/ Le stand luxembourgeois à la "Frankfurter Buchmesse", version 2.0
Après le succès du premier vrai retour du Luxembourg au salon du livre à Francfort l’année dernière, les choses se poursuivent avec un stand plus chaleureux, du pâté au Riesling, moins d’événements (et donc moins d’auteurs), une plus grande implication de la volonté éditoriale et une extension du domaine grand-ducal dans l’espace et dans le temps.
Alors que l’année dernière, le retour du Luxembourg à Francfort s’était fait en grande pompe, l’ensemble ou presque des auteurs luxembourgeois ayant été logés dans la désormais mythique „A & O Galluswarte“, hôtel qui ressemblait à un foyer d’accueil pour ouvriers sans papiers et au sujet duquel les écrivains s’échangent depuis maintes anecdotes – l’un se rappelle l’obscurité de la terrasse sur le toit où l’on prit l’apéritif en se sentant comme des jeunes dans une auberge de jeunesse pourrie, un autre le grincement sinistre de l’ascenseur, un autre encore les chambres doublement occupées –, cette année-ci fut placée sous le signe d’une plus grande sobriété: le nombre d’événements a été revu à la baisse et ces événements ont de surcroît, comme le précise Ian De Toffoli, président de la Fédération des éditeurs luxembourgeois, „tous un volet international“, ce qui aurait évité que „les Luxembourgeois ne se retrouvent entre eux“.
Si les événements en question – la présentation du numéro spécial que la revue littéraire autrichienne Podium vient de consacrer à la littérature du Luxembourg, une autre présentation, celle-ci du nouveau livre sur Edward Steichen, un panel sur les voix jeunes et un autre sur les bloggeurs – étaient intéressants, il faut souligner que l’acoustique était telle qu’il fallait être placé aux premières rangées pour pouvoir entendre ce qui se disait – un défaut pratique auquel l’on pourrait remédier pour une année prochaine, tout autant qu’au choix exclusivement porcin et donc non végétarien du ravitaillement proposé lors de la cérémonie d’ouverture (on est au stand du Luxembourg, il faut bien chipoter un peu sur la gastronomie).
Des îlots boisés et un espace plus ouvert
Au-delà de tels détails infimes, le stand, cette année-ci, toujours en face de celui d’ARTE et donc placé de façon proéminente, est plus réussi car plus ouvert, avec ses îlots boisés que l’on peut déplacer pour les tables rondes et débats et qui dégagent une plus grande chaleur. Autre détail qui n’est pas sans importance, un deuxième coin, ressemblant à un espace café et dont l’autorisation d’occupation avait déjà été accordée peu après la fin de l’édition de l’année dernière, permet aux intéressés de se réunir autour d’une table afin de parler business, littérature ou les deux.
Parmi les griefs de l’année dernière, l’on avait déploré le nombre assez peu élevé de livres, le stand ayant, tout grand qu’il était (48 m2), donné l’impression qu’on y vendait plus la nation luxembourgeoise que la littérature du pays, au beau milieu de quoi les bouquins passaient un peu inaperçus. Cette année-ci, l’on présente bien plus de livres, ce dont se réjouit l’ancienne coordinatrice Anina Valle, qui avait souhaité que les éditeurs fussent davantage impliqués et que le stand fît la part belle aux livres, et non pas au branding.
Au programme de cette année figurent donc 170 titres de 9 éditeurs différents (Black Fountain Press, Capybarabooks, Editions Gérard Klopp, Editions Guy Binsfeld, Editions Phi, Editions Saint-Paul, Hydre Editions, Kremart Edition et op der Lay), ces livres étant répartis selon plusieurs catégories: les livres proposés par les éditeurs, ceux sur le Luxembourg et des livres primés par (ou retenus sur une des shortlists de) l’un des prix littéraires du pays. Trois catalogues „Foreign Rights“ (fiction, non-fiction et jeunesse) font écho aux „13 Books from Luxembourg“ de l’année dernière.
La présence d’un auteur à Francfort n’est certes pas indispensable au sens où Francfort est plutôt un salon d’éditeurs, raison pour laquelle les auteurs luxembourgeois présents lors de cette mouture erraient parfois autour du stand avec des regards un peu perdus, qui sifflant une flûte de crémant lors d’une des séances de networking, qui faisant la queue dans la cour pour commander des plats surtarifés.
Kairos
Néanmoins, une foire du livre sans auteurs, c’est un peu comme de la bière sans alcool – ça peut se boire, mais ce n’est pas la même chose. D’autant que, à Francfort comme ailleurs, tout est une question de kairos: il suffit d’être au bon endroit au bon moment pour que puisse vous arriver quelque chose de bon (ou de mauvais, si on l’entend en logique karmique).
