Artistes entre Luxembourg et Berlin / Maxime Weber: „À mes yeux, l’art est une forme de transcendance, de spiritualité“
À 30 ans, Maxime Weber a déjà publié un roman, plusieurs nouvelles, collaboré avec le Tageblatt, le Journal, le woxx et forum, le taz en Allemagne et le supplément „SZ – Junge Leute“ du Süddeutsche Zeitung.
Après une licence de philosophie à München, Maxime Weber a choisi d’entamer un master à la Freie Universität de Berlin, ville où il habite depuis 2017. „La première fois que je suis venu à Berlin, c’était en 2012, avec mon groupe de musique punk. J’avais remarqué qu’il y avait une scène alternative un peu DIY („do it yourself“, un concept qui encourage à faire les choses soi-même), et que la scène culturelle était très vivante.“ L’atmosphère de la ville et la diversité de la population créative qui y réside sont des sources d’inspiration pour Maxime Weber. „Un des personnages de mon nouveau roman habite à Berlin. Son père possède un magasin d’antiquités dans le Bergmannkiez. Le thème du livre porte sur la notion d’étranger, et ce quartier l’est à mes yeux, car il m’apparaît comme différent du reste de Berlin.“
Après son premier roman, „Das Gangrän“, paru en 2021, Maxime Weber a récemment achevé une nouvelle intitulée „Network of Souls“, écrite lors de sa participation à la résidence d’auteur à Walferdange, lors des „Walfer Bicherdeeg“. „La première inspiration pour Network of Souls a été Nietzsche. Je l’ai un peu étudié durant ma licence en philosophie. Ce qui m’a le plus marqué étaient ses observations sur le christianisme – ou plutôt le protestantisme dans son cas, car son père était pasteur. Nietzsche expliquait que cette religion se focalise sur la promesse d’une vie après la mort, mais que cette promesse ôte de la valeur à notre vie actuelle sur la Terre. Je me suis imaginé ce qui se passerait si on découvrait que le paradis existait. Une autre inspiration était l’idée de combiner les religions et internet, les ordinateurs. Il y a des parallèles entre les ordinateurs et les anges, car tous transportent des messages. D’ailleurs l’archange Gabriel est le patron des travailleurs des télécommunications, raison pour laquelle j’ai donné ce nom à l’ordinateur central du paradis, dans ma nouvelle. J’ai aussi beaucoup lu sur un système d’exploitation pour ordinateurs qui s’appelait Temple OS et qui était destiné à communiquer avec Dieu. Cette intersection entre religion et informatique m’a fasciné. ‚Network of Souls’ était aussi une façon de me confronter à mon propre idéalisme. Lucy, la protagoniste, est influencée par des mouvements politiques émancipatoires, comme je le suis moi-même. Mais les idéaux de Lucy sont en conflit avec ce qu’elle fait. Elle veut couper la Terre du Paradis, car elle pense que le Paradis dévalorise la vie sur la Terre, mais pour le faire, elle doit sacrifier sa vie, celle-là même qu’elle cherche à revaloriser.“
Si on découvrait que le Paradis existait, la première chose que les capitalistes feraient, serait de se demander comment en tirer profit, comment exploiter cette nouvelle force active que l’on pourrait faire travailler pour l’éternité!auteur
Athée, Maxime Weber croit cependant en le besoin spirituel qu’a tout être humain de transcender sa simple existence. „À mes yeux, l’art est une forme de transcendance, ou de spiritualité. Parfois quand j’écoute de la musique, quand j’écris, quand je suis au cinéma, j’accède à un état mental différent. Baudelaire a écrit un poème là-dessus, ‚Enivrez-vous’, qui m’a beaucoup inspiré quand j’étais adolescent, parce qu’il dit qu’on peut aussi s’enivrer par l’art. C’est en cela que l’art peut être assimilé à une expérience spirituelle.“
Le Messie est une femme trans bipoc
Dans sa nouvelle „Network Of Souls“, Maxime Weber joue avec l’idée de trinité et donne à Jésus les traits de Devi Akshan, une femme trans de couleur. „C’était une décision consciente de ma part. Je voulais utiliser son identité trans pour illustrer un problème: le fait qu’on nous parle d’éternité en religion, mais qu’on ne nous dit pas avec quel corps on est censé arriver dans la vie après la mort. S’agit-il de notre corps âgé, ou de notre corps jeune? Et que se passera-t-il pour les personnes trans? La religion chrétienne ne s’occupe pas d’elles, car elles n’existent pas à ses yeux. La religion a une vision binaire du genre et de la sexualité, mais pour moi, s’il y a une vie après la mort, on devrait y arriver avec son corps idéal. Je voulais illustrer cette idée-là et mettre en scène la réaction de personnages fondamentalistes, en faisant de leur Messie une femme trans bipoc.“ „Network of Souls“ aborde également la thématique de la crise climatique, en définissant le Paradis comme une „planète B“.
