LuxFilmFest / No Country for Old (Wo)men
Couronné par le Lion d’or à la Mostra de Venise et le Golden Globe pour le meilleur film et la meilleure réalisation, „Nomadland“ avait tout pour ouvrir cette onzième mouture du LuxFilmFest sous les meilleurs auspices. Hélas, le long métrage se perd dans un éloge ésotérique de la liberté individuelle, négligeant une charge critique pourtant entrevue lors des premières séquences.
Après avoir vu „The Rider“, le dernier long métrage de Chloé Zhao, l’actrice Frances McDormand, connue notamment pour ses rôles phares dans des films tels „Fargo“ ou „Three Billboards Outside Ebbing, Missouri“, aurait approché la réalisatrice en lui faisant part de son idée de la voir adapter „Nomadland: Surviving America in the 21st Century“ de Jessica Bruder.
Dans ce récit non-fictionnel, l’on suit la destinée d’une population américaine plutôt âgée qui, après la Grande Récession de 2008 (car tout est toujours grand aux États-Unis, même la débandade), décide d’adopter un mode de vie nomade, en marge de la société, vivant de petits emplois à durée très déterminée, traversant le pays qui dans des camionnettes, qui dans des camping-cars, qui dans de grandes voitures transformés en mobile homes bancals.
Choisissant une forme hybride entre documentaire et fiction, Chloé Zhao focalise son film sur la personne de Fern, incarnée avec brio par une Frances McDormand toute en retenue. Après que l’entreprise US Gypsum a mis clé sous porte, les résidents de la désormais ville-fantôme d’Empire, dans le Nevada, se trouvent à la rue – d’ailleurs, comme l’entreprise était le propriétaire de cette cité ouvrière, celle-ci perd jusqu’à son code postal. Fern, qui continuait à y travailler après le décès de son mari, vend ses derniers biens et commence de vivre dans sa camionnette, dont elle aménage la superficie réduite avec fierté.
Après un travail en intérim chez Amazon, travail lors duquel elle a installé ses quartiers sur un camping dont la location est payée par le magnanime employeur, elle rejoint son amie Linda May pour une sorte de séminaire en pleine nature organisé par un dénommé Bob Wells, séminaire au cours duquel de précieux conseils sur la vie nomade sont proférés, qui incluent les discours politico-philosophiques de ce gourou des nomades sur un système néolibéral qui a pris toute dignité et liberté à ses citoyens, mais aussi des conseils plus prosaïques relatifs à la taille des sceaux dans lesquels stocker ses excréments.
It’s all downhill from here
Suivant les péripéties de cette étrange communauté constituée d’individualistes féroces en se focalisant sur le destin fictionnalisé de Fern, Chloé Zhao parvient à faire le portrait sans pathos de gens qui vivent aux franges de la société. Le choix de filmer de vraies personnes comme Linda May, Bob Wells ou Swankie s’avère particulièrement judicieux, puisque le destin de ces personnes, raconté par eux-mêmes, est touchant dans son dénuement et son honnêteté.
L’on comprend d’autant moins pourquoi le film se dote alors d’une charpente narrative fictionnelle un peu mièvre, avec la rencontre romantico-amicale entre Fern et David (incarné par l’acteur David Strathairn), censé condenser l’opposition entre une vie nomade choisie, pleinement assumée, et une vie nomade épisodique, vite relayée aux orties quand l’occasion s’en présente.
Si le portrait de ces vies réelles est touchant, le film échoue à les intégrer dans ce qui aurait pu, de ce qui aurait même dû être, comme le début du film le laissait augurer, quand la caméra capte, au cours de quelques plans désagréables, le quotidien de ces travailleurs en intérim dans un entrepôt d’Amazon, une charge critique au vitriol d’un système social défaillant, inégal, qui se soucie comme une guigne des existences qu’il broie.
Plutôt que de poursuivre dans cette veine donc, Nomadland tombe sous le charme de ces existences nomades, dont il romantise l’existence dans des plans d’une Amérique sauvage qui font carte postale et, surtout, par le biais d’une bande son qui recourt au piano et aux cordes, prenant le spectateur à la main, lui indiquant qu’il faut ressentir ici de la tristesse, là de la déférence face à des paysages qui en mettent plein la vue, bref rompant avec le dénuement dans lequel le film avait commencé par exceller. Là où les portraits de gens réels évitaient tout pathos, voilà donc que ce pathos revient en trombe, la forme ésotérisant un film qui n’en avait nullement besoin.
Succombant par trop à cette admiration certes compréhensible que peut éprouver le documentariste pour son sujet, le film en oublie sa charge critique, qu’il laisse tomber pour se vautrer dans une parenthèse romantico-amicale, dont on sent que le film tire toute fierté à l’avoir mis en scène avec délicatesse – il n’y a pas de grands gestes et le happy end du retour à la vie bourgeoise est évité – mais qui n’en tire pas moins le film dans une mauvaise direction. Nomadland philosophe alors sur l’opposition entre vie sédentaire et vie nomade plutôt que de s’intéresser au revers de cette liberté tant prônée, revers qui se condense tout entier dans ces entrepôts sans âme où des âmes sans le sou sont sucés à la moëlle. Ainsi, le pire travers de ce film, c’est qu’il finit par être hors-sujet.
Sélection officielle hors compétition
Note: 2/5
Anmerkung der Redaktion: Dieser Artikel wurde bereits am 6. März veröffentlicht. Da der Film bei den diesjährigen Oscars mehrfach ausgezeichnet wurde, haben wir uns entschlossen die Kritik Ihnen ein weiteres Mal zur Verfügung zu stellen.
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