Tout droit direction musée / „Richtung 22“ déniche le passé colonial dans les plaques de rue
Le collectif d’artistes „Richtung 22“ poursuit sa traque du colonialisme sur son terrain de jeu préféré: l’espace public. Il a d’abord recontextualisé les monuments et bâtiments de la capitale au moyen d’un audio-guide. Il poursuit désormais son travail d’éveil en exposant, au Casino – Forum d’art contemporain, des plaques de rue problématiques.
Décrocher des plaques de rue peut-il être un geste artistique? C’est la question inhabituelle à laquelle fut confronté le service Voirie de la ville de Luxembourg, lors de l’ouverture de l’exposition que le collectif d’artistes „Richtung 22“ consacre au colonialisme dans la Black box du Casino – Forum d’art contemporain. La bourgmestre, Lydie Polfer, a finalement donné la réponse en retirant la plainte qui désignait comme vol ce qui relève de la liberté d’expression.
La question que veut poser „Richtung 22“ en déplaçant ces panneaux au musée est autre: ne faudrait-il pas renommer ces rues au vu du passé colonialiste des personnages historiques qu’elles honorent ? En juillet 2020, la commune de Wahl a montré la voie en débaptisant la rue Nicolas Grang, du fait que ce lieutenant de l’armée belge au Congo avait du sang sur les mains. „Richtung 22“ présente dans son exposition huit nouveaux cas de noms de rue problématiques. Et elle en explique les raisons par des textes descriptifs bien plus diserts que les quelques mots de description qu’on lit sur les panneaux. „L’histoire est visible dans la vie quotidienne, les profiteurs et les criminels coloniaux continuent d’être commémorés dans les espaces publics“, constate le collectif.
Pescatore: une ombre au tableau
Quand c’était possible, en lieu et place des panneaux provisoirement exposés dans la rue Notre-Dame, „Richtung 22“ en a installé d’autres interpelant les riverains et usagers de ces rues ; „Wou ass mäi Stroosseschëld?/ Do, wou et higehéiert. Am Musée“, y lit-on. Le „vol“ de ces plaques revêt d’ailleurs une forte dimension symbolique. Les musées n’ont „traditionnellement aucun problème à présenter des œuvres pillées“, dit astucieusement le collectif. D’ailleurs, si les musées nationaux sont relativement épargnés par le débat sur les œuvres volées dans le contexte colonial et sur leur restitution, „Richtung 22“ met la villa Vauban sous le feu des projecteurs. Cette dernière est invitée à reconsidérer la collection d’œuvres léguée par Jean-Pierre Pescatore, dans le contexte de la colonisation.
Pour cause, sous la plaque de l’avenue qui porte son nom, „Richtung 22“ rappelle que celui qui y est simplement désigné „bienfaiteur de la ville (1793-1855)“ a bâti sa richesse en obtenant en 1817 la licence exclusive française pour l’importation de tabac cubain, produit par des esclaves. Un autre Pescatore, Maurice, penseur libéral et ancien bourgmestre de Rollingergrund, est lui aussi épinglé pour ses carnets de voyage au Congo publiés en 1932. Il y aborde „la sévérité avec laquelle il faut traiter les nègres“, y compris en les battant. „Comme ils sont peureux et craintifs“, écrit-il, „il est certain qu’il n’y a que la force qui leur impose.“
Le botaniste Guillaume Caous se retrouve dans la galerie pour avoir contribué à une science, l’ethnologie, chargée de classer et de hiérarchiser les espèces humaines, qui est „un produit direct du colonialisme“. Il a rédigé „un mode d’emploi pour apprendre aux Européens comment traiter les plantes et les hommes des colonies dans le but d’atteindre un maximum de profits“, lorsqu’il était en Indochine à la fin du XIXe siècle. Il a d’ailleurs fini sa carrière comme enseignant à l’Ecole coloniale de Paris.
„Richtung 22“ s’était déjà lancé dans un semblable travail de recontextualisation, mais en l’appliquant aux monuments et bâtiments de la ville, par la réalisation d’un audio-guide. Au pied de sa statue équestre du Knuedler, les auditeurs peuvent encore aujourd’hui découvrir le passé colonial de Guillaume II, à savoir son implication dans une guerre coloniale menée par la couronne néerlandaise en Indonésie entre 1840 et 1895 à laquelle ont participé plus de mille mercenaires luxembourgeois. Au Casino, c’est sur la plaque de rue de son fils, le Prince Henri, que les projecteurs sont braqués. Ce gouverneur du Luxembourg de 1850 à 1879, d’après lequel douze rues du pays sont nommées, avait été amiral dans la marine néerlandaise et stationnée en Indonésie auparavant.
„Richtung 22“ pose d’ailleurs l’épineuse question de la responsabilité de l’Etat luxembourgeois vis-à-vis des crimes commis par la couronne néerlandaise (qui possédait le Grand-Duché jusqu’en 1890). Il remet également en cause le statut d’un des Pères de l’Europe qui a sa rue au Kirchberg, à savoir Richard Courdenhove-Kalergi. Des écrits de ce théoricien des années 20 le collectif a extrait une citation qui orne sa plaque de rue: „Der Besitz Afrikas“, écrivait-il en 1929, „ rollt für Europa die Rassenfrage auf, von der es sonst verschont ist. Denn Eurafrika vereinigt die höchsten Kulturvölker der weißen Rasse mit den primitivsten Naturvölkern der schwarzen.“ C’est comme ça que son nom côtoie ceux de Christophe Colomb et des Pères Bettendorf et Raphaël au Casino. A voir jusqu’au 30 janvier 2022 dans la rue Notre-Dame.
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