Artistes entre Luxembourg et Berlin / Nik Bohnenberger: „J’ai trouvé mon courage à Berlin“
Prodige musical, Nik Bohnenberger a appris à jouer le cor en fa à cinq ans, commencé à composer à douze ans, écrit sa première création à seize, avant d’étudier à l’UDK à Berlin, où il termine son master. Il collabore avec l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, l’Orchestre national brandebourgeois de Francfort-Oder ou United Instruments of Lucilin. Son opéra, Nacht, a fait sa première en juillet dernier au Staatstheater de Kassel. Rencontre avec un passionné transdisciplinaire, toujours à l’affût de nouvelles expérimentations.
Longtemps, Nik Bohnenberger a habité le quartier de Sprengelkiez, à Wedding. A présent qu’il s’apprête à déménager à Neukölln, il regarde avec nostalgie les petites rues tranquilles, les terrasses des cafés. „C’est très chouette ici. Avec la rivière qui passe et le lac Plötzensee, pas loin …“ Nik Bohnenberger est arrivé à Berlin pour faire ses études à la réputée UDK, Universität der Kunst. „Mon père m’avait dit qu’il était important, en tant que musicien, de partir ailleurs, de s’éloigner. Après le bac, nombre de mes amis ont déménagé à Strasbourg, Bruxelles ou Cologne, mais moi, je voulais vraiment essayer d’aller plus loin. Pour ne pas avoir la possibilité de rentrer à Luxembourg toutes les semaines. Car je suis très proche de ma famille, on joue de la musique tous ensemble dans mon village, donc j’aurais pu avoir l’envie d’y retourner souvent. Mais je me suis dit que non, que j’allais essayer d’établir quelque chose à Berlin. Et aujourd’hui, j’y suis depuis onze ans.“
S’éloigner pour se réinventer
Le fait de s’éloigner ainsi de sa zone de confort a constitué pour Nik Bohnenberger une façon de s’émanciper, de trouver sa voix propre en tant que compositeur. „C’était très important pour moi. Je n’avais pas besoin de prendre de distance avec ma famille, j’adore être avec eux, et j’aime être au Luxembourg. Mais quand j’avais 18-20 ans, j’avais déjà une petite carrière au Luxembourg et j’avais l’impression qu’il y avait des attentes précises par rapport à ce que je faisais — une sorte de pièce pour orchestre d’harmonie, assez programmatique, avec des mélodies, tout ça … J’avais écrit beaucoup de pièces du genre quand j’étais adolescent, et jusqu’à mes 23 ans, en gros. Et ça aurait pu fonctionner comme carrière. Mais ce n’était pas ce que je voulais.
Alors, ici, à Berlin, qui est une bulle en soi, j’ai commencé à faire des expériences. Et de l’autre côté j’avais des commandes qui me venaient par le Luxembourg. Les deux mondes n’étaient pas en contact, ce qui me donnait une plus grande liberté a priori, mais en réalité je me suis retrouvé à écrire différemment selon l’endroit pour lequel la musique était destinée. Et il est arrivé un moment où la musique que je composais pour le Luxembourg m’a tellement frustré que j’ai décidé de changer et d’utiliser tout ce que j’avais appris à Berlin. A présent, j’ai une seule voix. Il n’y a pas de différence entre une création à Berlin ou au Luxembourg ou en France ou ailleurs. En fin de compte, j’ai trouvé mon courage à Berlin.“
Le parcours de Nik Bohnenberger est celui d’un artiste qui a eu la bravoure de sortir d’un cadre confortable et privilégié qui aurait pu l’empêcher de se réaliser. En s’installant à Berlin et en y restant ensuite après ses études, Bohnenberger a choisi la voie précaire mais passionnante du laboratoire expérimental, de la quête, sans garantie de succès ni de facilité. „C’était très important pour moi. Parce qu’au Luxembourg, on a toutes les connexions sociales et familiales, mais j’ai vraiment ressenti cette pression de continuer à créer les mêmes pièces que ce que j’avais toujours fait. Et lorsque j’ai dit: ‘Ah non, mais maintenant, je fais seulement mon truc berlinois, seulement de l’expérimental, de la musique complètement folle, contemporaine, éléctro-acoustique’, il y a eu cinq années environ où je n’ai reçu aucune commande du Luxembourg. Mais à présent, je compose à nouveau pour des ensembles au Luxembourg, parce que maintenant, on me voit comme … ‘Ah, mais c’est le mec fou de Berlin, celui qui a fait ses études en composition.’ Donc ça me donne une petite légitimité. Et ça a été super pour moi d’avoir cette opportunité de me réinventer.“ Pari risqué, pari gagné.
