Rétrospective / Le passage du pape en 1985 – Un bain de foule sauf à Esch
Dans une période marquée par le chômage et la violence terroriste, le pape Jean-Paul II est de passage au Luxembourg les 15 et 16 mai 1985. Après avoir été chahuté aux Pays-Bas, son passage au Luxembourg est entouré de ferveur. Sauf à Esch.
La propension des Eschois à ne pas faire comme le reste du pays ne s’est pas toujours mesurée en voix dans les urnes comme en 1919 pour la République ou en 1937 contre la loi muselière. En 1985, lors de la visite du pape Jean-Paul II, c’est en saucisses sur le grill, qui n’ont pas trouvé preneurs, que nos prédécesseurs au Tageblatt avaient mesuré le peu d’enthousiasme pour la venue du pape dans la ville rouge. Au premier de ses deux jours de présence, le 15 mai, seules 3.000 personnes ont assisté à Esch à la venue du pape polonais, tandis que le lendemain matin, dans la ville de Luxembourg, 40.000 personnes allaient assister à la célébration organisée au Glacis.
L’exemple hollandais
Les Hollandais avaient montré la voie aux Eschois. L’escale luxembourgeoise intervenait au cœur d’un voyage apostolique dans le Bénélux du 11 au 21 mai 1985 et après un passage aux Pays-Bas (en ce temps à 40% catholique) mouvementé. A Utrecht, des heurts sont survenus entre la police et des manifestants se réclamant d’un „Front rouge antipapiste“ et d’un „Comité national contre la visite du pape“ de l’organisation homosexuelle COC. Mais le pape y est surtout boudé. A l’aéroport d’Einhdoven, on attendait 25.000 personnes, il y en eut 4.000. Aucun représentant de l’Etat ne s’était d’ailleurs déplacé, afin de souligner le caractère religieux du voyage.
A Esch, on avait parié sur 50.000 personnes pour venir écouter le pape. Ici comme aux Pays-Bas, la peur d’un attentat a pu dissuader du monde. Le déplacement du pape en Papamobile était la preuve de la menace qui pesait sur lui. Au Luxembourg, ce sont d’autres attentats qui inquiétaient les autorités. Ceux perpétrés par celui qu’on n’appelait pas encore le „Bommeleeër“. Huit jours avant l’arrivée du pape, un poteau électrique est plastiqué au „Schléiwenhaff“, à quelques kilomètres de la capitale. Sa chute sur l’autoroute toute proche a fait cinq blessés parmi les dix véhicules qui se sont empêtrés dans les câbles électriques.
„Cher de croire“
C’est alors le cinquième d’une série de vingt attentats, qui ont commencé par deux explosions à côté de pylônes électriques un an plus tôt, et qui va connaître son pic pendant l’année 1985, avec seize faits entre le 12 avril et le 2 décembre. Pour l’heure, c’est un énigmatique mouvement écologiste combattant qui a revendiqué l’explosion. Personne n’y croit vraiment. Par contre, on croit à l’arrivée dans le pays de la terreur extrémiste. C’est l’indépendance du pays et sa capacité à parer la terreur qui sont soulevées dans la perspective de l’arrivée du pape. „Sind wir nach all dem, was jetzt vorgefallen ist, überhaupt gerüstet; und ist es zu verantworten, einen Gast zu empfangen, der bereits zweimal Zielscheibe von Attentätern war?“, s’interroge Romain Durlet dans l’éditorial du Tageblatt du 9 mai. Ce risque accru, le Luxembourg le partage avec la Belgique où le pape doit se rendre ensuite et où les cellules communistes combattantes ont commis quinze attentats en un an.
Si la peur d’un chaos sur les routes et le mauvais temps (un gros orage avait éclaté et refroidi l’assistance à 17h) pourraient aussi expliquer la défection populaire à Esch, il y avait aussi des motifs politiques qui pouvaient retenir de participer. Le syndicat OGBL, en amont de la visite, avait dit du pape qu’il était un obstacle à l’émancipation des femmes – en s’opposant aux moyens de contraception et aux nouveaux modèles familiaux notamment. Sa contestation résidait aussi dans ses positons face aux problèmes du Tiers Monde et notamment par rapport à la théologie de la libération – Jean-Paul II avait rejeté sa vision du Christ en révolutionnaire. Dans un micro-trottoir massif paru dans le Tageblatt avant l’arrivée du pape, un autre motif apparaît, à savoir que beaucoup de citoyens considèrent que l’argent dépensé pour l’accueil du pape aurait mieux fait de l’être pour combattre la pauvreté et la faim dans le monde. Cela renvoie au „Cela coûte cher de croire“, lue dans les rues d’Utrecht, par le correspondant du journal Le Monde.
Chômage et immigration
C’est alors une coalition rouge-noir qui est aux commandes du pays depuis juillet 1984, avec Jacques Santer comme premier ministre. A la différence des Pays-Bas, tous les ministres luxembourgeois s’empressent d’aller saluer le pape sur son passage. C’est aux handicapés que le pape réserve sa première célébration avant de se rendre dans les institutions européennes. On est alors en pleine préparation du futur acte unique européen qui va supprimer les frontières intérieures et organiser la libre circulation des marchandises, capitaux et services. Le pape s’inquiète de la société de consommation qui se généralise, au détriment de la vie spirituelle. Il dit: „L’exagération de certains désirs, amplifiés par leur projection dans les médias, les craintes éprouvées devant toutes les menaces de violence et d’instabilité qui pèsent sur le monde, les séductions ambiguës qu’exercent les possibilités inouïes des sciences de la vie, tout cela expose l’homme contemporain à ne plus savoir tracer sa route dans la clarté, à se laisser saisir par les vertiges du doute et finalement à perdre de vue les bases d’une saine éthique.“
C’est ensuite à Esch-sur-Alzette, qu’il s’en va visiter les installations de Belval puis prêcher dans le désert (ou presque). La crise de la sidérurgie est devenue moins prégnante. Le gouvernement œuvre au développement d’un environnement juridique favorable au développement de la place financière, pour tenter de résorber le chômage, et notamment le chômage des jeunes, qui est l’une des nouvelles apparitions de ces années-là. C’est d’ailleurs un certain Jean-Claude Juncker qui est alors ministre du Travail, en charge du dossier. „Bien que ce fléau atteigne proportionnellement moins le Luxembourg que d’autres pays, il ne faut pas cesser de redire qu’il est toujours un mal, surtout quand il affecte les jeunes“, dit le pape. Il y évoque l’immigration et attire l’attention sur „les problèmes comme l’isolement dû aux barrières linguistiques, l’insuffisance du logement ou l’éducation des enfants partagés entre deux cultures“, que peuvent rencontrer les immigrés.
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