Une thématique chère à Maxime Weber, qui travaille depuis 2021 pour l’ONG environnementale Deutsche Umwelthilfe à Berlin. „S’il existait une planète B, les gens l’utiliseraient comme excuse ou prétexte pour propager leur propre idéologie. Si on découvrait que le Paradis existait et qu’il était possible de communiquer avec celles et ceux qui le peuplent, la première chose que les capitalistes feraient, serait de se demander comment en tirer profit, comment exploiter cette nouvelle force active que l’on pourrait faire travailler pour l’éternité!“
„Toy Story“ et Heidegger
En ce moment, Weber travaille à l’adaptation en roman de sa nouvelle „Panima“, un texte qui lui a valu de remporter le deuxième prix d’un concours littéraire anglophone organisé par l’Université du Luxembourg et Black Fountain Press, avant d’être publié dans l’anthologie „Young Voices – Short Fiction by Young Writers From Luxembourg“. Dans cette nouvelle, Maxime Weber explore l’idée que tout objet peut s’animer et acquérir une conscience propre. „Dans le shintoïsme, toutes les choses, dont les objets, ont une âme. Par contre dans la christianité, ce sont surtout les humains qui ont une âme; la nature n’est là que pour être contrôlée par les hommes. Mes inspirations premières pour cette nouvelle étaient ‚Toy Story’ et Heidegger! Ce qui est une combinaison étrange. J’ai travaillé sur Heidegger pendant mon master et cette nouvelle était une façon de récupérer une partie de sa pensée, d’une certaine manière. Heidegger était un nazi, un personnage inexcusable, mais sa philosophie a un cœur qui peut être interprété de manière à encourager la compassion. Je voulais récupérer cette idée pour construire une histoire qui appelle à plus d’empathie – le contraire de l’idéologie d’Heidegger, finalement. Je voulais inciter le lecteur à éprouver plus d’empathie pour toute chose, et notamment celles qui sont différentes de nous.“
En choisissant d’adapter sa nouvelle en roman, Maxime Weber se donne la possibilité de creuser certaines idées qui lui tiennent à cœur, et de retravailler la matière propre du texte. „J’ai fait quelques adaptations, notamment la fin que je trouvais un peu trop pessimiste. Les Hommes sont davantage capables de s’adapter, plus que ce que je laissais entendre à la fin de la nouvelle. Je voulais explorer cette idée, et également donner à entendre la perspective des objets.“ Avec la science-fiction, son genre de prédilection, Maxime Weber a trouvé le moyen d’allier sa belle plume à sa pensée philosophique pointue, et permet ainsi à ses lecteurs de s’interroger avec lui sur des concepts fascinants et toujours d’une grande actualité. „Dans ce nouveau roman, je veux réfléchir à la philosophie du transhumanisme et en faire une analyse, car je pense que ça va devenir un problème dans quelques années. À mes yeux, le transhumanisme ne pourra être libérateur et émancipatoire que si tout le monde a un accès égalitaire aux modifications. Sinon cela va créer un gouffre plus profond encore entre les différentes couches de la population mondiale.“ Un esprit brillant et un auteur à suivre.
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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