France / Le RN s’éloigne nettement de la majorité absolue, mais aucune autre ne se dessine
La campagne pour le second tour des élections législatives françaises s’est achevée hier soir en France dans un climat pesant, marqué dans tous les camps par une attente anxieuse. Jamais en effet sous la Ve République l’avenir politique et même institutionnel n’avait paru aussi incertain au terme d’une consultation il est vrai inattendue, du moins si tôt après la précédente, deux ans plus tôt.
Décidément, il était temps que cette campagne se termine, et à tous égards. D’abord parce que tout semble avoir été dit et redit depuis des jours déjà, et que les débats, souvent prompts à basculer dans l’invective, tournent en rond. Ce qui peut sembler paradoxal puisqu’en réalité, les opérations de propagande avant le vote n’auront duré que trois semaines, un record de brièveté depuis juin 1968, et d’abord dénoncé comme tel.
Mais aussi parce qu’à force de faire monter le ton, d’inévitables incidents, notamment entre colleurs d’affiches, se sont multipliés. Selon le ministre de l’Intérieur, 51 candidats ou militants se sont fait agresser ces tout derniers jours, plus ou moins gravement, sur la voie publique; y compris sa collègue Prisca Thévenot, porte-parole du gouvernement.
L’envie de voter des Français ne s’est pas pour autant émoussée. Tout au contraire, même, puisque selon les sondages, 68 pour cent des électeurs inscrits, soit quatre points de plus qu’au premier tour, entendent bien le faire demain, malgré la date estivale de ce second tour. Grâce, il est vrai, à un large recours aux procurations, confiées aux amis ou parents qui ne sont pas encore en vacances: le chiffre de trois millions est désormais dépassé, le double de ce qui avait été enregistré au premier tour, alors qu’il y a déjà 76 circonscriptions sur 577 où le résultat du vote a été acquis dès dimanche dernier.
Le RN entre 175 et 205 élus ?
La question qui se pose, comme chaque fois que la participation électorale s’annonce en hausse, est évidemment de savoir à qui profitera ce surcroît de mobilisation. Les instituts de sondage se montrent très prudents à cet égard. Mais les projections qu’ils ont essayé de faire circonscription par circonscription s’accordent tout de même à montrer que retraits et désistements pourraient empêcher le Rassemblement national de conquérir la majorité absolue au Palais-Bourbon, avec un rééquilibrage des succès locaux au profit du Nouveau Front populaire, et dans une certaine mesure aussi de la coalition macroniste.
Le RN fulmine d’ailleurs contre ces alliances entre adversaires de l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon pour barrer la route aux candidats lepénistes, et n’a de cesse de dénoncer le caractère „contre-nature“ de tels accords, présentés, selon Mme Le Pen, comme „l’exemple-même de la cuisine électorale d’un autre âge, visant à déposséder les Français de leur vote.“ Ira-t-on, dans cette famille politique, jusqu’à prétendre, à la manière de Donald Trump, que son succès électoral lui a été „volé“?
Cela dit, les calculs les moins favorables à l’extrême droite lui accordent tout de même entre 175 et 205 élus demain soir. Les caciques du RN font observer qu’il y a deux ans, les mêmes estimations avaient largement sous-estimé, à l’avant-veille encore du scrutin, le succès, certes minoritaire mais spectaculaire, qui allait être le sien; ils soulignent aussi le fait que dès le 30 juin, leur parti s’est vu gratifié de 39 députés sur les 76 élus au premier tour. Mais …
Tout peut encore arriver demain soir
Les quatre partis de gauche (LFI, PCF, PS et Verts) obtiendraient ensemble, quant à eux, entre 145 et 175 sièges, et l’ensemble de ce que l’on commence à appeler – esquisse d’une future fusion ? – le „bloc central“ en décrochant pour sa part de 118 à 148, et les Républicains, modestement, de 18 à 24; avec un petit nombre de „divers“, de droite et de gauche, pour compléter le tableau. C’est dire que si l’éventualité d’une majorité absolue pour le courant lepéniste, et donc la direction du gouvernement, semble écartée, même en lui prêtant de grandes facultés de séduction en direction de nouveaux dissidents de droite, l’autre crainte majeure des modérés, celle d’une France ingouvernable, reste au contraire d’une grande actualité.
Sauf, bien sûr, dans les deux cas, une forte surprise de dernière minute toujours possible. Une possibilité qui poserait très vite la question de savoir si, dans une telle configuration parlementaire, la constitution d’une „majorité plurielle“ de gouvernement entre des éléments de deux de ces trois blocs fortement opposés aurait la moindre chance de pouvoir efficacement diriger la France. Le tout sous la houlette d’un président Macron qui resterait clairement désavoué …
A tenter de scruter un horizon politique français un peu plus lointain, on pourrait même se demander si, au fond, les ambitions présidentielles de Marine Le Pen pour 2027 ne trouveraient pas leur compte à rester encore trois ans dans l’opposition, en regardant de son balcon parlementaire se déchirer une majorité gauche-droite qui se révélerait trop composite, trop intimement antagonique, pour réussir. Et à laquelle elle apparaîtrait comme la seule vraie opposition. Mais on n’en est évidemment pas là. Et demain soir, tout peut encore arriver.
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