La BNL à l’heure du numérique / „Un lieu ni de luxe, ni de loisir“
La Bibliothèque nationale dispose d’un document d’orientation baptisé Vision 2030, dans lequel le développement de l’offre numérique tient une place majeure. Son directeur, Claude D. Conter, fait un état des lieux sur les efforts de numérisation actuels et ceux futurs en termes de sensibilisation.
L’un des défis poursuivis par la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BNL) à l’horizon 2030 est d’achever la numérisation de tous les livres et les périodiques du Fonds luxembourgeois. Cela ne voudra pas dire que tous seront accessibles à distance. „Ce ne sera pas faisable pour tous les documents. Il y a des contraintes, surtout dans le domaine du droit d’auteur“ ; prévient le directeur, Claude D. Conter. Il y a des livres, sans droits, tombés dans le domaine public qui ne posent aucun problème, puis ceux sur lesquels subsistent des droits d’auteurs, mais qui sont dits „out of commerce“, car nul n’est en mesure de les fournir au public pour ces derniers, la BNL aimerait signer une convention avec Luxorr, la fédération des éditeurs et l’association des auteurs pour pouvoir proposer un service qui serait gratuit pour les utilisateurs, mais qui impliquerait une rémunération à l’usage. Pour les autres livres sur lesquels il existe des droits, il faudra trouver avec les éditeurs des solutions. Ces dernières discussions interviendraient à la fin de la période, en 2028-30.
L’accès à distance est le but ultime. „Car la recherche que l’on fait sur la littérature luxembourgeoise, on ne la fait pas qu’à Belval ou par des historiens locaux, mais également à l’étranger“, explique Claude D. Conter. Néanmoins, pour les documents qui ne peuvent l’être pour des raisons de droit d’auteur, leur version numérisée sera consultable en salle de lecture. C’est là qu’il sera possible de profiter des avantages de la numérisation, que ce soit les recherches par mot-clé (permis par le processus dit d’océrisation) ou la structuration, offre à laquelle la BNL tient plus que d’autres bibliothèques nationales et qui consiste à proposer un sommaire du document qui n’est pas disponible dans la version papier.
Un travail de titan
„Il est vrai que tout ce qui concerne le droit à l’oubli, le RGPD, nous pose évidemment des problèmes. Assez souvent, on ne tient pas compte des intérêts légitimes de la recherche“, reconnaît Claude D. Conter. La BNL se veut toutefois audacieuse et a ainsi boosté la recherche en proposant la consultation en ligne du Luxemburger Wort pour la deuxième moitié du XXe siècle (auquel s’ajoutera en 2026 le Tageblatt). Cela fut rendu possible par la conclusion d’accords avec les éditeurs et à la condition qu’il ne soit pas possible de télécharger les articles, action considérée comme une reproduction.
Il reste encore de nombreux périodiques anciens à numériser. Et le premier d’entre eux, le plus attendu aussi sans doute, est la Luxemburger Zeitung. Le recollement, qui se réalise en général en coopération avec les Archives nationales et bibliothèque du séminaire, a duré pour ce quotidien qui a compté jusqu’à trois éditions quotidiennes plus de temps que d’accoutumée. Une fois la collection complétée, la campagne de numérisation dure encore une à deux années. Il faut analyser les documents en amont pour vérifier que chaque page est en bon état et qu’il n’en manque pas, mais aussi le contrôle de qualité pour vérifier si toutes les pages sont là et que la structuration est bonne. Ainsi, le journal tant attendu sera accessible dans dix-huit sur e-luxemburgensia.
Une fois achevé le travail de titan consistant à numériser les anciens périodiques, il ne devrait plus y avoir besoin d’y revenir. Les journaux désormais livrent leurs parutions en format numérique, qu’il faut néanmoins encore structurer. Mais, il y a toutefois des documents hérités d’une époque plus ancienne, dont les scans ne sont plus suffisants et qui nécessitent un nouveau passage. C’est le cas notamment des anciennes éditions du Tageblatt, mais aussi du fonds de cartes postales dont l’océrisation permettrait dorénavant de faire ressortir automatiquement toutes les indications de lieux, d’éditeurs, sinon les correspondances elles-mêmes. Ce devrait être aussi le cas du magazine illustré des années 30 l’A-Z Luxemburger Illustrierte, particulièrement utile pour la recherche par images que la BNL est en train de développer. „La priorité est d’avoir de nouveaux contenus. Et ensuite, on va reprendre les autres“, prévient toutefois Claude D. Conter. De même, le catalogage puis la numérisation des affiches, 800 réalisées pour l’heure sur un total estimé entre 30.000 et 35.000 documents, ne sera pas achevée dans les prochaines années.
