LuxFilmFest / Trying to keep their head above water
Alors qu’on sait depuis Jean Giraudoux que la guerre de Troie n’aura pas lieu, la conférence de presse d’hier ne cessait de scander le contraire pour cette onzième édition du LuxFilmFest: quoiqu’il arrive, ce festival, préparé avec méticulosité et en réaction incessante aux nouvelles annonces gouvernementales hebdomadaires, se fera. C’est donc avec une certaine précipitation qu’on a pu découvrir une programmation (presque) aussi foisonnante que d’habitude, pour une édition hybride, entre digital et présentiel.
Qu’on se souvienne: l’année dernière, le LuxFilmFest signait le début de la fin de nos vies telles qu’on les connaissait. Lors du festival, qui se déroulait encore en présentiel – terme à la mode et éminemment horrible, qui préconise que la présence physique est devenue une sorte d’état exceptionnel –, l’on se réjouissait de baigner dans une ambiance festivalière alors même qu’on savait que le virus planait, et qu’il contaminerait – et il en a contaminé plus d’un lors du festival. Du coup, l’on se sentait un peu mal à l’aise quand on voyait le foyer d’accueil blindé, en forme d’entonnoir de surcroît, d’un Utopia où les gens s’attroupaient par grappes. Le festival fut aussi la toute première victime culturelle du virus puisqu’un beau soir, à quelques jours de sa fin, ses organisateurs furent obligés d’annuler les projections pour se replier sur le digital.
Aujourd’hui, presqu’un an plus tard, les billets pour le cru 2021 sont mis en vente. Alors que la rengaine de la chanson d’R.E.M. – „It’s the End of the World As We Know It“ – décrit toujours avec justesse l’état du monde, la conférence de presse donnait d’abord l’impression que rien n’avait vraiment changé: des discours de remerciements interminables donc, avec une sorte d’enchâssement presque parodique (Lydie Polfer fit l’éloge de Georges Santer, qui reprend le flambeau présidentiel de Colette Flesch, dont il fit à son tour l’éloge), suivis de la présentation d’une programmation comme toujours foisonnante par un Alexis Juncosa (le directeur artistique du festival) qui, sorte de TGV des conférenciers, fonça à toute vitesse à travers la programmation sans oublier ne serait-ce que le moindre long métrage.
Une pandémie qui reste omniprésente
Néanmoins, le contexte pandémique fut constamment évoqué, que ce fut à travers la bande-annonce, accompagnée d’un morceau de CHAiLD dont le texte répète „I’ve been trying to keep my head above water“, à travers le discours de Sam Tanson („déi gréng“), ministre de la Culture, qui souligna non seulement les contraintes sous lesquelles le festival fut organisé, mais précisa aussi que l’ouverture quasiment unique en Europe des salles luxembourgeoises restera soumise à l’évolution de la pandémie, ou celui de Lydie Polfer (DP), qui regretta les retombées artistiques et économiques de l’absence d’invités internationaux (car la présence de ces invités a toujours eu un impact bénéfique sur la gastronomie et l’hôtellerie de la capitale).
Alors, première bonne nouvelle, le festival, quoiqu’il arrive, aura bien lieu – et c’est déjà, si on compare les réalités à l’étranger, avec Berlin et Cannes repoussés, sans qu’on puisse être certain si la promesse de festivals en été sera tenue ou tenable, assez extraordinaire pour mériter d’être souligné. L’édition sera bien évidemment hybride, avec une partie de la programmation qui aura lieu dans les salles et une autre partie digitale – Christophe Eyssartier (National Theatre Manager chez Kinepolis) a d’ailleurs souligné avoir augmenté les capacités dans les salles Kinepolis afin de pouvoir accueillir plus de gens tout en respectant la distanciation sociale en vigueur.
Dans la pratique, différents „pass“ existent: il y en a un, à 30 euros, qui permet de regarder cinq films en salle, et il y en a deux, virtuels, qui permettront de voir en ligne ou bien tous les films de la compétition fiction et documentaire (à 30 euros) ou bien tous les films en compétition et hors compétition (à 50 euros). Notons qu’à la suite du géoblocage, les films seront visibles uniquement sur le territoire luxembourgeois – une nouvelle façon, digitale, d’exclure nos frontaliers de la vie culturelle du pays.
Parlons peu, parlons films
Comme il y aura plus de 110 films à voir, vous comprendrez que le rapide parcours fait ici est loin d’être exhaustif (et nous vous invitons d’ailleurs à vous ruer sur le site pour glaner de plus amples informations). Parmi les films de la compétition documentaire, constituée de six films, évoquons „Gevar’s Land“ de Qutaiba Barhamji, sur une famille de réfugiés syriens qui participe à l’élaboration d’un jardin associatif, „Once Upon a Time in Venezuela“ d’Anabel Rodríguez Ríos, qui raconte comment un village monté sur des pilots est menacé par l’asséchement, „Songs of Repression“ d’Estephan Wagner et Marianne Hougen-Moraga, qui font parler les victimes de „Colonia Dignidad“, ce lieu de torture fondé par un ancien nazi au Chili ainsi que „The Mole Agent“ de Maïté Alberdi, qui suit un veuf de 83 engagé pour une mission d’infiltration … dans une maison de retraite.
