Des „Jonk Sozialisten“ à l’ADR / Le revirement extrême de Roy Reding
Bien avant de devenir membre de l’ADR, bien plus encore avant de devenir le député que tous ses homologues ou presque veulent voir démissionner, Roy Reding était socialiste, pacifiste, tiers-mondiste. Pour ceux qui l’ont connu à cette époque, son basculement vers la droite populiste est une énigme que l’arrivisme pourrait expliquer.
En devenant l’un des rares sinon le seul député auquel la quasi-totalité de ses semblables a demandé de démissionner le 7 décembre, Roy Reding est entré dans l’histoire de la Chambre des députés. Cette irruption s’est faite par la petite porte, mais le sourire satisfait que le député ADR affichait lors d’une journée qui pour le commun des députés aurait été la pire de sa carrière politique, a posé question à beaucoup.
Même si, pour épargner ses nerfs, il évite de croiser dans le journal le regard ou les paroles de son ancien camarade de classe, un ancien élève du lycée d’Echternach (qui préfère garder l’anonymat) n’a pas échappé à ses récents propos et actes autour du coronavirus. Ils l’ont fait sortir de ses gonds: „Les ficelles sont tellement grosses, il en appelle aux plus bas instincts d’une frange de la population à laquelle il n’a jamais appartenu et qu’il méprise par ailleurs. Il a beau dire à ses supporteurs qu’il est avec eux sur le même bateau, il oublie de dire que ce sont les autres qui rament pendant que lui, il bronze sur le pont.“
L’ancien ami s’est demandé comment il pouvait encore se regarder dans sa glace après un tel désaveu généralisé. Qu’il semble au contraire content de son sort l’a conforté dans l’idée que ce qui compte pour Roy Reding, c’est qu’on parle de lui, peu importe ce que l’on peut bien raconter. „Si demain le gouvernement est communiste, il va se rappeler que son père était communiste et fondera une coopérative agricole“, dit-il en riant.
Pour lui comme pour beaucoup d’autres, Roy Reding, ce fut d’abord un jeune homme très engagé à gauche, épousant toutes les causes que de telles convictions invitaient à épouser. Dans une tribune publiée dans notre journal le 14 décembre, l’ancien président des Jeunesses socialistes, René Kollwelter, se souvenait l’avoir croisé dans les années 80 et d’avoir souvent entendu l’étudiant de quinze ans reprocher aux autres de ne pas être assez à gauche. Il voyait dans son parcours la trajectoire d’un opportuniste.
„Avons-nous été trompés?“
Les personnages capables de traverser tout le spectre politique sans état d’âme ne sont pas légion. En avoir connu un dans son entourage n’est pas forcément un privilège. II faut accepter d’être confronté à ces deux sempiternelles questions qui viennent régulièrement tarauder ses anciens camarades de classe: „Comment est-ce possible? Avons-nous été trompés?“
Au lycée classique d’Echternach où il a fait ses études, Roy Reding était certes un original, „un peu à la marge“. Il fumait la pipe. Il s’habillait plutôt façon „marché de Noël“ quand les autres cédaient aux modes punk ou rock’n’roll. Il écoutait Konstantin Wecker et Bettina Wegner plutôt que Queen et Deep Purple. Mais Roy Reding était comme beaucoup de jeunes gens de son époque: engagé dans tous les combats qui s’offraient à la jeunesse: pacifiste, tiers-mondiste, féministe.
FIls d’une famille de Bech identifiée dans la région comme bien à gauche, Roy Reding avait pour particularité d’être déjà engagé dans un parti politique. Il partageait ce privilège avec un seul autre élève, qui deviendrait secrétaire du DP quand lui rejoindrait l’ADR: Georges Gudenburg. A l’époque, les affaires à répétition avaient pourtant nourri la méfiance envers les partis politiques. Reding avait eu l’occasion de la relativiser dans le magazine Forum de juillet 1983. „Et gët an all Partei gudd Leit genausou wéi ët an all Partei schlecht Leit gët. – Ech ka gudd verstoe, wann ugesichts vun Affairen an Affairercher vill Leit un dëser Glaafwierdegkeet zweiwelen. Et kann een awer nët pauschal soen, d’Politiker wären onglaafwierdeg. Ech muss allerdéngs soen, dass eng Partei mat zwee Bustawen déi onglaafwierdeg Politiker sammelt“, disait-il.
