Entre Luxembourg et Berlin / Pascal Karier: „J’ai toujours été très attiré par la musique que je ne connais pas encore“
Batteur à la formation de jazz, membre des groupes Say Yes Dog et Kerala Dust, Pascal Karier est également DJ et membre co-fondateur du collectif Ouch. Rencontre avec un artiste avide de toujours découvrir de nouveaux territoires de création musicale.
Le studio de Pascal Karier se trouve à Berlin, dans la Reichenbergerstraße, au cœur de Kreuzberg. „J’ai eu la chance de dénicher un endroit où je peux faire du bruit jour comme nuit, ce qui n’est plus évident à dégoter ces jours-ci. J’y passe beaucoup de temps à répéter, travailler ma musique, produire. Mon studio est assez petit, vingt mètres carrés. C’était le studio du groupe Wir Sind Helden. Quand j’avais 15 ans, je pensais que tout groupe jouant à l’international avait un studio énorme. J’ai découvert que ce n’est pas le cas, rit-il.“ Pascal Karier est arrivé il y a plus d’une décennie à Berlin, après avoir rencontré les membres de son groupe Say Yes Dog, lors de leurs études de musique aux Pays-Bas. „Paul [Rundel] et Aaron [Ahrends] sont tous les deux originaires de Berlin, donc c’était logique de venir m’y installer. Mais depuis mon adolescence, j’avais le désir de vivre à Berlin en tant que musicien. C’était une sorte de rêve, de fantasme. J’ai toujours aimé le côté sauvage de la ville, le fait que tout le monde puisse être très libre de faire ce qu’il veut. Quand je suis ailleurs, dans des endroits très propres et organisés, où rien ne dépasse, je m’ennuie. Quand je suis en tournée, et que je reviens à Berlin, je suis toujours heureux de rentrer.“
Le 1er mars 2024 sortait le troisième album de Say Yes Dog, Draï, avec lequel le groupe sera en tournée à travers toute l’Europe de mi-octobre à fin novembre. „D’habitude, c’est le chanteur, Aaron, qui est à l’initiative des morceaux. Il a souvent une petite mélodie, un fragment de quelque chose, des éléments de rythme et de basse. Les paroles sont ce sur quoi on travaille en dernier. Paul, le bassiste, est celui qui écrit le plus, et puis on retouche ensemble, à trois. Je me considère comme le lien entre les différentes parties: choisir les bonnes chansons, donner des idées de mélodie, et évidemment, définir le rythme, étant donné que je suis le batteur, mais je n’ai pas l’impression d’avoir une spécialité en particulier. L’endroit où je suis faible, où je ne me sens pas à l’aise, c’est l’écriture des paroles. Mais avec Say Yes Dog ce n’est de toute façon pas notre point fort. Parfois, elles viennent facilement, parfois, c’est dur de trouver les mots justes.“ L’histoire d’amour entre Karier et la batterie a commencé à la pré-adolescence avec un prof qu’il qualifie de „vraiment génial“. „Il m’a transmis sa passion. Nous sommes encore en contact. Je ne serais peut-être pas devenu batteur professionnel sans lui.“
Aujourd’hui, le jeune homme connaît une carrière hors norme et passe la majeure partie de son temps à tourner à travers le monde, de l’Inde au Mexique en passant par les États-Unis ou le Brésil, lorsqu’il n’est pas occupé à répéter ou produire en studio. „Je suis conscient de ma chance. Le succès dépend de beaucoup de choses, ça ne repose pas que sur le fait d’être doué. Il faut trouver les bonnes personnes, savoir être social, et sans doute aussi savoir prendre les bonnes décisions. Pour ma part, je pense que le fait de m’installer Berlin a été l’une d’elles. Si j’étais retourné au Luxembourg, je ne sais pas si je ne vivrais que du fait de jouer, aujourd’hui. Sans doute enseignerais-je la musique – ce qui est très bien, mais pour l’instant, je préfère jouer, même si je prends plaisir à enseigner ponctuellement à des étudiants privés.“
Musicien explorateur
La relation qu’il entretient avec Aaron et Paul depuis plus de dix ans constitue à ses yeux „la plus importante“ de ces dix dernières années. C’est toujours très harmonieux. On a créé ensemble de façon constante, tout ce temps. Mais je ne peux pas me contenter d’une source unique de créativité, car j’aime beaucoup de styles de musique différents – de la pop à l’électro, en passant par la musique expérimentale, etc. C’est pourquoi je n’ai jamais voulu me focaliser sur un genre unique.“
