Adrien Vescovi au Casino / Le temps fait son œuvre
Avec „Jours de lenteur“, Adrien Vescovi, habitué à enregistrer le temps qui passe dans ses tableaux et installations éphémères faits de draps teintés au bout d’un long processus, invite au ralentissement de nos vies et de nos pratiques. Une posture poétique qui frise avec l’art de rue.
Depuis plus d’une dizaine d’années, l’artiste d’origine savoyarde Adrien Vescovi travaille avec les tissus. Au début, il les trimballait à sa suite dans ses nombreuses pérégrinations, entre la Haute-Savoie et sa ville d’adoption, Paris. Il les exposait aux intempéries et contemplait le temps à l’œuvre. Jusqu’au jour où, fuyant une capitale qui sait aussi bien susciter que tuer l’inspiration, il s’est installé dans l’atelier de menuiserie de son grand-père dans les Alpes, profitant de possibilités d’expositions au soleil beaucoup plus grandes et longues. Il a redécouvert la beauté des saisons et entretenu le désir d’enregistrer ces paysages et le temps qui passe sur des tissus colorés avec des végétaux prélevés dans son environnement direct. Ces „jus de paysage“ convoient une forte dose de poésie et de sagesse. Il s’agit en effet de prendre le temps, celui nécessaire à ce que les éléments (pluie, soleil, vent) imprègnent les toiles. Celui que prennent avant cela la préparation des colorants (sélection de pigments), l’épuisement chromatique des draps et leur recoloration en les ébouillantant.
Sa pratique l’a suivi à Marseille où il est installé depuis 2017. Il y a troqué les pigments végétaux pour les minéraux, que ce soient ceux du proche Roussillon (ocres), ou des plus lointaines Italie et Maroc. Ses draps rencontrent la rue tout en continuant à se charger du temps qu’il fait et des objets qui passent devant. C’est un dispositif semblable qui accueille et cueille les visiteurs et passants du Casino – Forum d’art contemporain à Luxembourg, où les œuvres en mouvement d’Adrien Vescovi font une halte jusqu’au 29 janvier 2023. La façade nord du Casino donnant sur la rue Notre-Dame voit sa superficie de 14 sur 38 mètres recouverte de trois tableaux suspendus. „Le matériau pauvre qui les compose parvient à estomper les angles, reposer les regards et sublimer les fissures où qu’elles soient“, dit l’institution au sujet de sa nouvelle parure dans sa communication.
C’est une œuvre qui va évoluer avec les intempéries, mais aussi une œuvre qui se traverse. Lorsque l’on pénètre dans le Casino et monte à l’étage, on lit par derrière le travail d’Adrien Vescovi. Les cinq fenêtres sont toutes obstruées par le revers des tentures. Et les encadrements offrent un cadre aux tableaux. L’artiste a construit des bancs pour évoquer encore davantage le langage du musée et inviter justement les visiteurs à s’asseoir et à prendre le temps de scruter et de penser la matérialité, la couleur de l’œuvre.
Marque-pages et marque-temps
Dans la grande salle, c’est une installation qui s’offre au regard. Une grande pièce posée au sol répond à l’architecture des lieux. C’est en fait une réactualisation à laquelle on assiste. L’artiste a le souci du recyclage qui lui fait choisir des draps de seconde main et fait poursuivre ainsi l’œuvre baptisée „Soleil blanc“ – montrée au Grand café à Saint-Nazaire. Adrien Vescovi conçoit son travail comme éphémère, en mouvement, comme des instantanés appelés à d’autres développements. Cette fois, des draps qui sont toutes des déclinaisons de la couleur blanche et qui avaient enregistré le souvenir de la lumière qui se réverbère sur la neige, sont posés les uns sur les autres. Ils ne sont pas cousus comme les tableaux en façade. Les couleurs varient, mais les textiles aussi. Ces draps ont leurs histoires enfouies, non dites et indicibles. Ces linges rachetés à une brocanteuse portent en leur creux l’histoire des personnes qui les ont utilisés. On pourrait lire dans cet assemblage divers chapitres d’une histoire de l’intime. Pendant au-dessus de ce livre ouvert, il y a d’ailleurs des chutes de la découpe des tableaux en façade. Elles sont suspendues aux plafonds et sont pensées comme des „marque-pages“, sinon comme des fantômes, double allusion aux personnes qui ont déjà dormi dans ces draps et aux fiches que l’on pose à la place des livres empruntés dans une bibliothèque.
