/ Le dernier livre de Henri Wehenkel s’en prend à la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale et de l’occupation
Le dernier livre de Henri Wehenkel a quelque chose d’iconoclaste et même de subversif. S’en prendre à la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale et de l’occupation a quelque chose de sacrilège.
De Vincent Artuso
Pourtant s’il s’y est collé, c’est parce qu’après avoir enseigné l’histoire pendant des décennies au Lycée technique du Centre, il a fini par constater qu’à cause de la sacralisation, le lien avec les événements s’était distendu: „Avec le temps, le souvenir de la résistance s’estompa, se figea. […] Un phénomène social multiforme [la résistance] se drapait de l’uniforme du patriotisme, se sacralisait et devenait une institution parmi les institutions, une évidence, une religion d’Etat. […] La commémoration avait tué la mémoire. Les enseignants furent les premiers à le constater. Leur incapacité à renouer avec le passé n’était pas dû à la mauvaise volonté, ni à un sombre complot des ennemis de la résistance. Quelque chose ne fonctionnait plus dans la transmission.“
Dans les interstices de l’histoire
C’est pourquoi Wehenkel est allé fouiller dans les interstices de l’histoire. Il en a rapporté des micro-histoires qui, mises côte à côte ont le grand mérite de remettre en question les catégorisations les plus évidentes et les interprétations les plus rassurantes.
On croise dans son livre un fervent nazi, qui ne cacha rien de ses convictions après la guerre, estimait que celles-ci n’étaient pas en contradiction avec son patriotisme luxembourgeois et qui, non content d’être bien noté par l’occupant, était aussi très apprécié de ses concitoyens. On y rencontre aussi ce journaliste libéral qui adhéra au nazisme au nom du „pragmatisme“ et ces syndicalistes, qui se sont soumis à l’ordre nouveau dans l’espoir de sauvegarder les conquêtes sociales du mouvement ouvrier.
Il y a aussi des personnalités inclassables comme Pierre Prüm, l’enfant terrible de la politique luxembourgeoise du début du 20 e siècle. Lui qui avait été l’unique Premier ministre de l’entre-deux-guerres à ne pas appartenir au parti de la Droite sera, après la libération, condamné pour des faits de collaboration plutôt obscurs. Wehenkel dépeint en outre de ces destinées sinueuses qui rendent inopérante l’habituelle polarisation entre résistance et collaboration. Par exemple celle de Jean Schmit.
Un jeune homme prometteur
Schmit, né en 1901, avait fait ses études dans les prestigieuses écoles polytechniques de Berlin et Darmstadt. A partir de 1925, il entama une carrière prometteuse au sein du géant allemand de l’électricité, AEG. Son ascension professionnelle fut toutefois stoppée net par l’arrivé au pouvoir de Hitler. Ouvertement antinazi, franc-maçon et pacifiste, Schmit dut quitter l’Allemagne.
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De retour au Luxembourg, il fut engagé par la SOLPEE, filiale d’AEG au Grand-Duché. Il avait promis de ne plus se mêler de politique mais le 24 août 1933 l’ Escher Tageblattpubliait un article dans lequel il dénonçait avec force ce qui se passait en Allemagne: „Halten Sie es für möglich, dass in unserem Jahrhundert und in dem Lande, das stolz ist auf seine Kultur, Menschen mit Wissen der legalen Behörden buch stäblich zu Tode gefoltert werden? […] Dass die Nationalsozialisten tatsächlich den Reichstag angezündet haben, um die Opposition abzuwürgen, d.h. um die Einkerkerung, Misshandlung von Tausenden, die rechtlose Hinrichtung von Unzähligen legalisieren zu können?“
En 1938, alors que la situation devenait de plus intenable pour les juifs, en Allemagne comme en Autriche, il organisa une filière d’évasion par le Luxembourg. De cette façon il sauva près d’une centaine de personnes.
L’engrenage
Le jour de l’invasion allemande, Schmit choisit de ne pas abandonner ses réfugiés. Il ne pouvait pourtant pas ignorer que la Gestapo l’avait dans son collimateur. Durant la première année d’occupation, il fut interrogé pas moins d’une trentaine de fois.
