Film / Massacres au féminin: „The Woman King“ de Gina Prince-Bythewood
Réalisé par une équipe quasiment exclusivement composée de femmes noires, „The Woman King“ n’en reste pas moins un film d’action fortement classique, qui reproduit des modèles masculins plutôt que de les remettre en question.
En 1823, le royaume du Dahomey (le Bénin d’aujourd’hui) est pris dans une guerre épuisante contre le royaume des Oyos, qui sont de mèche avec des marchands d’esclaves européens. Pour protéger le Dahomey, une armée de guerrières fortes, les Agojie, au mode de vie rude – leur formation est violente et brutale, elles n’ont pas le droit de se prendre un mari –, est menée par la taciturne Nanisca (Viola Davies) alors que leur roi Guézo (John Boyega) oscille entre progressisme et archaïsme – s’il veut cesser de traiter avec les marchands d’esclaves européens et accepte d’élire une femme-roi à ses côtés, il n’en continue pas moins d’entretenir un harem et de ne pas supporter qu’on remette en question ses choix et décisions.
Se focalisant autour de la jeune orpheline Nawa (Thuso Mbedu), que le père adoptif vient de donner en cadeau au roi après que la jeune fille a refusé d’épouser un vieux et riche lubrique, „The Woman King“ raconte l’éducation de Nawa comme future Agojie sous le regard sévère et exigent de Nanisca, dont on apprend que la dureté de caractère est due à un vécu traumatique. Nawa n’en faisant qu’à sa tête, Nanisca devra la réprimander plus d’une fois, lui faisant bien comprendre que son arrogance et son individualisme ne font pas bon ménage avec l’éthique des Agojie.
Dans un climat où Le film français vient de publier une édition évoquant le renouveau du cinéma français après la pandémie et sur la couverture de laquelle ne figuraient que des acteurs mâles (et blancs), il est plus que rafraîchissant de voir que dans „The Woman King“, non seulement le casting, mais aussi (quasiment) tous les autres postes sont assurés par des femmes noires, comme pour contrecarrer cette vision archaïque du cinéma véhiculée par le magazine français, qui a par ailleurs dû s’excuser après que leur couverture ait créé le scandale.
Au-delà de cette innovation bienvenue du côté des conditions de production du film, qui est assez révolutionnaire au sens où cela n’était jamais fait avant – ce qui est aussi un peu triste, qu’on ait dû attendre 2022 pour qu’il soit possible de réaliser un film dans de telles conditions –, le film qui en résulte reste de facture très classique, à la fois du côté de l’esthétique, de l’histoire racontée et dans la façon de filmer les affrontements.
Si tout cela est fait avec un certain brio et que le film réussit parfaitement à divertir lors de ses 135 minutes, on ne se départ pas de l’idée qu’on a déjà vu et vécu cette histoire plein de fois. Et s’il est intéressant de constater que cette tribu guerrière féminine a vraiment existé, les choses, d’un point de vue historique, sont pourtant bien plus complexes, le Dahomey s’étant en réalité enrichi par le commerce des esclaves – ce qui a fait dire à certains qu’il était un peu absurde de peindre ce royaume comme anti-esclavagiste.
En fin de compte, le film, aussi féministe qu’il se veut, ne s’en appuie pas moins sur des modèles très masculins – l’on pense à „Gladiator“, „Conan“ ou encore à „300“ de Zach Snyder – et s’il est rafraîchissant de voir une réalisatrice noire entourée de son équipe de femmes fortes se réapproprier les codes de genres que d’aucuns croyaient intrinsèquement masculins, force est de constater que „The Woman King“ imite plus qu’il ne déconstruit ou remet en question ces modèles, aboutissant de ce fait à un film un peu quelconque, qui reproduit des revirements qu’on a vus des centaines de fois au cinéma – sans trop vous en dire, il y a un moment très „Star Wars“ –, qui se permet une petite romance évidemment hétérosexuelle entre Nawi et un Afro-Brésilien et qui sacrifie des thématiques graves et importantes comme l’esclavagisme et le viol sur l’autel d’une action certes bien chorégraphiée et dont la déferlante de sang a quelque chose de cathartique
Enfin, les dialogues ont parfois la profondeur d’un roman de Paulo Coelho, avec des personnages qui disent des âneries comme: „le monstre dans mes rêves, c’était moi-même“, ou encore: „je suis venu pour me trouver moi-même et je t’ai trouvée toi“, bref des phrases dont on se demande comment elles ont pu rester dans la version finale du scénario et comment les acteurs peuvent les prononcer sans s’esclaffer de rire. Si „The Woman King“ reste divertissant, on aurait aimé que quelque chose dans la radicalité des choix de casting et de production se transmette aussi au film lui-même.
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