France / Le RN conforte largement sa prééminence, la gauche résiste, le macronisme s’effondre …
Les résultats du premier tour des élections législatives provoquées par la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par le président Macron le 9 juin dernier, ont illustré combien le chef de l’Etat a perdu son pari. L’extrême droite confirme en effet sa large avance, suivie d’une gauche dominée par LFI et qui, elle-même, laisse loin derrière les différentes composantes de l’ex-majorité présidentielle. Le tout pouvant préfigurer une France sans majorité le 7 juillet.
Les chiffres, et plus encore les estimations portant sur le futur effectif possible des différents groupes politiques dans la prochaine Assemblée, devaient évidemment varier durant la soirée électorale du dimanche, et aussi d’un institut de sondage et d’analyse à l’autre. Mais dès 21 heures, trois constatations s’imposaient, outre une évidente mobilisation des électeurs avec environ 68 à 69% de votants. Soit le chiffre le plus élevé depuis 1997, et un gain de quelque 21 à 22% par rapport aux législatives précédentes, en 2022, représentant la bagatelle de près de dix millions d’électeurs supplémentaires ! Ce qui n’en donne évidemment que plus de poids aux trois constatations en question.
La première est qu’avec un score total estimé à 33, voire plus de 34%, le Rassemblement national de Marine Le Pen – elle-même réélue dès ce premier tour avec 58% des voix dans son fief du Pas-de-Calais, comme plusieurs autres candidats du RN – consolide sa place de premier parti de France, et de très loin puisque la coalition arrivée seconde regroupe, elle, quatre partis. Les estimations lui laissent espérer, au terme du second tour dimanche prochain, 260 à 310 sièges au Palais-Bourbon, ce qui lui permettrait de disposer, si le haut de cette fourchette était atteint, d’une majorité absolue puisque celle-ci est de 289 sièges. Dans le cas contraire, le RN pourrait encore envisager d’élargir son assiette parlementaire auprès de quelques autres élus, mais cela ne serait pas gagné d’avance, même si son ambition reste plus d’installer Jordan Bardella à Matignon.
Deuxième constat: malgré les accents triomphalistes de Jean-Luc Mélenchon, la coalition de gauche qui s’est formée sous son égide, tout en réalisant le score très honorable de 28,5% environ, ne peut guère attendre, selon les sondeurs, que 115 à 145 sièges dans la prochaine Assemblée, à répartir entre quatre groupes dont trois (PS, PCF, Verts) ne font pas mystère de ne s’être alliés à LFI que pour sauver assez de sièges pour faire barrage au FN, et ne veulent de M. Mélenchon à aucun prix comme premier ministre. Ce dernier a cependant considéré que la seule alternative à l’extrême droite était une majorité absolue pour ce Nouveau Front populaire ainsi constitué, ce qui, dimanche soir du moins, paraissait bien peu probable.
Troisième constat, enfin: ce scrutin pourrait bien, en tout cas si les tendances observées au premier tour se confirment au second, constituer l’acte de décès du macronisme, même si ses différentes composantes peuvent encore espérer totaliser une centaine de sièges, plus probablement dans les 80. Le chef de l’Etat, qui réunit ce lundi matin ses ministres à l’Elysée, a lui-même appelé face au RN, pour le second tour, à un „large rassemblement des républicains dans la clarté et la démocratie“. Deux termes qui semblent faire place aux socialistes, aux communistes et aux Verts, mais plutôt exclure La France insoumise.
La déclaration présidentielle a au moins le mérite de poser au grand jour un problème qui a divisé son propre camp, tout comme la droite modérée (qui ne recueille que 10% des voix et pourrait n’avoir qu’une trentaine d’élus dans une semaine): celui des désistements en vue du second tour. Car après un premier tour explicite mais non pas décisif, c’est toute la suite de cette opération électorale qui pourrait bien se jouer là. Y compris le risque de priver la France de toute majorité de gouvernement au soir du second tour.