Le seul moyen qu’il trouva pour sauver sa peau fut de se réconcilier avec cet oncle dont il avait si longtemps méprisé les idées: Damien Kratzenberg, chef du parti unique pro-allemand Volksdeutsche Bewegung. Schmit l’antinazi mit ainsi les mains dans un engrenage qui le conduisit finalement à se porter volontaire dans l’armée allemande. Wehenkel conclut ainsi ce portrait en clair-obscur: „Schmit fut arrêté en septembre 1945 et jugé en mars 1947. Il ne nia rien et assuma tout. Il était de toute façon trop tard pour changer d’avis, trop tôt pour comprendre. Il rejoignit le royaume des ombres de ceux dont le nom ne fut plus prononcé, effacé à tout jamais de la mémoire des hommes.“
Le sens des affaires
Contrairement à Schmit, Léon Laval s’en tira bien – et même très bien. La comparaison entre les deux hommes est d’autant plus cruelle qu’ils étaient issus du même milieu. Cependant la personnalité de Laval était aux antipodes de celles du jeune homme dont les vertus causèrent la perte: „Léon Laval était connu comme un homme dur en affaires, un homme prêt à tout pour atteindre ses buts, un homme qui même en temps de paix faisait toujours la guerre. Laval était avare en paroles, il ne laissa pas de mémoires, ne signa pas d’articles et fit peu de discours. Un homme d’affaires ne parle pas.“
S’il pouvait déjà compter sur un confortable héritage familial, il sut aussi accroître sa fortune grâce aux succès qu’il remporta sur le marché international des matières premières, entre les deux guerres mondiales. Marié à l’héritière de la Société des accumulateurs Tudor, il pouvait aussi nourrir l’espoir de prendre le contrôle de cette multinationale. Le concurrent allemand direct lorgnait toutefois aussi sur l’entreprise et semblait prêt d’emporter le morceau après l’écrasante victoire de la Wehrmacht sur le front Ouest, à l’été 1940.
Patron et résistant
C’était sans compter sur les ressources que savait déployer Laval. Grâce à ses relations au sein de la sidérurgie allemande, il réussit à retourner la situation en sa faveur – du moins provisoirement. En mai 1941, il était arrêté par la Gestapo. Celle-ci était prête à le libérer à condition qu’il cède ses participations dans la Tudor. Laval essaya de gagner du temps et de nouveaux alliés.
Il finit par les trouver au sein des autorités d’occupation allemandes au Luxembourg. Les hommes de Gustav Simon étaient bien décidés à préserver le tissu industriel du Gau Moselland. Ils firent valoir qu’il était absolument scandaleux de tenter d’exproprier un entrepreneur allemand de la qualité de Leo Laval.
En fin de compte, ce dernier réussit à conserver ses biens jusqu’à ce que le pays soit libéré. Ses deux années d’emprisonnement en Allemagne lui valurent de surcroît d’être considéré comme un résistant. Son patrimoine symbolique, tout comme son patrimoine financier sortaient donc renforcés de quatre années de guerre.
Par-delà la résistance et la collaboration
Est-ce que c’était bien juste? Là n’est pas la question. La trajectoire de Laval n’a pas été immorale, elle a été amorale. Dictée par son tempérament, ses intérêts, ses capacités, dans une période instable. Il n’a été ni un résistant ni un collaborateur – même si à l’occasion, il a emprunté à l’un ou l’autre de ces registres –, ni patriote intransigeant ni nazi convaincu. Ni bon ni mauvais.
Il est en cela représentatif d’une bonne partie des élites qui ont tenté de conserver leurs privilèges et les institutions dont ils avaient hérité – administrations, justice, Arbed, syndicats – de la même manière que lui. Cette réalité crue qui est celle d’„Entre chien et loup“ est particulièrement dure à admettre dans une société qui veut croire que la supériorité sociale repose sur le mérite et l’exemplarité.
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