Critique littéraire / „M for Amnesia“ d’Anne-Marie Reuter: du poids politique de nos souvenirs
A l’instar d’autres titres, comme „The Idiot of Saint Benedict and other stories“ de Jean-Paul Gomez, déjà publiés par la maison d’édition Black Fountain Press qu’elle a fondée en 2017, „M for Amnesia“, le premier roman d’Anne-Marie Reuter, se situe dans un monde dystopique qu’on sent bien proche du nôtre.
Melissa est dans la commune, une enclave en dehors de la civilisation qui a survécu au changement climatique, lorsqu’elle apprend de la mort de son père. C’est Styx qui lui transmet la nouvelle, son ami artiste dont l’antenne implantée dans la crane est toujours connectée. Les premières notes du roman sont celles de queer cyber-hippies où se croisent la technologie et l’organique, d’un imaginaire dirait-on puisé dans une conception plutôt littérale de la pensée de Donna Haraway. Le voyage de retour pour les funérailles de son père, la confrontation avec les souvenirs et traumas de sa vie d’avant et les doutes sur les circonstances de la mort de Marcus Prenderghast, scientifique et entrepreneur extrêmement influent, vont faire douter peu à peu la protagoniste sur ses choix de vie, et hésiter à se réinvestir dans la société qu’elle avait fuie.
A cette trame du présent se rajoute une narration du passé récent où se dédoublent les narratrices, entre Melissa et Millie, patiente de l’institut de recherche, dont la première doit s’occuper en tant qu’apprentie infirmière. C’est dans cette amitié naissante que vont naître les premiers doutes de Melissa aux méthodes de son père qui deviennent vite une opposition systémique. Millie, qui souffre d’une amnésie dont même la science la plus avancée n’arrive pas à bout, se force à travailler sur les flashs de mémoire qui lui parviennent en essayant de remettre de l’ordre. Se rajoute ici une troisième trame temporelle, un flux de texte à l’intérieur du texte où se mélangent avec brouhaha les différents moments de la vie de Millie, un flux proche de l’impressionnant The Sound and the Fury de William Faulkner, ce sont les fantômes du passé qui ressurgissent, les doutes et regrets qui cognent avec douleur sans tout à fait réussir à percer la surface. Des doutes adviennent des certitudes, qui déterminent le périple de ces deux personnages; et si au lieu d’augmenter les corps humains, le Dr. Prenderghast se serait mis à trafiquer les cerveaux et leur mémoire?
Triangle infernal?
„M for Amnesia“ nous plonge dans une société où le triangle entre politique, science et entreprises privées conduit à une course vers l’augmentation des corps humains par des outils technologiques pour garantir une efficacité toujours plus opprimante. Les choses telles qu’elles vont nous disent la barbarie à venir, en dirait Isabelle Stengers, parce que ces augmentations ne profitent qu’aux classes aisées, là où le gros de la population, rendu inutile par une automatisation du travail, est tombé à travers les mailles des administrations et relégué au statut de créatures, qui errent sur une terre aride et malade à la recherche des dernières plantes comestibles. Nulle surprise, alors, que des communautés autarciques se sont créées en dehors de ce système d’aliénation ultra-capitaliste et qui réinventent les rapports à la terre et à la vie.
Mais on a parfois l’impression que ce monde décrit n’est qu’une peinture sur un mur et que les personnages jouent devant sans en sentir les causes ni les effets. Si Melissa a quitté la civilisation, un train permet tout de même de la ramener rapidement vers la capitale, si les prix exorbitants des chemins de fer les réservent à des „selected few“, elle se permet des allers-retours en une journée, ainsi que des nuits dans des hôtels hype, comme (avant de quitter la civilisation) des vacances à la mer avec d’abondants petits-déjeuners. On se demande alors si quitter la civilisation n’est qu’un caprice des super-riches au lieu d’une véritable contre-proposition politique – alors que justement elle semble refuser tout argent de son père, et que d’anciennes „créatures“ y habitent – ou s’il y a un angle mort dans l’écriture et que le monde imaginé n’a pas de conséquences matérielles sur les personnages.
Avis d’un pinailleur
N’en empêche que malgré ces quelques incohérences – qui me semblent surtout liées au jeu d’„Ierbessenzieler“ qu’est la pratique de la critique littéraire – Anne-Marie Reuter nous livre un roman à l’intrigue poignante, dont l’écriture efficace et une construction par chevauchement nous laisse nous-même tirer les fils, roman qui ouvre sur les grands enjeux de notre société que sont un capitalisme toujours plus barbare et le post humanisme ambiant des géants de l’IT, mais un roman aussi qui ne fait pas l’impasse sur l’intrinsèquement humain qu’est le vécu sensible, de la tendresse et de la communication face au vide, face à l’oubli, de tout ce qu’on ne peut pas savoir sur une personne, comme un très beau chapitre où les deux femmes fouillent l’armoire de Millie et que Melissa se demande quelles histoires ces vêtements pourraient raconter et dont Millie ne se souvient plus. Un roman qui dans le bruit du monde insère des tragédies personnelles, l’humain qui résiste à son dépassement, parce qu’à la fin, pour reprendre Donna Haraway, nous ne sommes pas post humains, nous sommes composte.
Ces contradictions sont discutées vers la fin du roman, mais elles ne sont pas tout à fait dépassées. Cette même sensation persiste dans l’opposition entre père et fille, on retrouve Melissa angoissée comme si sa vie était en danger, face à son père impassible, et quand même elle retourne régulièrement vers lui, se jette même avec une certaine naïveté dans ses pattes pour ensuite patauger à sa merci. Si après le dénouement de l’intrigue tous les ressentiments qu’elle a pour son père se voient amplement justifiés, le hiatus dans ce qui se passe avant ne s’en voit pas résolu et on se demande s’il aurait fallu oser un peu plus de cruauté, un peu plus d’écorchures vives pour boucler autant l’intrigue que le monde.
Informations sur le livre
Anne-Marie Reuter: „M for Amnesia“, Black Fountain Press: 2024, 280 pages, ISBN 978-99987-713-4-5
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