Je veux chercher la beauté dans des sons qui, typiquement, ne sont pas vus comme beaux. Qui sont dérangeants. Qui sont petits. Qui sont comme de petites fleurs qu’on ne voit pas, sur le pavé.musicien
„Au début, j’avais peur de perdre ce que j’avais déjà établi au Luxembourg. Mais maintenant, ça fonctionne, et je pense que je vais y retourner plus souvent, pour parler de la musique que j’aime vraiment faire, pour la jouer à un public qui aime la musique classique et va à la Philharmonie, mais également auprès des gens qui aiment jouer une musique plus mélodique — dans les villages, avec des fanfares, tout ça. Je viens d’un petit village, et j’aimerais inviter les gens de ce village à des concerts complètement fous et expérimentaux.“
Nik Bohnenberger a trouvé son identité propre, loin des attentes, contraintes et pressions extérieures, et peut à présent faire partager sa voix unique et personnelle à un public européen. „Dans mon travail, j’ai toujours cet aspect international. Pour moi, c’est une caractéristique du fait d’être Luxembourgeois: on cherche toujours des connexions. J’aime vraiment ça, cette éducation luxembourgeoise qui fait qu’on cherche à créer des liens intimes, des relations de vraie proximité. Tout le monde veut tisser des connexions pour établir sa carrière. Mais quand on vient d’un petit village luxembourgeois, on est habitué à aller dans les festivals, aux concerts, et à vraiment parler avec les gens, à boire une bière et à aller en profondeur, aborder les vraies problématiques. Ce n’est pas juste intéressé. On s’aide, on crée des communautés. On veut vraiment être là les uns pour les autres. Alors qu’à Berlin, ça a mis du temps pour moi de créer une telle entraide. Et maintenant, la communauté, pour moi, c’est la chose la plus importante.“
Pendant le premier confinement, Nik Bohnenberger a ainsi co-fondé le Kollektiv Unruhe, une structure qui favorise l’entraide, la collaboration et l’expérimentation pour musiciens, compositeurs et des interprètes. „On a créé une façon de s’aider soi-même. Si j’ai une création mais que je n’ai pas la capacité d’écrire des demandes financières ou d’organiser une salle de concert, peut-être que toi, qui es aussi dans le collectif mais n’as pas de création pour le moment, tu vas pouvoir m’aider. On fonctionne comme ça, par roulement. J’ai appris à écrire des demandes pour le collectif, à un moment où personne n’avait le temps, et à présent, j’aime faire des plans de finance!“ Kollektiv Unruhe sera présent à Luxembourg pour Rainy Days en novembre, avant de tourner en France et de se rendre à Budapest en janvier.
„Le silence n’existe pas“
Constamment inspiré, Nik Bohnenberger regorge d’idées qu’il incorpore dans ses créations. „Je fais beaucoup de musique électroacoustique, pas synthétique. J’enregistre beaucoup de sons naturels. Ce qui me passionne, ce sont les créations qui fluctuent constamment entre son naturel et son produit. On a appris par John Cage (auquel Bohnenberger a consacré son mémoire de licence) que le silence n’existe pas. Donc tous les sons peuvent être considérés comme de la musique.
En juin dernier, j’ai fait une expérience similaire à la sienne, en allant dans une chambre anéchoïque, à Paris. C’est une chambre où il n’y a pas d’écho, dans laquelle aucun son n’est produit. Parce que dans la vie, on entend constamment des sons – les voix, le vent dans les arbres, … Mais dans une chambre anéchoïque, il y a du silence à 89%. Ça a permis à John Cage de commencer à s’entendre soi-même. Pas seulement son cœur, mais véritablement son propre système nerveux. Et c’est ce qui lui a donné l’idée de composer sa pièce silencieuse, un morceau de quatre minutes trente-trois secondes durant lesquelles il n’y a pas de son. Les gens qui y assistent, en concert, se disent ‘c’est quoi ce pianiste qui ne joue pas, qui ne fait rien?’ Mais ça nous force à écouter autre chose. On entend notre voisine qui se mouche, ce genre de choses. Et ça contribue à changer notre façon de penser.
C’est une idée simple, mais elle a transformé ma façon de voir le monde, elle m’a donné envie d’aller chercher la beauté dans les sons du quotidien. Des sons qu’on ignore, qui sont un peu, agressifs … Je veux chercher la beauté dans des sons qui, typiquement, ne sont pas vus comme beaux. Qui sont dérangeants. Qui sont petits. Qui sont comme de petites fleurs qu’on ne voit pas, sur le pavé. C’est ce qui m’a sauvé, car c’est à partir de là que j’ai complètement changé ma façon de composer.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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