France / L’insistance de Mélenchon empoisonne la gauche: Au terme d’une semaine à la fois folle et immobile, rien n’a vraiment avancé
Cette première semaine après le second tour des législatives restera dans les annales de la Ve République comme celle d’un retour – encore très provisoire, sans doute, mais déjà fort déroutant – aux mœurs politiques de la IVe, et même de la IIIe. Lesquelles n’avaient certes pas que des défauts, mais étaient marquées par la constitution parfois très laborieuse des gouvernements issus des élections.
La situation est pourtant fort banale en Europe, mais les institutions et la pratique du régime créé en 1958 avec le retour au pouvoir du général de Gaulle en avaient complètement déshabitué les Français. C’est en effet la première fois qu’aucune majorité, fût-elle bancale et limitée, ne parvient à s’imposer, tant au Palais-Bourbon que dans les esprits.
A gauche, on va répétant qu’on a gagné. Et incontestablement, l’alliance des quatre partis concernés – LFI, PCF, PS, Verts – totalise le plus grand nombre de sièges; mais elle reste loin de la majorité absolue. Et un premier ministre issu de ses rangs, hypothèse que récusent d’ailleurs 71% des Français selon un dernier sondage, se heurterait probablement dès les premières heures de son existence au vote d’une motion de censure, du moins s’il prétendait appliquer, selon la formule de Jean-Luc Mélenchon, „tout son programme, rien que son programme“. Car les socialistes sont, eux, plutôt courtisés, voire les communistes et les écologistes.
Mais la situation des deux autres blocs de l’Assemblée ne vaut guère mieux. Le Rassemblement national n’a aucune chance d’être appelé par Emmanuel Macron pour former le gouvernement. Même s’il est arrivé largement en tête en nombre de suffrages et peut espérer, lorsque les groupes parlementaires seront formés, (les formations du NFP formant alors chacune le sien) constituer le plus fourni de la nouvelle Assemblée. Le serait-il qu’il serait balayé plus sûrement encore par les autres partis représentés dans l’hémicycle.
Le „ bloc central“, pour quoi faire et avec qui ?
Reste ce qu’il est désormais convenu d’appeler le „ bloc central“, autour de ce qu’il reste des élus macronistes, qui ont perdu une centaine des leurs dans le scrutin, mais dont plusieurs personnalités importantes rêvent d’élargir significativement l’assise. Pas toutes dans la même direction, il est vrai. Un peu comme si les deux familles politiques dans lesquelles Emmanuel Macron était allé chercher les composantes de sa majorité parlementaire après son élection de 2017, autrement dit la droite et la gauche, reprenaient leurs droits, ou du moins retrouvaient leurs réflexes. Le tout compliqué par les ambitions présidentielles des uns et des autres pour 2027.
Il y a en effet, en particulier parmi les ministres sortants (qui continuent d’expédier les affaires courantes sous la houlette de Gabriel Attal, peut-être jusqu’à mardi) au moins deux tendances: ceux qui cherchent à rallier la droite à leur aventure, comme Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, venus de LR, et ceux qui lorgnent plutôt du côté d’une alliance à gauche, du moins avec cette gauche sociale-démocrate et modérée dont ils sont issus. A commencer par Elisabeth Borne, et Gabriel Attal lui-même, qui, entre temps et à toutes fins utiles, devrait être élu président du futur groupe centriste. Tous étant d’accord sur un point au moins: si large soit l’union qu’ils appellent de leurs vœux pour trouver une majorité de gouvernement, celle-ci ne saurait comporter ni lepénistes, ni mélenchonistes.
Et c’est bien là que le bât blesse à gauche, où l’on discute âprement depuis bientôt une semaine de la question de savoir si le candidat commun du NFP pour le poste de premier ministre peut, ou non, appartenir à La France insoumise. Laquelle a publié hier une liste de quatre premiers ministres possibles, tous venus de ses rangs et en tête desquels figure évidemment Jean-Luc Mélenchon, pourtant présenté par plusieurs ténors de la gauche modérée comme „un repoussoir“ ou „un boulet“. Cependant que ses dissidents, souvent réélus contre un candidat mélenchoniste „officiel“, ont annoncé la fondation d’un nouveau parti, baptisé l’APRES, acronyme malicieux d’une „ Association pour la République écologique et sociale“.
