Forum / Rapport budgétaire à la Chambre : hier, aujourd’hui et demain
Le rapport de la Commission des finances pour le budget de 2025 vient d’être présenté à la Chambre des députés, il y a quelques jours. Ce rapport est considéré comme étant la mère de toutes les batailles du Parlement. Il s’agit en l’occurrence d’analyser, de commenter un document, à première vue impressionnant et rébarbatif, et de faire, le cas échéant, des critiques voire des propositions. Cette année, le rapport en question a dérogé un peu à ces principes énoncés.
En effet, la rapportrice a cru bon de mettre en exergue une présentation de ce qu’il est convenu maintenant d’appeler „l’intelligence artificielle“, un terme étrange, on dirait à première vue une contradiction dans le terme, appelée oxymore par les spécialistes, donc une figure de style qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires. J’imagine que le but de la parlementaire était de rendre attentif sur une problématique future, un défi, que toute société est priée d’aborder avant l’heure, et non pas après. On pourrait donc qualifier ce choix un peu de visionnaire et il ne m’appartient pas de le critiquer. Certes, on peut se demander ce que ce sujet avait à faire dans un rapport sur le budget de l’Etat et non pas comme étant le fruit de ce qu’on appelait jadis un débat d’orientation, sachant que le rapporteur budgétaire, heureusement, a toujours pu bénéficier d’une grande liberté en ce qui concerne le choix de ses priorités et le contenu de son rapport.
Le problème est toujours de savoir si les choix opérés arrangent, ou pas, le ministre des Finances ou s’il peut dormir, le cas échéant, tranquillement sur ses deux oreilles. Cette année, l’attention générale a été quelque peu détournée des aspects purement budgétaires pour se concentrer sur un autre sujet, un autre terrain de jeu, a priori sans lien direct avec le budget. Et pour le coup, le risque de se brûler les doigts est moins important … pour tous, la paix des ménages étant sauvegardée.
Entrée et sortie du budget
Peut-être que la rapportrice a eu raison, car finalement depuis des lustres le budget de l’Etat quitte la Chambre comme il est rentré, pas une virgule n’y est changée, alors qu’on pourrait s’attendre de la Commission des finances qu’elle éclaire, qu’elle examine et commente les grandes lignes, et les petites, du document, et que, le cas échéant, elle modifie certains aspects, qu’elle propose des amendements. A la limite, il y va également de l’autonomie et de l’autorité du législateur vis-à-vis du pouvoir exécutif. A moins que l’objectif prioritaire de certains députés soit de ne pas trop ruer dans les brancards pour être ministrable à la première occasion. Dans le cas présent, ce stratagème n’est pas d’application, car la rapportrice était déjà au gouvernement avant de débarquer à la Chambre.
Dans les livres d’histoire on parlera de ce rapport à cause du sujet principal abordé. Tel ne sera pas le cas du rapport de l’année dernière où on se souviendra peut-être du fait que la rapportrice avait changé de coiffure (ou de coiffeur?) quelque temps avant la présentation de son rapport, un peu falot. Pas étonnant quand le rapporteur, en absence de toute approche critique, voit son rôle comme étant le bras prolongé, le gregario, du ministre des Finances et pas celui du Parlement.
Quelques innovations
Je vous prie d’abord de bien vouloir m’excuser, mais vous savez qu’à partir d’un certain âge on a plus tendance à parler du passé, une plage de temps plus grande, que de l’avenir. J’ai d’ailleurs l’impression que cela ne va pas en s’améliorant, au fil des années … Je profite donc du sujet qui nous occupe pour jeter un regard en arrière, mais loin de moi de penser que c’était mieux avant. Il me tient seulement à cœur de transmettre, de relater mon humble expérience, vu que j’ai assumé deux fois la responsabilité de rapporteur budgétaire.
La première fois, jeune député, novice, à peine entré à la Chambre, j’ai insisté pour remplir ce rôle parce que c’était par ce biais qu’on apprenait rapidement „le métier“. Aujourd’hui on dirait „learning by doing“. Il faut savoir qu’à l’époque le rapporteur budgétaire se retrouvait seul (absence de collaborateurs, aujourd’hui pléthoriques), devant une feuille blanche, des fois la nuit, à la lueur d’une petite lampe, comme à l’époque estudiantine. Mon premier geste était de débloquer, au sein du groupe parlementaire, des fonds nécessaires pour rémunérer légèrement et temporairement deux collaborateurs (autre innovation) et de rendre public cette façon de faire. Il faut savoir que des rapporteurs précédents avaient souvent eu recours à un know-how extérieur, privé, que ce fut à l’Arbed, dans une banque de la place ou ailleurs. Ou même au sein de l’administration gouvernementale. Sans en référer publiquement.
Deuxième nouveauté, entretemps devenue standard: on organisait des entrevues particulières entre le seul rapporteur et les divers organismes ou institutions, privés ou publics.
Troisième nouveauté: grâce à une „indiscrétion organisée“ on a pu disposer d’un document administratif secret (?) relatant les arriérés d’impôt d’un certain nombre d’entreprises du secteur privé. L’idée était d’intégrer dans le rapport ces informations explosives qui concernaient donc directement le budget des recettes de l’Etat. Au sein de la commission, pourvue de plusieurs députés proches du patronat, la bataille a été rude pour maintenir le sujet dans la version finale du rapport. Après quelques modifications ou compromis de texte, on a sauvé l’essentiel.
