Théâtre / Sans laisser de traces: „1h22 avant la fin“ de Mathieu Delaporte dans une mise en scène de Pauline Collet au TOL
Un suicidaire (temporairement) sauvé par son meurtrier, deux hommes solitaires et (pas si) inégaux (que ça) qui se retrouvent dans un cadre quotidien qui vire lentement à la fable surréelle et une passion maniaque pour la variété française: dans „1h22 avant la fin“, on retrouve le ton acerbe et ironique de Mathieu Delaporte dans une pièce souvent drôle, à laquelle on ne reprochera pas le manque de profondeur – on s’y attendait – mais bien plutôt des problèmes de rythme et d’écriture.
On se souvient de cette scène inoubliable de „In Bruges“, premier long-métrage de Martin McDonagh, où Ray (Colin Farrell), dépressif et rongé par la culpabilité et le remords après avoir tué par hasard un enfant de chœur, cherche à se suicider. C’est son ami Ken (Brendan Gleeson) qui le sauve in extremis, alors qu’il s’était pourtant approché à pas feutrés de Ray afin de mettre à exécution l’ordre de son patron Harry (Ralph Fiennes) – à savoir de le tuer.
Cette situation absurde, où un assassin sauve de la mort une victime qui était de toute façon au bord de s’ôter la vie, la nouvelle pièce de Mathieu Delaporte – la première qu’il écrit sans son acolyte Alexandre de La Patellière, avec qui il vient de signer le scénario du nouveau diptyque autour des Trois Mousquetaires – en a fait sa situation initiale: Bertrand (Raoul Schlechter) est un (presque-)quadragénaire célibataire, un homme mou, puceau de surcroît, à qui on ne connaît ni d’amis ni, logiquement, d’amoureuse ou d’amoureux. Il décrit sa propre vie comme une succession presque méticuleuse et conséquente d’échecs.
De sa vie professionnelle, on ne saura ainsi qu’une chose, à savoir que son patron est un con, mais à la façon dont il l’affirme et le répète, l’on sent qu’il n’y changera jamais rien – et qu’il passera bien plutôt le reste de sa triste existence à souffrir de ce qu’on soupçonne être les humiliations de cet homme.
Raison pour laquelle il planifie enfin de le raccourcir drastiquement, ce reste d’existence: au début de „1h22 avant la fin“ (qui fait, comme son titre l’indique, exactement 82 minutes, on l’a chronométré), on voit cet homme, grand fan de variété française – ce sera l’un des ressorts comiques de la pièce, filon un peu trop exploité qui finit par lasser comme un de ces titres dont on se fatigue à force de l’avoir entendu à la radio –, baladeur en main, passer l’aspirateur puis résilier assurance et électricité, qui semble vouloir mourir comme il a vécu: sans laisser de traces, avec une méticulosité et une discrétion qui confinent à l’ennui.
Au moment d’enjamber le rebord de la fenêtre pour se laisser choir du quatrième étage d’un appart bien tristounet, tout en marron et en mobilier utilitariste, l’on toque à la porte. C’est un voisin (Hervé Sogne), qui dit qu’il cherche à tuer quelqu’un, et que c’est tombé sur lui, Bertrand, un assassin en devenir donc, qui tombe d’autant mieux que notre homme avait un peu de mal à se laisser tomber, précisément: il a le vertige, dit-il, qui constate avec tristesse que son corps s’accroche à la vie là où lui aurait bien voulu l’avoir déjà laissée derrière lui.
S’engage un dialogue avec ce voisin dont on réalise bien vite qu’il est aussi peu doué pour le meurtre que l’autre l’est pour le suicide – et que, malgré qu’il oscille entre menaces, injonctions et commentaires cyniques, il semblerait qu’ils constituent tous les deux une belle brochette de losers, même si la constellation entre les personnages ne manquera pas d’évoluer au fur et à mesure que la pièce avance à coup de revirements.
Habitué à clôturer sa saison par une comédie estivale plutôt légère – et quoi de plus léger que les sujets graves comme la mort et le suicide, qui ont le plus besoin qu’on en rie –, le TOL n’en est pas à sa première mise en scène d’une pièce de Delaporte, dont il avait, il y a plusieurs années, proposé l’hilarant „Un Dîner d’adieu“, coécrit avec de La Patellière.
Mise en scène par Pauline Collet, „1h22 avant la fin“ donnait plusieurs défis à relever: au-delà de la contrainte temporelle à respecter, il y a ce texte de Delaporte, à la fois mordant et drôlissime par moments, dont le sens de la réplique est souvent au taquet, mais qui souffre aussi de problèmes de rythme tout comme d’un dernier acte assez raté, qui paraît greffé sur le reste afin de mieux camoufler qu’on ne savait plus à quel Dieu dans la machine se vouer pour faire sortir les personnages de leur engrenage.
On en charge donc un personnage féminin sorti de nulle part ou presque, auquel on n’accorde par ailleurs qu’un piètre quart d’heure scénique, qui ne suffit guère, malgré le talent d’une Aude-Laurence Biver, à donner corps et âme à ce personnage peu substantiel, dont la seule justification narrativo-ontologique serait le besoin de briser la solitude et le désespoir de son personnage mâle.
Bref, d’un point de vue de l’écriture, la fin est vraiment bâclée, avant quoi gênaient certains problèmes de rythme ou de fluidité, qui montrent que compte ici bien plus l’enchaînement de sketches que l’histoire en soi, bien qu’il y ait, en son centre, malgré le foisonnement de jeux de mots foireux et les quiproquos parfois dignes d’un Woody Allen (on pense à „You Will Meet A Tall Dark Stranger“) ou d’un „Dîner des cons“ (sans en dire trop, disons que si Bertrand n’est pas un grand familier de l’éros, son binôme freudien ne fait pas partie non plus de son vocabulaire), et malgré qu’elle demeure légère, une réflexion sur la solitude, l’ennui et la morosité de nos existences sous le néolibéralisme – et sur la façon dont nous évitons souvent de regarder en face notre propre mortalité.
Tout cela est aussi sauvé par des acteurs qui convainquent, dont on a l’impression qu’ils ont été castés parce qu’on sait qu’Hervé Sogne peut jouer le rôle du tueur cynique dont la façade s’effrite lentement les yeux fermés tout comme il n’étonne pas que Raoul Schlechter incarne son gentil loser un peu attachant avec beaucoup de talent.
Quant à Aude-Laurence Biver, difficile de se prononcer tant le personnage qu’elle campe est inexistant, ce pourquoi on a dû lui donner un peu de métatexte – avant le début de la séance, d’une voix on ne peut plus désintéressée et blasée, elle nous prie de bien vouloir mettre nos téléphones sur mode d’avion et de mettre en sourdine nos notifications tinder, grindr et autres et, lors d’un interlude et changement de décor tardif, très drôle, elle nous lit, afin de nous occuper, de cette même voix lasse, la biographie de l’auteur, façon peut-être de prendre, à travers ce Verfremdungseffekt, quelques distances avec un texte qui les met aux marges des débats, les femmes.
Info
Prochaines représentations: aujourd’hui ainsi que le 7, 8, 9, 15, 16, 17, 20, 21, 28, 29, 30 juin 2023. Durée: 1h22 (obviously)
Mise en scène: Pauline Collet
Scénographie et costumes: Joanie Rancier
Assistante de mise en scène: Julie Ohnimus
Création lumière: Manu Nourdin
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