Anniversaire / Nico Helminger et la Kufa: „Ce serait trop long de tout énumérer“
Le 12 octobre dernier, dans le cadre de l’anniversaire de la Kulturfabrik, l’écrivain eschois Nico Helminger a relu un texte de ses années néo-dada, créé en 1983 et monté sur scène à la Kufa en 1985 par Paul Kieffer. L’occasion d’évoquer avec lui la scène culturelle des années 70 et ce que le nouveau centre culturel a apporté à la ville comme à son propre parcours.
Au début des années 1980, après des études à Vienne et à Berlin, Nico Helminger (né à Esch en 1953) enseigne l’allemand à Paris. C’est donc à distance, et à l’occasion de retours sporadiques, qu’il suit l’occupation des anciens abattoirs, leur sauvetage puis leur transformation en centre culturel. Entretien.
Tageblatt: L’effet loupe de l’anniversaire de la Kufa peut donner l’impression qu’il n’y avait rien d’intéressant ou d’avant-gardiste culturellement avant elle à Esch. Qu’en est-il?
Nico Helminger: La création de la Kufa est certainement un moment clé dans l’histoire culturelle de la ville d’Esch, mais une telle initiative ne se fait pas à partir de rien. Tout au long des années 70, des artistes, des intellectuels, des esprits critiques se rencontrent, créent des cercles, des mouvements en vue d’un changement de la vie culturelle et de la société en grande partie conservatrice. Il y a la volonté de se regrouper pour mieux se faire entendre; un exemple en est la fondation de la „Konschtgewerkschaft“. On sent que le milieu artistique est en ébullition, que des changements s’annoncent.
Tout au long des années 70, des artistes, des intellectuels, des esprits critiques se rencontrent, créent des cercles, des mouvements en vue d’un changement de la vie culturelle et de la société en grande partie conservatrice
Où aviez-vous les possibilités de vous cultiver, de vous exprimer et de partager vos textes à Esch entre votre passage au lycée à la fin des années 60 et le début des années 80?
Ma première pièce de théâtre fut créée en 1970 par des élèves des trois lycées d’Esch; c’est à partir de là que j’ai pu entrer en contact avec d’autres artistes et écrivains, comme par exemple Jeannot Bewing ou encore Guy Rewenig, qui, quelques années plus tard, a fondé la petite maison d’édition „edition kontext“, où parut en 1981 ma pièce „rosch oder déi lescht rees“ créée par la Theater GmbH en 1982 à l’ancien abattoir, futur Kufa. Rewenig est aussi le fondateur de la Spillfabrik, troupe de théâtre pour enfants, qui, en 1978, crée au théâtre d’Esch ma pièce „Ollimimischmulli“. Guy Wagner, enseignant et futur directeur du théâtre municipal, m’avait demandé d’écrire des critiques de théâtre pour le Tageblatt. En même temps, je publiais des textes dans Le Phare, supplément culturel du même journal. En 1973, j’ai quitté Esch pour poursuivre mes études et je n’y suis retourné que sporadiquement.
Quelle était l’ambiance à Esch culturellement dans les années 70? Que pouvait-on y lire, y voir?
Pour moi, le lieu culturel le plus important était le théâtre municipal. J’ai fait mes premières lectures publiques au sous-sol, dans la Theaterstiffchen. Et le programme du théâtre était extraordinaire pour une petite ville comme Esch. J’ai pu assister aussi bien à des concerts d’artistes comme Serge Reggiani, Georges Brassens ou Léo Ferré qu’à des représentations d’un théâtre nouveau et engagé comme par exemple „Marchands de ville“ par le Théâtre de l’Aquarium installé à la Cartoucherie de Vincennes.
Quelles différences y avait-il entre Esch et la ville de Luxembourg telle que l’a décrite Roger Manderscheid en 1973 dans „Stille Tage in Luxemburg“?
Je pense que, malgré un certain embourgeoisement, Esch était moins „still“, moins calme et tranquille que la capitale. C’était quand même une ville ouvrière avec une population comprenant beaucoup d’immigrants. Je pense que cette mixité a indirectement, voire directement, influencé écrivains et artistes. Je me souviens d’un spectacle à la Maison du peuple par une troupe italienne parlant des problèmes d’ouvriers immigrés; le titre en était – si je m’en souviens bien – „Qui tutto bene … così spero di te“ …
Quel rapport aviez-vous avec les lieux lorsqu’ils étaient encore un abattoir?