Esprit curieux, ouvert, toujours désireux de partir en quête de nouveaux territoires – musicaux comme géographiques, Pascal Karier ne se lasse pas d’être si souvent sur les routes. „En général, j’apprécie beaucoup le fait d’être en tournée. La fatigue mise à part, je suis tellement habitué à présent que je m’ennuie si je suis trop longtemps à la maison. Ça reste très excitant pour moi de voyager, il y a encore beaucoup de pays où je ne me suis pas rendu. Et puis jouer devant des gens chaque soir est la raison pour laquelle je fais ce métier. Même si le show est le même d’un soir à l’autre, le plus souvent, l’énergie que l’on reçoit donne tout son sens à l’expérience. Pour moi et pour nombre de musiciens que je connais, quand on fait un album, on arrive à un point où on se met à tout détester, à douter de tout, à penser: ,Peut-être que c’est mauvais‘. Jouer devant un public aide à réaliser ce qui marche ou pas. On le ressent différemment. La meilleure chose à faire, c’est d’écrire les chansons, de les jouer devant un public, voir si elles fonctionnent, et ensuite les mettre sur album. Mais parfois, cela peut être étrange de faire écouter sa musique à quelqu’un d’autre, même si cette personne est un ami ou un partenaire. On entend toujours la musique différemment à ce moment-là, quand bien même on l’a écoutée des milliers de fois auparavant. Soudain, on l’écoute à travers les oreilles des autres.“ Ce processus entraîne parfois des surprises, et les membres du groupe découvrent que leurs tubes ne se trouvent pas forcément là où ils les attendaient. „Normalement, la chanson la plus forte de l’album apparaît facilement, mais souvent ce qu’on pensait être la deuxième chanson la plus forte de l’album s’avère ne pas l’être, et le public lui en préfère une autre.“
La club culture réunit des personnes qui partagent des valeurs communes, et en cela, elle peut constituer un endroit où créer des alliances pour défendre des causes fondamentales. Historiquement, la techno, qu’elle vienne de Detroit ou Berlin, est née de combats politiques.musicien
Faire la fête peut être politique
En plus de ses activités de batteur, Pascal Karier est membre co-fondateur du collectif Ouch, qui se bat pour une meilleure représentation d’artistes queer et BIPOC – des valeurs que Berlin a contribué à lui rendre particulièrement chères. „Si vous êtes quelqu’un qui avance dans la vie les yeux ouverts, à Berlin, il est difficile d’ignorer le fait que le monde a été étrange pendant de nombreuses années. En ce qui me concerne, je pense avoir toujours été assez sensible à la notion d’égalité. Si quelque chose est injuste, je le ressens profondément. Quand on a commencé le collectif Ouch, on a réfléchi à ce qu’on voulait vraiment faire – simplement organiser davantage de fêtes et événements, ou bien y ajouter quelque chose qui leur donne un sens supplémentaire? Pour les Berlinois, veiller à la diversité et à l’inclusion est de plus en plus évident, mais pour les gens qui viennent d’ailleurs, c’est parfois regardé de haut, avec un certain mépris, ou vu comme un cliché. Ces premières réactions viennent souvent d’un sentiment d’insécurité.“
La piste de danse est-elle le lieu où mener nos combats politiques? „La club culture réunit des personnes qui partagent des valeurs communes, et en cela, elle peut constituer un endroit où créer des alliances pour défendre des causes fondamentales. Historiquement, la techno, qu’elle vienne de Detroit ou Berlin, est née de combats politiques. Toute fête n’a pas à être politique, mais elle peut l’être, et c’est bien.“
Amoureux des percussions, Pascal Karier mélange avec habileté les influences, lorsqu’il officie aux platines sous le nom de DJ Goodboy. À travers son goût pour la musique africaine, latino-américaine et brésilienne, il transforme ses sets en voyage. „Depuis tout petit, je cherche toujours à découvrir de nouveaux genres. A six ans, j’adorais la musique folklorique autrichienne, par exemple. Je forçais mes parents à l’écouter dans la voiture. J’ai toujours été très attiré par la musique que je ne connais pas encore. Et puis j’ai étudié le jazz, qui trouve sa source dans la musique africaine… De manière générale, je tends plutôt vers des morceaux où l’on trouve de la diversité, du rythme, et du plaisir.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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