Interrogé pour un dossier consacré aux jeunes et à la politique, le militant, tout juste majeur, confiait avoir eu une révélation intellectuelle à l’âge de 13 ans. En s’intéressant aux relations internationales et à la question sociale, il a croisé les discours d’une figure du mouvement américain pour les droits civiques. „Ech hun deemols festgestallt – ënnert engem gewëssen Afloss vum Martin Luther King –, dass eist System, de Kapitalismus, kengeswegs ‚chrëschtlech’ as. Dun hun ech mech fir d’Parteien an hir Virstellungen interesseiert“, confiait-il. Et c’était le parti socialiste qui lui a semblé répondre à ses aspirations.
Cet engagement politique, disait-il, lui avait ensuite permis de siéger au conseil d’éducation de son établissement, de s’engager au mouvement écologique et de cofonder le journal lycéen Maulwuerf en 1982. L’un des premiers textes qu’il y a publiés est un reportage ramené d’une grande manifestation pacifiste qui a rassemblé à Luxembourg 3.500 personnes le 15 mai 1982. Le gouvernement CSV-DP avait favorisé la mobilisation en proposant que des avions de surveillance de l’OTAN soient enregistrés au Luxembourg, à une époque où l’appartenance à l’organisation internationale et l’accueil de ses entrepôts sur le territoire national étaient contestés à gauche. Enrubanné dans le keffieh des sympathisants de la cause palestinienne qui le quittait rarement à l’époque, Roy Reding posa les questions qui fâchent au vice-président du LSAP, Aly Schroeder, comme à Guy Wagner écrivain et prof dont il se fit un plaisir de rapporter la réponse: „DP heischt fir mech ‚déitlech Prostitutioun’.“
„Friddensbewegung“ et sittings
A l’époque, Fb n’est pas le diminutif d’un réseau social qui oblige ses usagers à n’apprendre que ce qu’ils connaissent déjà. C’est le doux nom de Friddensbewegung. C’est l’équivalent de la grève pour le climat des lycéens d’aujourd’hui, à savoir un mouvement présent dans tous les établissements, encouragés par une partie du corps professoral. Alors professeur à Echternach, Frank Feitler, futur directeur du Grand Théâtre, a d’ailleurs donné à Roy Reding un des rôles principaux d’une pièce de théâtre contre la violence qu’il fit jouer à une vingtaine d’élèves.
L’année 1982 fut une année de crise et celle de la dernière grève générale qu’ait connu le pays. Les Jeunesses socialistes travaillaient alors sur un manifeste, cosigné d’ailleurs par René Kollwelter, pour une sidérurgie nationalisée, laquelle serait le moteur d’un projet de redressement destiné à sauver le pays du péril dans lequel la crise l’a plongé. L’annonce de la création de l’usine de robots japonaise PANUC à Echternach, là où Moinsanto engageait 1.500 personnes avant de fermer boutique en 1979, ne répondait pas à ces vœux d’une économie accompagnée par l’Etat. La section locale des Jeunesses socialistes à laquelle appartient Roy Reding ne peut que s’en plaindre. Dans un communiqué de presse, elle dénonce la rationalisation du travail, la robotisation et un nombre d’emplois créés (quatre au total) bien loin du „succès“ à venir dont s’était targué le DP local lors des élections communales de 1981. Roy Reding qui a ouvert ses réseaux au Maulwuerf, n’hésite pas y publier le communiqué. Cela lui vaut des critiques auxquelles il répond dans l’éditorial de l’édition suivante. „Dass der grösste Teil der Mw-Artikel sich auch in der ‚rot-grünen’ Ecke ansiedeln. Vielleicht kommt das einfach daher, weil linke Schüler aktiver sind (oder sollte ich etwa so böshaft sein und behaupten, dass es halt kaum rechte Schüler gibt?).“
Rédigé par des lycéens à la plume acerbe, De Maulwuerf ne perd rien de sa férocité par la suite. Le feuilleter aujourd’hui, c’est se rendre compte de l’incroyable richesse d’un tel journal lycéen pour restituer l’ambiance électrique qui régnait dans un lycée conservateur comme celui d’Echternach dans les années 80. C’était le temps des sittings et actions de blocage, contre la direction qui interdit aux lycéens de se garer dans la cour ou qui sépare les couples qui se tiennent par la main. Dans le journal, on est déjà bien plus avancés. On parle d’homosexualité et d’union libre. Roy Reding y va de sa petite enquête sauvage auprès des élèves pour constater que les pratiques se sont libérées. „Ein Trend geht aus dieser Umfrage allerdings klar hervor: Für die Jugendlichen ist Sexualität KEIN TABU mehr, und die verklemmte Beichtstuhlsexualität unserer Ahnen, die man uns immer noch anerziehen will, gehört wohl endgültig der Vergangenheit an“, écrit-il.