Autre aspect et autocritique qui méritent d’être relevés: le texte final ressemblait trop à une déclaration gouvernementale bis, trop de sujets abordés, trop volumineux, le poisson était noyé. Finalement le budget de l’Etat est sorti, à la virgule près, de la Chambre comme il y était entré, hélas. Dans ce cas de figure les spécialistes parlent d’une Chambre d’enregistrement.
Apprendre, toujours apprendre
Au moment du deuxième rapport budgétaire, sept ans plus tard, mon intention était d’apprendre de mes propres erreurs antérieures. Plus d’assistants, à l’exception de mon propre attaché parlementaire, car entretemps chaque député disposait d’une demi-tâche pour engager une telle aide. Son apport consistait à intégrer dans le rapport des éléments d’une étude gouvernementale concernant les aspects positifs d’une politique moderne dans le domaine du tourisme, facteur économique important et à l’époque pourvu d’un potentiel de croissance important. Pour le reste (pas besoin de compatir), le rapport sortait directement de ma plume personnelle (à l’époque, absence d’ordinateur), j’ai passé des nuits entières à la maison pour analyser et m’inspirer des avis des diverses chambres professionnelles ou autres. Le sujet des arriérés d’impôts, actualisé, des entreprises fut remis sur le métier.
En fait, il y était question des moins-values de recettes, donc des impôts potentiellement dus. Des sommes colossales (encore aujourd’hui!?) passaient sous le nez du receveur de l’Etat, mais cela ne semblait pas gêner beaucoup de monde … Et aujourd’hui? Rien! Ce n’est même plus un sujet à défaut d’être toujours une réalité, je crains. Chaque fois que je vois des représentants patronaux pleurnicher au sujet d’une imposition soi-disant pénalisante, j’ai un petit sourire narquois …
Autre innovation: sur proposition de mon ami Dulli Fruehauf (†), à l’époque conseiller communal de la Ville de Luxembourg, j’ai fait débloquer des crédits par la Chambre pour procéder à une analyse „écologique“ du budget („Umweltverträglichkeitsprüfung“, un mot rêvé pour briller au scrabble!) par un organisme externe, l’IFO-Institut de Munich. Du jamais vu, ni avant ni après. Ainsi toutes les dépenses des différents ministères étaient auscultées et cette analyse extérieure a été intégrée comme annexe du rapport budgétaire proprement dit. C’était la première fois que la Chambre se proposait, de sa propre initiative et à ses propres frais, d’avoir recours à une expertise externe, sans accord exprès du gouvernement. Depuis, cette expérience, hélas jamais évaluée, n’a plus été reconduite.
Tentative avortée pour modifier (un peu) le budget
Dernière tentative de rehausser l’autonomie de la Chambre: pour marquer le coup, je m’étais juré d’empêcher que le budget sorte de la Chambre comme il était entré. Mais il ne fallait pas viser trop haut. Ainsi à l’époque un nombre important d’articles budgétaires étaient pourvus de la mention: „crédit non limitatif“. Ce type de notion permet au gouvernement de modifier (en fait d’augmenter), souverainement, sans en référer à la Chambre, tout crédit au niveau des dépenses. Ainsi j’avais proposé à la commission, au début courageuse, d’introduire dans le rapport un amendement visant à obliger le gouvernement à demander, à la commission des finances, un feu vert spécial à tout dépassement de plus de 30% de ce type de crédits.
En fait cette proposition visait à empêcher que le budget de l’Etat risquât d’être modifié considérablement, de perdre tout caractère de véracité et, une fois adopté, de se dédouaner de tout contrôle ex post. Même les éléphants budgétaires du partenaire de coalition étaient d’accord. Panique à bord au ministère des Finances. Le directeur de l’Inspection des finances, ange gardien du budget, factotum et homme de main du ministre des Finances, fut télécommandé pour jouer le pompier de service, sans parler des autres interventions inofficielles, qui se tramaient, dans mon dos, loin des yeux. Finalement la commission, moi compris, a été obligée d’avaler son chapeau (= changer son idée sous la contrainte).
Avant de clore ce papier, une ultime suggestion, la dernière pour la route. Aujourd’hui la Chambre des députés serait bien avisée de réfléchir à la nomination d’un seul rapporteur général du budget, doté de prérogatives précises, pour l’ensemble de la durée d’une législature. Ainsi elle pourrait garder un œil plus vigilant, permanent, à l’exécution du budget et mieux contrôler le gouvernement. L’actuelle commission éponyme, manifestement, ne réussit pas à assumer ce rôle. Préalable: une volonté politique forte et le désir affirmé de renforcer le pouvoir législatif. Condition: c’est à la Chambre de relever ce défi, pas au gouvernement.
P.S.: Bon bout d’an et bonne année 2025 à mes chers lecteurs, et un merci spécial pour vos très nombreux encouragements. Merci aux responsables du Tageblatt de pouvoir jouir d’une totale liberté de parole. J’espère ne pas trop en abuser. Salve!
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