Pour Matignon, un titulaire et deux postulants
Il n’est pas si courant que des élections législatives se traduisent aussi par une bataille pour le poste de premier ministre dès la campagne du premier tour, c’est-à-dire avant que l’on connaisse la composition d’une éventuelle majorité nouvelle. Or, cette fois-ci, la compétition aura aussi opposé trois personnalités fort différentes pour Matignon, deux „jeunes loups“ de la vie publique française et, au contraire, un vieux renard rompu aux ruses et aux joutes politiciennes: Gabriel Attal pour la majorité sortante, et côté opposition Jordan Bardella pour l’extrême droite et Jean-Luc Mélenchon pour l’extrême gauche.
Attal a fait, sous le règne de Macron, un parcours brillant, mais peut-être éphémère. Venu du PS, entré tout jeune dans le premier cercle de la Macronie, c’est en reprenant le portefeuille de ministre de l’Education nationale qu’il se fera vraiment connaître du grand public.
Mais celui qui fut quelques années plus tôt le plus jeune membre d’un gouvernement de la Ve République n’aura pas le temps d’y transformer l’essai: le 9 janvier dernier, il remplace Mme Borne à Matignon, là aussi avec un certain allant, face au mécontentement agricole notamment. Décidément voué aux trajectoires météoriques, il ne semble pas promis à conserver ce poste au-delà des législatives. Fût-ce en attendant mieux?
Encore plus jeune, Jordan Bardella, bien de son temps jusqu’à son prénom à la mode, son parler „cash“ et son allure juvénile – il n’aura que 29 ans à la rentrée de septembre – fait, lui, ses premières armes de vedette politique dans cette double campagne électorale, européenne d’abord, puis législative. Cela sous les couleurs de l’extrême droite, à laquelle il a appartenu dès la fin de l’adolescence, et en se prévalant volontiers d’un passé social difficile et d’ailleurs en partie contesté.
On sent bien, chez le candidat du RN qu’il est devenu pour la direction du futur gouvernement, des hésitations et contradictions qui trahissent le débutant, notamment lorsqu’il réduit sans cesse ses engagements pour ne pas effrayer les classes moyennes, mais aussi l’aplomb du jeune homme qui, au fond, ne doute de rien. Comme lorsqu’il explique que tel ou tel aura „des responsabilités importantes“ dans ledit gouvernement, ou qu’il n’acceptera Matignon que s’il dispose d’une majorité absolue au Palais-Bourbon.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, fondateur de La France insoumise, il peut se flatter d’avoir, grâce à l’inconséquence de Macron, ressuscité sa Nupes, alliance des partis de gauche qui avait bien fonctionné lors des législatives de 2022 avant de se disloquer. Quoi qu’en disent ses partenaires, le Nouveau Front populaire reste dominé par LFI, comme l’avait été son tout récent ancêtre.
A une importante réserve près toutefois: si Mélenchon lui-même continue d’assurer qu’il a „l’ambition de gouverner la France“, lesdits partenaires, qu’ils soient socialistes, communistes ou écologistes, s’ingénient au contraire à assurer qu’il n’en est pas question, notamment du fait de l’antisémitisme qui anime une partie de la direction du parti. Reste qu’au soir du 7 juillet, si la gauche l’emporte globalement, le fondateur de La France insoumise aura certainement son mot à dire, si ce n’est son nom à imposer.
Un système électoral particulier
Les députés français sont élus selon un système original, dont la mise au point, de la part des constituants de la Ve République, répondait à plusieurs objectifs particuliers, dictés en 1958 au général de Gaulle et à son fidèle Michel Debré, qui serait son premier chef de gouvernement, par de mauvais souvenirs du régime précédent.
Il s’agissait en effet, dans leur esprit, d’empêcher tout retour à la redoutable instabilité politique qui avait marqué la IVe République, avec 24 gouvernements en onze ans. Le grand responsable de cette instabilité leur semblait être l’émiettement des partis au sein de l’Assemblée nationale, né de la représentation proportionnelle – certes plus juste sur le plan de l’équité politique – et du scrutin de liste, la combinaison des deux favorisant en outre les tractations sans fin, les alliances sans réel fondement – le comble ayant été atteint en 1951 avec la loi dite „des apparentements“, destinée à réduire l’influence parlementaire des communistes et des gaullistes – plus un rôle abusif des petits „partis charnières“ et le partage des portefeuilles ministériels. Le tout dans un contexte où aucune majorité absolue n’émergeait des scrutins législatifs, ce qui exposait perpétuellement l’exécutif à être renversé, parfois (mais pas toujours!) sur une broutille.