La lettre de Macron sans effet positif
Plusieurs fois déjà, différents porte-parole du NFP ont promis que ce n’était plus qu’une „affaire d’heures“, et que l’on aura la réponse „dans la journée“. Mais en attendant, „on perd du temps, et c’est très dommageable politiquement“, déplorent nombre d’élus de la coalition, à l’instar de la très virulente Sandrine Rousseau. Mais LFI, qui s’estime ostracisée par les autres membres du Nouveau Front populaire, s’est opposée de son côté à la candidature du premier secrétaire du PS, Olivier Faure. De fait, les tractations entre négociateurs se seront poursuivies jour après jour, nuit après nuit, dans des lieux tenus secrets pour fuir les journalistes, et même les militants trop curieux ou les parlementaires trop pressants …
On imagine l’effet produit sur l’opinion par ces tergiversations, moquées au centre et à droite, pourtant bien légitimes après tout en régime parlementaire, mais inusitées en France depuis des décennies, en tout cas après le vote, et non avant. Surtout de la part du bloc qui clame sans cesse, et à bon droit, qu’il a remporté la majorité relative des sièges et doit donc être appelé en premier par le chef de l’Etat. Lequel ne peut cependant plus guère ignorer, malgré sa grande capacité à se donner en tout temps une posture avantageuse, à quel point son empire part en morceaux depuis une semaine.
La „lettre aux Français“ qu’il a fait publier dans la presse régionale n’y a rien changé, tout au contraire: elle a exacerbé les réactions hostiles de la droite et surtout de la gauche, sur le thème: „Il ne reconnaît même pas qu’il a perdu les élections anticipées qu’il a provoquées.“ Et un fidèle parmi les fidèles, Gilles Le Gendre, ancien président du groupe parlementaire soutenant l’action présidentielle, a déclaré: „Le macronisme, en tant que force de transformation du pays dans le cadre d’un programme cohérent, c’est terminé; la seule coalition qui existe aujourd’hui est la coalition contre le président.“
Sous l’œil goguenard du RN …
Reste, au-delà de la question de personnes soulevées par la désignation d’un nouveau premier ministre, la suite concrète des opérations. Pour l’instant, aucune personnalité d’opposition n’a été appelée par le locataire de l’Elysée (seules celles de la Macronie défilant à l’Elysée), ne fût-ce que pour effectuer un tour de piste, voire simplement pour discuter de Matignon. Mais les échéances se bousculent.
Le 18 juillet, la présidence de la nouvelle Assemblée nationale devra être pourvue, et ceux qui sont encore ministres tout en ayant été élus députés veulent pouvoir y participer, à commencer par Gabriel Attal. La Constitution stipule qu’on ne peut être en même temps parlementaire et ministre, au nom de la séparation des pouvoirs. Puis vont arriver, le 26 juillet, les Jeux olympiques, qui supposent, non pas en droit mais en pratique, qu’un gouvernement soit encore – ou déjà – aux commandes. D’autres rendez-vous économiques, financiers et sociaux se préparent, sans parler du fait que la CGT annonce vouloir exercer une pression politique forte sur l’Elysée en la circonstance, même si les autres syndicats ne la suivent pas.
Bref, plus que jamais la „clarification“ par laquelle Macron avait justifié sa dissolution surprise de l’Assemblée nationale tourne au contraire à la confusion, à l’incertitude la plus totale, et peut-être demain au désordre, non pas seulement politique, mais aussi social. Une situation dont la durée et les conséquences sont pour l’instant imprévisibles. Le tout sous l’œil faussement navré, en fait goguenard et intéressé, d’un Rassemblement national qui compte bien en faire son miel pour l’élection présidentielle de 2027.
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