LuxFilmFest / Le pari des cinéphiles: pour sa douzième édition, le LuxFilmFest retourne dans les salles
Inaugurant, presque de concert avec la Berlinale dont il partage plusieurs films à l’affiche, le retour au festival dans les salles, la douzième édition du LuxFilmFest met l’accent sur les réalisatrices, les fantômes et des films à la fois engagés et barrés.
Au bout de deux années difficiles, voilà une douzième édition qui annonce, après une année interrompue avant sa fin à cause de la pandémie (la dixième édition en cette noire année 2020) et une autre où une mouture hybride avait permis de vivre un festival étrange, avec des gens masqués qui se tenaient à distance les uns des autres (la onzième mouture en 2021), un retour à la norme avec un festival uniquement en présentiel.
Comme le souligne la ministre de la Culture Sam Tanson („déi gréng“), pour cette année-ci un pari fut pris – un pari non pas pascalien mais presque, un pari cinéphile où la croyance en le cinéma l’emportait sur la peur devant la pandémie: l’équipe du festival misait sur un festival uniquement dans les salles – car „un festival qui ne se déroule pas dans les salles n’en est pas vraiment un“, affirmait Sam Tanson lors de la conférence de presse de ce lundi.
Et si un festival à domicile, vécu sur le sofa domestique n’en est pas vraiment un, ça n’est pas uniquement parce qu’y manquent „la couleur des sièges caractéristique des salles, l’acoustique propre à chaque salle ou encore l’échange entre aficionados“, comme le précisait alors la ministre de la Culture, mais aussi parce que, comme l’a exprimé le directeur de la Cinémathèque municipale Claude Bertemes, „les salles ont été fragilisées par la pandémie“ – ainsi que par „la vampirisation des films par les plateformes“, renchérira le président du festival Georges Santer, citant ainsi une expression favorite d’Alexis Juncosa, le directeur artistique du festival, qui se fait un plaisir, une fois par an, de nous faire découvrir le festival en un défilé-marathon haletant.
Avant que celui-ci ne débute, Duncan Roberts, représentant le comité de la sélection artistique, révèle quelques particularités du cru 2022: ainsi, il y aura, et il s’agit très probablement d’une première historique, une majorité de réalisatrices dans la compétition officielle. Par ailleurs, certaines tendances observées lors des années précédentes – la force des films d’Amérique latine, l’enchevêtrement de plus en plus marqué entre fiction et documentaire – se poursuivent.
Avant de plonger dans le vif de la programmation, touffue et prometteuse comme d’habitude, commençons par la sélection officielle hors compétition et ses trois moments-clés: le film d’ouverture, dont le titre – „Official Competition“ – promet un métafilm satirique sur l’industrie du cinéma avec Antonio Banderas et Pénélope Cruz, tout comme le film de clôture, „Incroyable mais vrai“ par le génial Quentin Dupieux, qu’on aura vu pour vous à la Berlinale et dont on vous dira probablement beaucoup de bien (le parcours de Dupieux est un sans-fautes remarquable), promettent tous deux d’être parmi ces multiples moments de respiration, comme le dit Juncosa, entre des films plus durs, plus politiques et plus sombres. Entre l’incipit et la fin, „After Yang“ est un film de science-fiction avec Colin Farrell dont le pitch – un ami androïde pour enfants qui tombe en panne – n’est pas sans rappeler „Klara and the Sun“ du nobelisé Kazuo Ishiguro.
Parmi les 14 autres films de la sélection officielle hors compétition, on oscille entre des films bien barrés – à titre d’exemple, citons „Apples“ de Christos Nikou, où un mystérieux virus fait perdre la mémoire aux gens, à qui on propose du coup d’en fabriquer des nouveaux –, des longs-métrages plus sombres – „Animals“ de Nabil Ben Yadir, qui suivra l’histoire vraie d’une personne qui rencontre les mauvaises personnes au mauvais moment – et des œuvres qui se situent entre avant-garde et films de genre explorés par un regard féminin comme „She Will“ de Charlotte Colbert ou „Mona Lisa and the Blood Moon“ d’Ana Lily Amirpour, dont le personnage principal est une adolescente dotée de pouvoirs magiques dangereux qui s’échappe de l’asyle psychiatrique.
Parmi les cartes blanches et collaborations artistiques, là encore trop nombreuses pour pouvoir en faire le tour en un article, saluons la nouvelle collaboration avec ACID Cannes, cette sélection courageuse qui porte des films qui n’ont pas toujours des distributeurs. Les films de ce volet se situent souvent entre des thématiques sociétales de toute urgence („Force of Habit“, sur des moments de sexisme ordinaire vécus par des femmes; „Mass“ de Franz Kanz , qui met en scène un huis-clos de deux couples réunis dans des circonstances dramatiques et qui ne serait pas sans rappeler „Carnage“ de Polanski) et un surréalisme détonnant („Hatching“ de Hanna Bergholm, sur une femme qui couve un œuf géant, „Le bruit des moteurs“ de Philippe Grégoire où un douanier retourne dans son village et où il sera question de pornos policiers et d’un circuit de course).