C’est pourquoi a été institué ce qu’on appelle le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Uninominal, parce que chaque électeur doit voter pour un candidat à la députation, et un seul, ce qui implique le découpage du pays en circonscriptions électorales; et à deux tours, parce que l’on a tout de même voulu éviter un système à la britannique ou, dès le premier et unique tour, celui qui arrive en tête, fût-ce avec un capital de voix faible, est élu sans autre forme de procès.
Aujourd’hui, après différents aménagements tenant compte de la démographie, on compte 577 circonscriptions, ce qui place la barre de la majorité absolue à 289 sièges. Et embarrasse fort les sondeurs, qui se plaignent que, contrairement à d’autres scrutins, il y ait aux législatives françaises 577 élections différentes, dont le résultat global est donc bien difficile à prévoir!
„Combien ça va couter?“
Dans la bataille qui a précédé ce premier tour, un des thèmes d’échanges particulièrement vifs – et aussi, hélas, particulièrement vains – aura été celui du chiffrage des programmes respectifs de la gauche et de l’extrême droite. La majorité sortante a plus ou moins échappé, quant à elle, à cette bataille de chiffres, en raison de la relative modestie de ses nouvelles propositions: quand on incarne le pouvoir sortant, il est difficile de promettre monts et merveilles au risque de s’entendre constamment reprocher: „Pourquoi, si telles étaient vos intentions, ne l’avez-vous pas fait plus tôt?“ Mais elle aura largement contribué à l’animer, en lançant à ses adversaires des deux bords l’accusation de faire courir la France à la ruine à coups de dispendieuses et démagogiques promesses.
Il faut bien dire que cet argument aura été perçu par une partie des électeurs comme sérieux. A un moment où l’endettement public de la France est devenu tel – sous les présidences successives de ces dernières décennies, mais avec une mention particulière pour celle(s) de Macron – que le paiement des seuls intérêts de la dette pourrait constituer, si rien n’est fait, le premier budget du pays d’ici quelques années, devançant ceux de l’Education nationale ou de la Défense.
Mais quelque chose est venu réduire la portée de la contre-attaque gouvernementale face aux promesses de la gauche, estimées selon les sources entre 120 et 130 milliards d’euros pour les finances publiques, et celles de l’extrême droite, qui même après leur révision à la baisse pourraient dépasser les 80 à 100 milliards d’euros. Car aux accusations de la majorité sortante sur le thème „Comment osez-vous ajouter de tels fardeaux à l’endettement de la France?“, l’opposition a eu beau jeu de répondre: „Cet endettement, à qui la faute?“
Vous avez dit: „Guerre civile“?
Le président Macron avait tout d’abord affecté de se placer très au-dessus des contingences électorales immédiates, en héritier de la tradition instaurée vaille que vaille par ses prédécesseurs. Mais l’envie de se mêler de tout, qui l’avait déjà conduit à intervenir dans tant de dossiers qui n’étaient aucunement du ressort de l’Elysée, n’allait pas se taire face à un enjeu aussi important que celui d’élections provoquées par lui-même. Et cela malgré les objurgations de différents membres de son entourage.
Sur sa lancée, le chef de l’Etat n’a pas hésité à assurer, dans un de ces entretiens sur Internet qu’il affectionne, que la victoire de l’extrême droite ou de l’extrême gauche conduirait la France à la „guerre civile“. Formule qui revient à dire que l’Etat qu’il préside – et pour trois ans encore, en principe – serait incapable de maîtriser d’éventuelles manifestations de colère des uns contre les autres, des perdants contre les vainqueurs, et réciproquement peut-être. Manifestations très possibles en effet, et contre lesquelles le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a justement mis ses troupes en garde.
Mais enfin, „guerre civile“? Où l’on se tire dessus entre compatriotes, pour annuler en quelque sorte le verdict des urnes, et prendre par les armes le pouvoir que le peuple, de droite ou de gauche, vous a refusé? Argument essentiellement destiné, bien sûr, à faire peur aux électeurs tentés par l’un ou l’autre camp des „extrêmes“, comme dit sans cesse le président. Mais qui n’aura certes pas été l’un des plus brillants de la campagne de ce premier tour.
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