Critique littéraire / Parce que vivre est une victoire sur rien: „Né sous Franco“ de Thierry Poyet
Le roman „Né sous Franco“ raconte l’histoire du psychiatre Pierre Martinez: un homme qui semble avoir réussi, mais dont la façade commence à s’effondre. Une critique.
Articulé en 21 chapitres qui s’enchaînent fluidement, „Né sous Franco“ par Thierry Poyet démarre „in medias res“ par l’évocation, lors d’un déjeuner dominical, de tensions familiales entre Pierre Martinez et sa mère âgée de bientôt 80 ans, qu’il embrasse mécaniquement au moment de partir, alors que leur proximité est perdue. Le temps passé avec elle devient „pesant“ et „immobile“. Lui qui depuis l’enfance endosse le rôle du clown triste, „fils prodigue“ ou „frère maudit“ qui est le premier docteur en médecine de la famille, ce dont il tire un orgueil certain, ne comprend plus ni sa sœur envieuse ni sa mère manifestement névrosée. En outre, dans le „présent fantomatique“ qui est le sien, il est animé d’une conviction malsaine: avoir été joué par les uns et les autres. Contrairement à ses deux sœurs Catherine et Christine qui mènent, selon lui, une vie médiocre, Pierre se sent rattrapé par les années d’autrefois et en rupture avec le cadre familial sclérosant, se retrouvant confronté à la banalité de l’existence.
Ennui et solitude
Le docteur Pierre Martinez, psychiatre-psychothérapeute, n’est pas un homme heureux dans la mesure où il n’a pas satisfait ses rêves d’enfant. La lassitude l’a envahi bien qu’il gagne confortablement sa vie. Il est un éternel insatisfait, notamment de l’image d’enfant sage et docile que sa mère a gardée de lui. Les patient(e)s qui consultent à son cabinet, souffrant des mêmes maux liés à leurs parents, comme Castella et sa fille (ou victimes d’autres démons, comme Mary, qui se consume dans ses aventures libertines), le renvoient à ses propres souffrances, le font réfléchir à sa propre relation à sa mère.
Qu’il s’agisse de la (re)lecture d’auteurs comme Annie Ernaux, Pierre Bourdieu (dans le cadre d’un ouvrage de psychosociologie qu’il envisage d’écrire), Pierre constate que rien n’a changé à travers les temps: l’injustice sociale fait toujours rage. Il est difficile de s’arracher à sa condition sans trahir sa famille, par exemple les grands-parents. Pierre lit comme Julien Sorel, „pour se retrancher des siens et vivre sa propre vie“. Ennui et solitude, famille mal aimante, telles sont les données d’une vie dont il est à présent las. Il cherche à se singulariser, pour ne pas „se noyer dans l’indistinction“, ce qui fut la quête de sa famille durant les Trente Glorieuses. Déjà à l’adolescence, il était persuadé que l’avenir lui promettrait des „lendemains meilleurs“. Le garçon solitaire et inhibé qu’il était se répétait le principe de vie clamé par son père: „Je préfère faire le boucher que le veau.“ Il veut également soustraire sa mère à sa misère psychologique, tout en se rappelant régulièrement certains souvenirs de son „enfance sépia“.
Libération
Progressivement, Pierre gagne son indépendance et se libère de l’emprise maternelle et de sa puissance castratrice. Plus tard, devenu adulte, médecin et psychiatre à Montpellier, il n’a pas manqué de s’autoanalyser et d’élucider les ravages de l’amour maternel: „Ses capacités intellectuelles [QI de 137] lui ont permis de s’extraire de la gangue. Il lui a fallu juste un peu de temps et de maturité.“ Il se remémore aussi quantité de souvenirs que les pages du roman de Thierry Poyet égrènent. Quand la mère de Pedro (c’est son vrai prénom, témoignant des origines espagnoles de la famille paternelle) Martinez tombe dans le coma, c’est le branle-bas de combat. Cette nouvelle met le père de Pierre „dans un état lamentable d’abattement et d’affliction“. Pierre, quant à lui, se surprend à crier „Mais qu’elle crève!“, notamment car elle l’a privé d’histoires amour, par conséquent avortées.
Par ailleurs, les atomes crochus entre Pierre et son épouse Sylvie se sont défaits depuis longtemps: l’amour du début, qui s’est étiolé, a cédé sa place aux lézardes et aux différends. L’audace impétueuse de Pierre lui laisse croire que le meilleur reste à sa portée. En réalité, „sa famille le perturbe davantage qu’elle ne l’aide à supporter les épreuves de la vie“. Il en arrive même à songer à se débarrasser de Sylvie et de ses trois enfants. En outre, comment réagir lorsqu’on apprend qu’on est un enfant adopté? Que faire quand la voisine de Stéphanie dont il était autrefois amoureux, Nathalie Delgado (qui était, elle, amoureuse de Pierre), passe la porte de son cabinet? Ne serait-ce qu’une „tempête sous un crâne“? Stéphanie comme Nathalie ont participé à son éducation sentimentale, elles lui ont appris la vie plus que l’amour. Nathalie, qui a eu un parcours de vie plus chaotique que celui de Pierre, habite désormais la même ville que lui. Elle compte sur lui pour l’aider à se reconstruire. Les relations avec Sylvie, quant à elles, atteignent un point de non-retour. Et si Nathalie devenait l’euphorisant qui a toujours manqué dans sa vie?
Dans ce roman dans lequel il sonde le parcours labyrinthique, les soubassements traumatisants, les splendeurs et les misères d’un homme d’aujourd’hui – peut-être l’archétype de l’Homme du début du XXIe siècle, Thierry Poyet, qui excelle dans l’analyse des affres psychiques, livre un texte se plaçant sous l’égide de l’esthétique de Flaubert dont il constitue, en ce sens, la continuation: avec un ton distancié et moqueur, il se sert des personnages comme de pantins afin de dévoiler ce qui se joue, en profondeur, sous les apparences et les faux-semblants de l’existence. En définitive, Thierry Poyet se met au service d’une vérité intime qui n’est pas toujours bonne à dire, mais qu’il fictionnalise avec brio.
L’auteur
Né en 1968, Thierry Poyet est à la fois un spécialiste de Flaubert reconnu et un écrivain se faisant, à l’instar de son modèle du XIXe siècle, le peintre de la psyché humaine, de ses travers et de ses voiles, mais aussi de ses soleils et de ses discernements. Après „La petite Stéphanoise“ (2019, ce roman lui valut le „Coup de cœur“ du Jury du prix Fauriel), „Ce que Camus ne m’a pas appris“ (2021), „Il faut tuer Wolfgang Müller“ (2022) et „Raconte-moi un mensonge“ (2023), il revient sur le devant de la scène littéraire avec ce cinquième opus narrant le parcours de vie, les traumatismes et les espoirs d’un homme peinant à se soustraire à ses démons tant présents et passés qu’intérieurs et familiaux.
Infos
Thierry Poyet, „Né sous Franco“, France, Chum éditions, 2024. ISBN-13 978-2492973178; 22 euros, 300 pages
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