte, contrastant de ce fait avec la pompe du son d’orgue en début de pièce et des imageries pieuses qui sont projetées par moments en arrière-fond, la Marie de Bodson les regardant comme pour se dire – mais qu’est-ce que cela a à voir avec la vie de mon fils?
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