Mieux communiquer
Si la BNL multiplie les contenus et les données accessibles au grand public, il reste encore à en améliorer l’accessibilité. Le grand public doit notamment bénéficier de progrès engrangés dans le cadre de la collaboration avec les scientifiques. Ainsi, l’objectif est de faire profiter les usagers des richesses de l’indexation des articles, qui permettent d’écrémer les résultats en fonction des domaines de recherche (culture, politique, sport). Ce topic modeling a notamment été développé au sein du projet Impresso en partenariat avec l’université du Luxembourg et d’autres chercheurs.
Pour l’université, la BNL est souvent un prestataire de services qui met à disposition des données. Il y a d’ailleurs „parfois des problèmes d’attente“, quand un jeune chercheur de l’Uni s’adresse à la BNL pour des documents qui ne sont pas encore numérisés. L’université numérise alors elle-même, mais pas à un standard inférieur à celui de la BNL. „Au niveau de la politique de la recherche, il faut une plus grande conscience que la recherche ne se fait pas qu’à l’université, mais ensemble avec les instituts culturels. On pourrait travailler d’une meilleure façon si on nous associait à des projets bien plus en amont“, commente Claude D. Conter. Les chercheurs et leurs questions très concrètes sont en tout cas des „sources d’inspiration“, explique Carlo Blum, responsable du département informatique. „Si nous créons une interface dirigée plutôt vers le grand public, les chercheurs forment l’autre public important pour nous. On essaie d’agrandir les outils pour eux.“
Pour les usagers, c’est davantage la visibilité et la lisibilité de l’offre pléthorique de la bibliothèque qu’il faut améliorer. Les bases de données se sont multipliées ces dernières années. Elles donnent accès à plus de 75.000 journaux, périodiques et revues scientifiques, soit plus de 300 bases de données, plus d’un million de monographies scientifiques et plus de 115.000 livres numériques. Depuis cette année, s’ajoute l’offre de vidéos à la demande, en collaboration avec le Centre national de l’audiovisuel, soit 18.000 films complémentaires à son offre DVD. Il y a aussi les bases de données de musique. D’une part, „Il faut synchroniser les données de ces bases de données dans le site, qu’on puisse chercher le titre et non la base de données“, observe Carlo Blum. D’autre part, il faut un site internet qui permette d’„explorer une collection de façon visuelle“, poursuit-il.
On s’est consacré ces dernières années à juste titre à la qualité des données, et on doit désormais accompagner plus notre offre par une communication et une sensibilisation récurrentes, mais aussi créer d’autres outils et notamment des outils pour les flâneurs. Découvrir est une autre approche que chercher.directeur de la BNL
Il faudrait répondre aux attentes d’une nouvelle espèce: le flâneur en ligne. „On avait toujours des flâneurs dans la salle de lecture. Et les flâneurs existent également sur le web“, observe Claude D. Conter. „Je pense qu’on s’est consacré ces dernières années à juste titre à la qualité des données, et on doit accompagner davantage notre offre par une communication et une sensibilisation récurrentes, mais aussi créer d’autres outils et notamment des outils pour les flâneurs. Découvrir est une autre approche que chercher.“ Un nouveau site internet de la BNL permettra bientôt de trouver plus rapidement certains accès. Le site eluxemburgensia va lui aussi être rafraîchi.
Nous avons besoin d’une conscience politique qu’une bibliothèque n’est pas un lieu de luxe ni de loisir, mais une nécessité quotidienne pour quelque action que le citoyen entreprend. À chacune de ses questions, les bibliothèques peuvent donner une réponse.directeur de la BNL
Il faut réussir à attirer du monde vers la BNL, car beaucoup de gens n’ont pas encore pris l’habitude de s’y rendre malgré une architecture des plus réussies. En la matière, la BNL ne peut pas tout. „J’ai parfois l’impression que les gens n’ont pas encore compris qu’au XXIe siècle, dans une société qui mise beaucoup sur la connaissance, les bibliothèques ont une place. Il faut beaucoup plus de sensibilisation par exemple dans le domaine de l’enseignement. Il y a des bibliothèques dans les écoles, mais elles ne font pas partie du curriculum. Etre à la recherche de documents doit faire partie de l’enseignement, au fondamental, au secondaire, et à l’université. Nous avons besoin d’une conscience politique qu’une bibliothèque n’est pas un lieu de luxe ni de loisir, mais une nécessité quotidienne pour quelque action que le citoyen entreprend. A chacune de ses questions, les bibliothèques peuvent donner une réponse.“ Claude D. Conter pense aussi qu’il faudrait davantage partager l’idée de la bibliothèque comme un lieu où se vivent de riches émotions. Le 225e anniversaire de la BNL l’année prochaine pourrait être l’occasion idéale de mieux expliquer sa fonction.