Anticléricalisme
Roy Reding est anticlérical mais il est toutefois catholique et s’attarde à plusieurs reprises sur le grand écart que nécessite d’être à la fois catholique et socialiste. „Man könnte nun annehmen, ich stünde zwischen den Fahnen, sei hin- und hergerissen. Dem ist nicht so. Zwar lehne ich die ‚Kirche’ ab, doch ich glaube an Jesus Christus, genauso wie ich die atheistische Dimension des Marxismus ablehne und trotzdem Sozialist bin. Doch das verstehen weder die ‚Brüder’, noch die ‚Genossen’. Dass man durch christlichen Glauben zum Sozialisten werden kann, verstehen sie nicht. Und doch hat auf mich nichts politisch radikalisierender gewirkt als das Evangelium.“
Man könnte nun annehmen, ich stünde zwischen den Fahnen, sei hin- und hergerissen. Dem ist nicht so. Zwar lehne ich die ‚Kirche’ ab, doch ich glaube an Jesus Christus, genauso wie ich die atheistische Dimension des Marxismus ablehne und trotzdem Sozialist bin.en 1984
Il a beau inviter ses camarades des Jeunesses socialistes à faire le chemin inverse du sien, cela ne les dissuade pas, lors du congrès programmatique du LSAP organisé en mai 1984 en vue des élections nationales de l’année suivante, de proposer la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le président du parti, Robert Krieps, décline en disant qu’il ne faut pas confondre l’Eglise avec le Wort et le CSV et que beaucoup de catholiques figurent dans leur rang. C’est d’ailleurs Reding qui ensuite prend la parole pour faire adopter une motion qui, elle, ne risquait pas d’empêcher d’advenir la future coalition CSV-LSAP.
Roy Reding a pourtant des positions qui lui valent souvent d’être qualifié d’homme de Moscou ou de Bolchévique. C’est le cas notamment quand il déploie ses arguments contre la course à l’armement qu’il reproduit dans son journal. „Es kann nicht angehen, dass die Rüstung, nach den ihr sowieso schon zugestandenen Rüstungsmilliarden, nun auch noch den Sozialhaushalt (Arbeitslosengeld-Renten-Krankenversicherungen-Zuschüsse…) angreift! (…) Es gibt einfach Menschen, die nicht verstehen, dass man weder unter dem Joch des Kommunismus, noch unter jenen des Kapitalismus leben will. (…) Ich will in Frieden leben, in einer Demokratie, in der die Menschenrechte über allem – auch über dem Kapital – stehen.“
Ancien correspondant du Tageblatt
La fin du lycée signifie la fin du Maulwuerf mais pas la fin du journalisme pour Roy Reding. D’anciens collègues se rappellent de lui comme correspondant du Tageblatt. C’était une suite possible pour l’étudiant en droit socialiste qu’il était. Son style journalistique est enlevé. Il ressemble plus à celui d’un communicant qu’à celui d’un journaliste. En septembre 1987, il suit de près et en toute partialité la campagne socialiste pour les élections communales d’Echternach. Lors du dernier conseil communal avant l’élection, il décrit la coalition sortante comme fatiguée, laxiste au niveau de l’aménagement urbain, en pleine contradiction avec son programme. Dans un reportage dithyrambique sur une action de terrain des candidats socialistes, il ironise sur la manière dont la majorité laisse traîner les petits soucis des citoyens. „Einen endlich reparierten Bürgersteig kann man nicht einweihen …“ Il écrit que ce sont les socialises qui montrent les idées neuves pour emmener Echternach dans le „Troisième millénaire“.