Ainsi, la coordinatrice de l’année dernière, rayée paraît-il du discours officiel et de la plupart des médias dans une sorte d’effacement aux connotations un peu soviétiques, avait insisté pour que le dessinateur Marc Angel participe à une sorte de „comic battle“ qui demandait à différents dessinateurs de broder autour d’un motif proposé – événement qui a porté ses fruits puisqu’un éditeur allemand rencontré en bout de „battle“ vient de faire paraître la traduction de son „Jas“. Notons que ce même Marc Angel avait fait la connaissance, lors de cette même année, de Samuel Hamen – les deux sortent aujourd’hui „Zeechen“, un recueil de textes illustré.
Pour Ian De Toffoli, il est important de ne pas perdre de vue les auteurs. „Lors des événements, il importe d’impliquer une partie des auteurs, de présenter leurs nouveautés. Il faut de surcroît que les auteurs aient l’occasion de rencontrer des éditeurs étrangers – et qu’ils soient présents lors des fêtes organisées par des éditeurs comme Hanser, KiWi ou Dumont, puisque chacun sait que c’est lors de telles soirées que tout a lieu. Mais je suis sûr qu’il n’est pas très difficile de les pousser à y aller.“
„L’auteur doit rendre le bouquin plus attractif“
L’écrivain Tullio Forgiarini estime lui aussi qu’il s’agit clairement „d’une foire d’éditeurs. L’auteur est une valeur ajoutée, il est censé rendre le bouquin plus attractif. Cela fait partie de son boulot et de ses intérêts, même si, dans le domaine littéraire, cela n’est faisable que jusqu’à un certain point.“ Pour ce qui est des événements organisés, Forgiarini estime qu’il faut persévérer à en organiser: „Lors de l’événement autour de l’EUPL, le public n’était pas exclusivement constitué de Luxembourgeois. Rebelote pour le panel ‚Young Voices‘, ce qui est probablement dû à la présence d’une auteure comme Ivna Žic. Peut-être de telles collaborations internationales fonctionnent-elles.“
Cette année-ci, le salon de Francfort a aussi et surtout formé le cœur d’un projet en pleine expansion. Le Luxembourg voulant renforcer sa présence à bien d’autres foires (des noms comme Leipzig, Londres ou Paris s’étaient fait entendre lors de la conférence de presse), un premier pas effectué fut de faire précéder le salon de Francfort par une poignée d’événements périphériques, ensemble avec ce que la brochure de presse qualifie, dans un langage un peu mercantile, de „branding renforcé“.
Voyage de presse
D’un, l’on organisa un voyage de presse pour des journalistes et des éditeurs allemands, venus pour quelques jours découvrir le versant littéraire du grand-duché, les journalistes et éditeurs étant notamment passés par Bettembourg pour une séance de speed-meeting, à Mersch pour une présentation (probablement très exhaustive, si l’on connaît un tant soit peu Claude Conter) du Centre national de littérature, à l’Institut Pierre Werner, où je lisais avec Elise Schmit (d’ailleurs j’ai l’impression de ne lire plus qu’avec Elise Schmit) et une soirée de rencontre au café littéraire Le Bovary (dont je vous épargnerai la fin puisque je me suis rendu compte que la seule chose que tout le monde avait retenu de mon compte rendu de l’année dernière, c’était cette allusion à peine voilée à une soirée de beuverie).
De deux, lors d’un événement kick-off à l’ambassade du Luxembourg à Berlin, les cinq finalistes de la short-list du „Lëtzebuerger Buchpräis“ furent invités à une table ronde en présence d’éditeurs allemands et du classique public d’ambassade, qui bâillait gentiment et se mit à applaudir quand, au bout de deux heures, Ian De Toffoli, qui modérait la soirée, commença à parler de Homi Bhabha, nous signalant ainsi qu’il en avait un peu marre de la littérature et voulait passer au vin blanc (le public, pas Ian).
Une lente expansion de la présence internationale est prévu
Enfin, un numéro spécial de la revue autrichienne Podium fut publié en amont de Francfort et y fut présenté – le numéro en question, dont nous reparlerons ultérieurement, contient, outre une couverture un peu laide frappée des couleurs du drapeau national, des traductions allemandes de textes en langues française et luxembourgeoise ainsi que des inédits des auteurs luxembourgeois germanographes.
En gros, comme le signale Marc Rettel, qui coordonne le stand cette année, le réseautage pratiqué lors de ces événements fit en sorte qu’on parla pas mal du Luxembourg en amont du salon – ce qui poussa maint éditeur et maint journaliste à passer de façon plus ciblée au stand du Luxembourg. L’accueil fait au stand, à la fois du côté des visiteurs étrangers que du côté des éditeurs du pays fut donc chaleureux, au grand plaisir du coordinateur. Pour les années à suivre, une lente expansion de la présence internationale est prévue (ce qu’a aussi signalé la ministre de la Culture Sam Tanson), en s’appuyant sur les acquis des années d’expérience à Francfort.
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