Le corps dans cette pièce est partout. Il y a le souvenir des corps qui ont utilisé ces draps, mais aussi le corps à corps, souligné avec emphase par la commissaire Stilbé Schroeder, quand l’artiste compose le tableau, puisant dans sa grille de textiles teintés, découpant, assemblant et créant un tableau dans l’intensité du moment. Il reste des traces de ce corps à corps dans l’œuvre, comme il en reste de toutes les étapes précédentes. Et à cette confrontation au sol succède un corps à corps pour tendre les toiles. „C’est un instant, un marque-temps, une œuvre en devenir“, selon les mots d’Adrien Vescovi.
On peut voir aussi dans l’assemblage une évocation de l’atelier de l’artiste. Des bocaux contenant des produits de teinture se présentent comme des archives de couleurs produites pour l’exposition, et tiennent symboliquement les draps au sol, comme l’artiste les utilise dans son atelier pour tendre et empêcher les toiles de bouger.
Académisme réussi
Enfin, à une quatrième et ultime station, Adrien Vescovi reproduit un acte qu’il n’avait plus accompli depuis l’époque lointaine où s’inscrire dans une forme d’académisme le rassurait. Après avoir traversé les tableaux, contourné une œuvre au sol, nous voilà devant un assemblage de draps tendus sur un châssis, à la manière d’un tableau grand format. On comprend alors mieux pourquoi le travail d’Adrien Vescovi peut être qualifié de peinture sans pinceau. C’est encore la poursuite de „Soleil Blanc“, où l’on retrouve le motif semi-circulaire qui donnait son nom à l’œuvre quand elle fut présentée à Saint-Nazaire. On est immergé dans un paysage, fait de formes et de contre-formes, de profondeurs et d’arches qui lancent un rappel astucieux à l’architecture des lieux.
Cette exposition monographique est d’ailleurs peut-être une dernière possibilité de voir l’art si singulier d’Adrien Vescovi ainsi déployé. L’artiste ne cache pas qu’il se sent arrivé à un tournant, qu’il nourrit des envies d’autres matériaux. Sa recherche pourrait trouver à s’exprimer à travers le bois – la construction de bancs pour l’expo l’a d’ailleurs reconnecté avec le matériau de prédilection de son grand-père – ou la céramique. Mais, avant de se lancer vers de nouveaux horizons l’année prochaine, une nouvelle exposition à Madrid l’occupera jusqu’à la fin de l’année. Preuve que son art de la filature saisit toujours autant.
„Sound without music“
Le Casino – Forum d’art contemporain démontre une nouvelle fois son intérêt pour l’art sonore, après le passionnant travail de Patrick Muller dédié à Alvin Lucier au début de l’année 2020, puis, au sein du Casino Display, la résidence d’Andrea Mancini (printemps 2021) et le travail de Charles Rouleau, curateur de l’exposition „Woven in vegetal fabric“ (au début de cette année). Le projet „Sound without music“ (jusqu’au 27 novembre) met à l’honneur l’interaction déjà ancienne entre composition musicale et arts plastiques, par une exposition dans la Black Box et une série de performances.
Le susnommé Andrea Mancini (Cleveland derrière les platines) sera bien représenté dans l’espace d’exposition et dans le dense programme (concerts, performances, DJ sets et projections de films) concocté pour l’occasion. Les autres artistes présents sont Thomas Ankersmit, Hans Beckers, His Fable, Lorenz Lindner (Molto), Passepartout Duo, Puck Schot (Acidic Male), Anna Raimondo, Sensu, United Instruments of Lucilin.
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