Lors de ces élections, c’est un outsider, le député socialiste Jos Scheuer, qui emporte la commune et renvoie le DP dans l’opposition. Comme professeur au lycée classique d’Echternach, il a eu en classe cet „élève franchement très engagé au parti socialiste“ qu’était Roy Reding. Devenu bourgmestre, il a profité des services de ce journaliste qui n’a pas sa langue dans sa poche. L’arrivée de Jos Scheuer a marqué „un nouveau départ, au niveau social“ dans la commune. Et Reding a aidé à faire passer la pilule. „Roy Reding prenait ma défense, défendait les projets que nous avons mis en place par une majorité toujours courte de 6 voix contre 5.“
„D’un point de vue psychologique, c’est un type qui a toujours combattu pour être le premier, une course à la réussite“, se souvient Jos Scheuer. Or, Roy Reding était aux premières loges pour comprendre qu’il n’aurait pas sa chance au parti socialiste. Il y avait plusieurs pontes dans l’Est. Et par ses écrits, il a contribué à en instituer un nouveau. „ll avait toujours l’esprit frondeur, cela faisait partie de la jeunesse socialiste. J’ai profité de son esprit qui s’opposait à ceux qui étaient établis au sein du parti socialiste“, convient Jos Scheuer.
Retour dans la sphère publique
En décembre 1993, Roy Reding a publié un article dans le magazine Forum, dans lequel il formule un plaidoyer en faveur de l’égalité des citoyens devant la loi. „Kaum eine Rechtsmaxime ist eine wichtigere Grundlage unseres Systems und kaum eine Rechtsmaxime wird öfter mißachtet, verhöhnt und außer Acht gelassen.“ C’est en quelque sorte le testament de son prime engagement politique. A l’époque, il venait de devenir avocat et il allait acheter ensuite un domaine cossu en Belgique. Son chemin s’est alors séparé de celui de ses anciens camarades de classe.
Il est réapparu dans la sphère publique en 2003. Il a d’abord semblé réanimé par la flamme de sa jeunesse. Il fut cette année-là avocat de Greenpeace dans l’affaire qui l’opposait à Exxon parce que des militants s’étaient enchaînés aux stations pour protester contre le réchauffement climatique. La même année, il cosigna avec tout ce que le Luxembourg comptait de progressistes une lettre ouverte pour l’expression pacifique de la société civile, contre une loi qui voulait limiter le droit de manifestation.
„Hypocrisie et opportunisme“
Et puis, en 2005, il s’est lancé dans la bataille pour le non à la constitution européenne, sans montrer vers quel bord politique il penchait. C’est à ce moment que son ancien camarade de classe l’a découvert sur RTL en train de débattre avec Jean Asselborn. Il lui sembla le voir prendre sa revanche contre un parti qui n’avait pas voulu lui donner sa chance. Et c’est l’année suivante qu’il s’engagerait pour l’ADR. Jos Scheuer, alors encore député, a cru un temps que cela signifierait que le parti serait plus à gauche. „Après son passage à Luxembourg, quand j’ai vu qu’il était à l’ADR, j’avais l’idée qu’il y ferait entrer un vent un peu plus à gauche. C’était une illusion.“ De son passé, il était surtout resté la personnalité têtue, colérique, „l’esprit hégélien“ qui „pouvait dire le contraire par principe“.
Ses anciens camarades n’ont toujours pas encaissé. „Cette mue est, même pour certains camarades qui lui étaient plus proches, totalement incompréhensible. A sa place j’aurais honte. J’ai d’ailleurs un peu honte pour lui et ça me fait de la peine.“ Hypocrisie et opportunisme sont les deux mots qui viennent en tête de son ancien quand il pense au personnage politique qu’il est devenu. Ce sont les deux ingrédients qui mélangés produisent ce fléau de l’engagement politique qu’est l’opportunisme.
- Un livre sur le colonialisme récompensé – Le choix de l’audace - 14. November 2024.
- Trois femmes qui peuvent toujours rêver: „La ville ouverte“ - 24. Oktober 2024.
- Une maison à la superficie inconnue: Les assises sectorielles annoncent de grands débats à venir - 24. Oktober 2024.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können.
Melden sie sich an
Registrieren Sie sich kostenlos