En tant qu’enfant, je n’aimais pas passer dans le coin, ça m’angoissait. Il y avait plein d’histoires autour de ce lieu et il y avait l’odeur, l’odeur du sang. Encore en 1982, lors des répétitions de „rosch oder déi lescht rees“, je ressentais ce malaise. Le lieu n’avait pas beaucoup changé, mais cela correspondait bien à cette pièce consacrée à un marginal poussé au suicide. D’ailleurs, concernant la production de cette pièce, je voudrais faire remarquer qu’on y trouve déjà plein de noms de gens qui, aujourd’hui, occupent une place importante dans l’un ou l’autre domaine culturel, comme Steve Karier, Paul Thiltges, Paul Kieffer, Christian Kmiotek, Pol Hoffmann, Jhemp Hoscheit et j’en passe. L’affiche fut créée par Paul di Felice, la couverture du livre par Bert Theis.
Qu’est-ce que le squat de l’ancien abattoir a changé en 1983 dans l’offre culturelle?
Le changement n’était pas immédiat, parce qu’il fallait beaucoup d’engagement et beaucoup de travail. Mais il y a eu un changement des mentalités, des hommes politiques qui comprenaient, mais d’autres aussi qui parlaient de l’endroit comme d’un Ratelach. On pourrait spéculer et dire que si, au lieu de la Kufa, il y avait eu une station-service, on aurait au lieu de la Rockhal un garage ou un parking géant.
On pourrait spéculer et dire que si, au lieu de la Kufa, il y avait eu une station-service, on aurait au lieu de la Rockhal un garage ou un parking géant
De quelle manière avez-vous contribué au squat de l’abattoir et aux manifestations pour sa conservation?
En fait, j’ai peu de mérite concernant la création de la Kufa. Vivant à Paris, je n’étais à Esch que quelques semaines par an. J’ai été de ceux qui occupaient le théâtre municipal lors d’une représentation d’une opérette achetée à un prix exorbitant. Et je me souviens d’avoir donné l’un ou l’autre coup de main lors de la restauration des salles.
En 1983, tout en étant en France, vous écrivez ce texte que Roger Manderscheid a dit être du nouveau jenisch et que vous avez lu samedi dernier. Etait-il écrit pour l’abattoir? Aurait-il pu être porté sur scène ailleurs qu’à Esch?
La pièce „louschkäiltëmplëscht“ dont j’ai lu des extraits le samedi 12 octobre est le résultat de recherches poétiques concernant les possibilités et les limites du langage. Le texte n’était pas spécialement écrit pour l’abattoir. Paul Kieffer a relevé le défi de le mettre en scène à la Kufa en 1985, mais je ne me souviens plus exactement comment le projet s’est fait. Probablement, je lui avais parlé du texte et il en était curieux …
Quelles relations avez-vous entretenues par la suite avec la Kulturfabrik? A quelles occasions y avez-vous lu et pour quels types de performance?
Ce serait trop long de tout énumérer … J’ignore combien de fois j’ai pu y lire, ou alors présenter d’autres écrivains que j’ai pu inviter, par exemple en tant que directeur artistique du Printemps des poètes. En plus, la Kufa a permis d’autres créations de mes œuvres comme par exemple „Ein Mond aus kochender Milch“, mis en musique par Camille Kerger ou encore „Pegel der Gerechtigkeit“ … tant de moments de créativité et de bonheur, pour lesquels je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué à faire des abattoirs ce lieu extraordinaire de rencontre, d’inventivité et de créativité …
Infos
La célébration des 40 (+1) ans de la Kulturfabrik se poursuit jusqu’à la fin du mois. Aujourd’hui au programme: „We need to find each other“ (danse, performance) de Brian Ca (22 octobre à 20.00 h et mercredi 23 à 10.00 h pour les scolaires). Vendredi 25: concert de post metalcore de Ghostkid avec Maz Univerze en première partie (20.00 h), suivi d’un karaoké par Ben Claus à 22.30 h au Ratelach. Dimanche 27: kermesse sonique et Ouistiti discoclub.
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