La compétition fictionnelle est aussi pétrie de documentarité et de politique, comme l’expliquait Chiara Lentz, qui fait partie du comité de sélection du LuxFilmFest: quand on n’y dépeint pas comment un jeune pêcheur tombe amoureux d’une „camgirl“ („The Whaler Boy“ de Philipp Yuryev), on y parle de la lutte des classes (dans „Aristocrats“, du japonais Yukiko Sode et dans le film angolais „Air Conditioner“, qui, mâtiné d’ambiance jazzy, évoque une époque où, dans la ville de Luanda, les climatiseurs commencent à tomber des immeubles et, parfois, comme dans le premier épisode de la troisième saison de „Fargo“, tuent un citoyen) et de conflits politiques (dans „Careless Crime“ de Shahram Mokri, où il sera question de quatre personnes qui décident d’incendier un cinéma iranien ou dans „Quo Vadis, Aida?“, de Jasmila Zbanic, autour du massacre de Srebrenica).
Parmi les (co-)productions luxembourgeoises, retenons „Les témoins vivants“ de Karolina Markiewicz et Pascal Piron, où trois témoins de la Seconde Guerre mondiale rencontrent trois étudiants luxembourgeois et immigrés, l’énigmatiquement nommé „Bad Luck Banging or Loony Porn“ (de Radu Jude, retenu pour la sélection officielle de la Berlinale 2021) où l’apparition d’une sextape va changer la vie d’une enseignante et „An Zéro – Comment le Luxembourg a disparu“, une fiction documentaire signée Myriam Toneletto et Julien Becker qui s’imagine comment le Luxembourg aura disparu du paysage après un accident nucléaire dans la centrale nucléaire qu’on sait.
Enfin, les films d’ouverture et de clôture vaudront le détour, puisqu’on y projettera respectivement „Nomadland“ (par Chloé Zhao) avec une Frances McDormand pressentie favorite pour les Oscars tant son incarnation d’une femme démunie réduite à vivre dans son van a suscité l’enthousiasme, et „There Is No Evil“ (de l’Iranien Mohamad Rasoulof), qui avait décroché l’Ours d’Or à la Berlinale l’année dernière.
Notons que nous vous invitons à consulter aussi la liste des films hors compétition et des collaborations et cartes blanches, sur laquelle nous passons ici faute de place mais où l’on retrouvera notamment Tilda Swinton dans un court-métrage de Pedro Almodóvar, Vicky Krieps aux côtés de Vincent Lacoste, qui incarne un ouvrier indépendantiste qui encourt la peine de mort dans l’Algérie des années 50 („De nos frères blessés“), Mariana Di Girolama, qui avait excellé dans Ema de Pablo Larraín l’année dernière, dans le rôle d’une influenceuse prête à tout pour gagner en notoriété („La Verónica“) ou encore Mads Mikkelsen qui, après le prof mélancolique de Drunk, incarne un soldat qui veut comprendre les circonstances de la mort de sa femme („Riders of Justice“).
Plus que périphérique
Au-delà des films classiques, il y aura également et comme d’habitude des événements à qui le terme périphérique ne rend pas justice tant ils sont devenus partie intégrante du festival. Evoquons donc brièvement le pavillon virtuel, organisé par le Film Fund et qui se déroulera en deux volets, l’un, classique, à Neimënster, où il y aura six casques VR et le deuxième, en VR to go, puisqu’on pourra louer des casques pour une durée de deux jours. Evoquons aussi l’expo, ouverte depuis aujourd’hui, au Cercle Cité, qui, sous le titre „Ready. Set. Design.“ parle du décor de cinéma au Luxembourg en surlignant la façon qu’ont eue des réalisateurs comme Max Jacoby, Bady Minck, Jacques Molitor ou encore Laura Schroeder de représenter leur pays dans des films sans omettre toutefois ce décor vénitien installé à Esch-sur-Alzette et qui fut utilisé pour tourner des films tels „The Merchant of Venice“ ou encore „The Girl with the Pearl Earring“.
Enfin, citons pêle-mêle les masterclasses avec le fameux William Friedkin et le non moins fameux Terry Gilliam, qui a promis de venir en personne au Luxembourg dès que les choses pandémiques se seront un peu calmées, les désormais incontournables „Shorts Made in/with Luxembourg“, la „Luxembourg Music Video Night“, le „Lost Weekend“ où sont projetés des courts-métrages réalisés endéans 48 heures, les événements au Casino Luxembourg et enfin, les „Industry Days“ avec pour la deuxième fois cette session où des (co)productions luxembourgeoises sont pitchées en 3’52’’. A priori donc, le virus n’aura pas eu raison de la fièvre programmatrice du comité de sélection.
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