Maison des intellectuels
Les grandes expositions sont le moyen d’attirer l’attention sur la bibliothèque, mais aussi de faire connaître ses désirs de développement. Lors du vernissage de l’exposition consacrée au compositeur et collectionneur Johny Fritz, Claude D. Conter a fait savoir que la BNL entendait être la gardienne des archives des intellectuels, en plus de celles des musiciens. Pour l’heure, le fonds des manuscrits était surtout composé de documents médiévaux, mais aussi de certains fonds comme ceux de Nik Welter. „C’est une nouvelle percée stratégique. Les bibliothèques ont des devoirs archivistiques. Depuis une vingtaine d’années, le champ des archives est en évolution. Il se précise de plus en plus. Il y a le CNL pour les auteurs et le spectacle vivant. Le MNHA a un département pour les artistes. La BNL dispose depuis 1989 du CEdom pour les musiciens du Luxembourg. Les Archives nationales sont davantage pour les archives d’hommes politiques et d’historiens. Alors, je me dis: Qu’en est-il avec les intellectuels, les journalistes, les ingénieurs? Quand je regarde autour de moi, je vois qu’on les oublie dans les autres institutions qui ont des missions spécifiques.“
Ce virage devrait être amorcé en 2024 avec un travail renforcé sur les documents éphémères, des documents imprimés sans périodicité. La BNL dispose d’une très belle collection de cartes de menus par exemple. La collection va être structurée et enrichie, car Claude D. Conter estime que „les données du futur sont les données du moissonnage du web et les documents éphémères.“ Au sujet du moissonnage qu’elle entreprend depuis 2017, la BNL est en train de développer un moteur de recherche. „Ce qui intéresse la recherche sont les documents quotidiens dont disposaient les gens, mais qu’on ne retrouve plus. Les factures vous donnent des informations très importantes sur l’histoire de l’économie, du graphisme, de la communication et bien d’autres choses“, poursuit le directeur.
Ouvrir les lundis
Une offre numérique pléthorique ne rend pas caduque les salles de lecture, même s’ils en redéfinissent en partie la fonction. „L’offre est absolument complémentaire. On atteint encore beaucoup plus de gens qui ne peuvent pas venir au Luxembourg ou dans la salle de lecture“, explique Claude D. Conter. „Il y a des gens qui veulent travailler après 20h, travailler la nuit ou à 5 h du matin. Pour eux, c’est une autre offre. Ce sont deux approches différentes de services. Ceux qui viennent ici assez souvent le font pour apprendre au calme, dans une salle de lecture qui leur plaît, parfois sans utiliser les documents.“
La salle de lecture a donc toujours de beaux jours devant elle. „On aura toujours besoin d’une salle de lecture, bien qu’on voie, comme cela s’observe au niveau international, que les usagers ont peut-être besoin de moins de documents et de plus de sièges. C’est un lieu social, où l’on se rencontre, l’on peut discuter.“ Et d’ailleurs, de nouveaux horaires d’ouverture à partir de l’année prochaine, avec une ouverture les lundis de 14 à 20 h pour répondre à une forte demande. Claude D. Conter réfléchit même à la création d’une deuxième salle de lecture à côté du bâtiment, spécialisée dans les documents patrimoniaux. Cela permettrait de laisser de nouvelles libertés (celle de boire par exemple) dans la salle principale.
Si concurrence il devrait y avoir, ce serait plutôt celle faite aux autres offres numériques et notamment aux moteurs de recherche commerciaux. La BNL apporte un gage de sérieux à l’usager. „Nous proposons un contenu sur lequel nous avons les informations, des documents que nous avons cherchés et achetés. Il y a une confiance qu’on peut inspirer à nos utilisateurs“, détaille Claude D. Conter. „Il n’y a pas l’aspect économique. Si vous faites une recherche, on ne vous propose pas un document parce qu’on aurait une convention avec les éditeurs. C’est un lieu où vous pouvez faire vos recherches et trouver une pluralité d’opinions en consultant des documents différents. C’est l’avantage de la bibliothèque par rapport aux autres acteurs qui font l’opinion.“ A l’heure des débats sans nuances, la bibliothèque a, elle aussi, des leçons à donner.
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Der Witz des Jahres.
Um digitalisierte Bücher zu lesen muss man sich in die Bibliothek begeben, während Bücher aus toten Bäumen an die halbe Welt geschickt werden.