Nouveau recueil chez Hydre / „Theater théâtre theatre Theater 2“ met en avant quatre œuvres d’auteurs luxembourgeois
„Theater théâtre theatre Theater 2“ est un recueil de quatre pièces („Luonnonllisesti“ de Stéphane Ghislain Roussel, „Das Fenster“ de Mandy Thiery, „Poupette“ de Marie Jung et „Nachspiel“ de Raoul Biltgen), rédigées à la fois en français et en allemand. Qu’il s’agisse du biographique réflexif, du moi-miroir du monde, des traces de l’être en fin de vie face aux masques sociétaux ou d’une enquête introspective, ces différents textes peuvent être regroupés sous l’égide ontologique de l’être en situations.
Dans „Luonnollisesti“ („naturellement“ en finnois), le lecteur est convié à un monologue dédié à Marja-Leena Juncker (Prix national du théâtre 2023 pour l’ensemble de sa carrière), très librement inspiré de la vie de la célèbre comédienne d’origine finlandaise. Stéphane Ghislain Roussel a également écrit ce récit „en pensant à tout.te.s celles et ceux qui s’engagent au quotidien, se battent, pour que les forêts et les vivants non humains et humains soient respecté.e.s“.
Ce texte librement autobiographique est non seulement l’occasion de retracer le parcours de vie et de carrière d’une actrice dont d’aucuns saisiront aisément qu’il s’agit de Marja-Leena Juncker, mais encore l’occasion de questionner certaines thématiques fondamentales telles que l’environnement. Ce monologue présente ainsi une double dimension anamnestique qui fait tout le sel de la lecture de ce texte qui cultive à la fois l’éphémère narratif et l’éternel existentiel. L’on parcourt les splendeurs et les misères d’une vie et l’on dépasse le seul cadre diégétique afin de se plonger dans une perspective proprement philosophique, faite d’étonnement, de questionnement, voire de remise en question. Mettant en lumière les liens d’interdépendance entre notre humanité et la forêt, le voyage dans lequel est embarqué le lecteur est à la fois intime et sensoriel. La plainte des arbres se fait hurlement du monde.
Une fenêtre, peut-être aussi un meurtre
Articulée en 18 tableaux, la pièce „Das Fenster“ de Mandy Thiery met en scène quatre personnages (Chris, Milli, Kerstin et Lucien) hauts en couleur, et est centrée sur un jeune historien de l’art au chômage, Chris (qui tonne à foison dès le début de la pièce). Ce dernier vit encore en compagnie de sa mère dominatrice (Kerstin), laquelle essaie par tous les moyens de le protéger de la vie réelle. Sa mère peut le comprendre dans la mesure où elle non plus n’a pas fait de bonnes expériences avec l’extérieur. Les névroses d’angoisse de la mère et du fils se renforcent donc mutuellement. Le seul contact de Chris est sa voisine – Milli, la fille d’à côté qui rêve d’une carrière d’influenceuse sur YouTube. Malgré les idées les plus folles pour des défis toujours plus nombreux, sa communauté de „followers“ reste réduite.
Un jour, un inconnu est assis sur le rebord de la fenêtre. Il se prénomme Lucien et rappelle quelque peu à Christopher et à Millie le Peter Pan aventureux de leurs rêves d’enfants. Et si grâce à lui le monde au-delà de la fenêtre était vraiment ouvert? Or, parmi les nombreuses symboliques de la fenêtre se trouve celle de l’ouverture au monde dans la mesure où elle permet l’accès à l’inconnu.
„Das Fenster“ de Mandy Thiery renvoie par conséquent à la dialectique du dedans et du dehors. Elle apparaît au lecteur comme une barrière, une frontière, un espace de fracture entre le familier et l’étranger, en raison de sa double appartenance à l’espace public et l’espace privé – l’auteure plaidant globalement pour l’ouverture d’esprit et critiquant les effets aliénants des réseaux sociaux.
Dans „Poupette“, Marie Jung brosse le portrait d’Anna Denise Schmit, qu’on appelle „Poupette“. Âgée de 96 ans, cette dernière est à la fois amuseuse, résistante, écrivaine, garagiste, et bien plus encore. Elle est également en quête de quelque chose, elle s’interroge et nous renvoie à des questions essentielles: à la fin de notre vie, que reste-t-il de nous? Des meubles, des vêtements ou plutôt des impressions laissées sur d’autres personnes? Or, quelles sont ces impressions? Voulons-nous même nous laisser définir par les impressions que d’autres personnes ont de nous? Ces personnes n’ont-elles pas toujours vu qu’une partie de nous? Dans une société de l’optimisation obsessionnelle du moi idéalisé, il est difficile de s’y retrouver derrière tous ces masques.
Enfin, dans „Nachspiel“, Raoul Biltgen met en place deux personnages – A et B – qui sont amis. Ces derniers racontent une promenade en hiver, par une journée glaciale de janvier, au bord d’un lac. Ils prennent des photos, ils prennent des clichés ici et là et soudain, à travers un objectif, ils voient un jeune couple. A et B ont-il été témoins d’un meurtre? Ils ont d’abord vu une main dépasser de la glace, puis ils ont finalement retiré le corps. Que faire maintenant? Ils portent plainte sagement, mais ils deviennent de plus en plus suspects. Comment vont-ils se sortir de cette histoire?
Les quatre pièces regroupées dans ce volume se proposent globalement l’étude de l’être et plus précisément des possibilités et des conditions de l’être, cet apprentissage étant aussi apparenté à la théorie de la connaissance, qui se penche sur les possibilités et les limites de la perception et de la connaissance humaines. Ainsi considéré, le théâtre, pour pasticher Camus, ne serait-il jamais qu’une philosophie mise en images?
Le livre
„Theater théâtre theatre théâtre 2“
Hydre Editions, Luxembourg 2024
ISBN 978-99987-755-0-3
212 p., 17 euros
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