Bad Banks et fantômes
Du côté luxembourgeois, la programmation n’est pas en reste, avec pas moins de trois films qui évoquent la shoah – „Wou ass d’Anne Frank“ d’Ari Folman, qu’on avait vu et recensé à Cannes, „Le chemin du bonheur“ de Nicolas Steil ou encore „Der Passfälscher“ de Maggy Peren. Ce dernier raconte l’histoire de Cioma Schönhaus, qui falsifie des papiers d’identité pour sauver la vie de ses concitoyens juifs (le film sera présenté ce dimanche à la Berlinale et une recension paraîtra dans le Tageblatt en début de la semaine prochaine).
Présente aussi dans d’autres sélections – en compétition documentaire avec „Lost Flowers“ de Fabrizio Maltese, un film très personnel où le réalisateur se rend auprès de son père dans le centre d’une Italie en pleine horreur pandémique après que celui-ci a été victime d’un arrêt cardiaque; dans la sélection Jeune Public avec „Himbeeren mit Senf“, au centre duquel la jeune Meeri Ehrlich, dotée du pouvoir de voler, doit confronter son premier amour, le décès de sa mère, la volonté du père de se trouver une nouvelle épouse –, la sélection Made in/With Luxembourg proposera encore le documentaire „Crise et chuchotements“ de Jossy Mayor et Laurent Moyse sur le sauvetage de deux banques luxembourgeoises victimes de la crise financière, une soirée dédiée à „Capitani“ lors de laquelle deux épisodes de la saison 2 seront projetés, la traditionnelle séance Courts métrages et plusieurs coproductions, dont „Beanie“ de Slobodan Maksimovic, où deux jeunes – l’un issu d’un foyer, l’autre d’un milieu huppée – suivent un faux père Noël.
Pour la compétition documentaire, outre les „Lost Flowers“ déjà évoquées, on trouvera le très remarqué „Cow“ d’Andrea Arnold sur l’exploitation des vaches laitières, „Dreaming Walls“ d’Amélie van Elmbt et Maya Duverdier sur le légendaire Chelsea Hotel, refuge d’artistes aujourd’hui transformé en hôtel de luxe, „1970“ de Tomasz Wolzki sur l’insurgence d’ouvriers en grève dans une Pologne communiste, „Ascension“ de Jessica Kingdon sur les clivages d’une Chine contemporaine divisée entre ouvriers exploités et nouveaux riches et, enfin, „What Will Summer Bring“ d’Ignacio Ceroi, qui retrouve, sur un caméscope qu’il a acheté, des images filmées qui le fascinent et le feront partir à la recherche de son ancien propriétaire.
Enfin, les huit films de la compétition officielle, comme pour nous consoler des trop rares déplacements qu’on a pu faire ces deux dernières années, nous feront pas mal voyager: au Chili pour une histoire de fantômes et de rivières empoisonnées („The Cow Who Sang A Song Into the Future“ de Francisca Alegría), en Ukraine, où un chirurgien tente de reconstruire sa vie après avoir été capturé puis torturé par les militaires russes („Reflection“ par Valentyn Vasyanovych, dont on avait apprécié „Atlantis“, en compétition officielle du LuxFilmFest en 2020), au Portugal et à Manhattan pour suivre la fin de carrière d’un chauffeur de taxi qui se frotte à l’administration („Jack’s Ride“ de Susana Nobre), dans les bas-fonds de la Russie avec l’histoire d’une stripteaseuse visitée par un fantôme („Gerda“ de Natalya Kudryashova), en Iran pour un road-movie familial („Hit the Road“ de Panah Panahi), dans la baie de Venise pour une exploration de la ville-lagune loin des clichés touristiques („Atlantide“ de Yury Ancarani), puis, non loin de là, sur une île paradisiaque italienne où le quotidien d’un couple est perturbé par un accident („Silent Land“ d’Aga Woszczyńska) et, enfin, au Mexique pour une sombre histoire de trafic humain et de stupéfiants dans laquelle sont impliquées trois jeunes filles („Prayers for the Stolen“ de Tatiana Huezo).
Pour le jury international, présidé par le réalisateur israélo-palestinien Elia Suleiman, on trouve la réalisatrice Ana Lily Amirpour, le compositeur luxembourgeois André Dziezuk, la directrice de la photographie Jeanne Lapoirie et les acteurs·rices Suzanne Clément, Nahuel Pérez Biscayart et Niels Schneider.
Enfin, les événements périphériques ne manquent pas à l’appel, comme la traditionnelle expo – cette fois, c’est Paul Lesch, le directeur du CNA, qui est le curateur d’une exposition „très personnelle“ sur la „marque“ Alfred Hitchcock et sa survie au-delà du cinéma jusque dans la pop-culture (les Flaming Lips, Eminem) –, la masterclass avec Terry Gilliam, qui devait déjà avoir lieu l’année précédente, le pavillon de réalité virtuelle avec son VR to go, les Industry Days où des projets peuvent être pitchés devant des producteurs internationaux, la programmation Jeune Public ou encore le Lost Weekend où sont projetés des courts-métrages réalisés le weekend précédent.
Info
Les tickets (8 euros par ticket, 6 euros en tarif réduit) et pass à 35 euros (pour 5 séances) sont disponibles à partir d’aujourd’hui sur luxfilmfest.lu
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