Résistance / Un monument de papier: L’engagement des femmes enfin documenté
Résistance. Le terme est féminin et ce n’est que justice à la lecture de l’ouvrage que Kathrin Mess consacre à un chapitre essentiel et encore méconnu de l’histoire de la Résistance et de l’histoire des femmes luxembourgeoises. Par une profusion de sources, „Hier kommst du nie mehr raus“ fait ressurgir du passé les trajectoires, gestes, paroles et émotions des femmes qui ont eu le courage de s’engager contre l’occupant nazi.
„Hier kommst du nie mehr raus.“ Le titre du nouveau livre que l’historienne Kathrin Mess consacre aux femmes luxembourgeoises durant la Seconde guerre mondiale ne pouvait être qu’une des nombreuses citations qu’il recèle. Elle constitue la pensée entêtante ruminée par Joséphine Scholtes au camp de Ravensbrück, lors de pénibles travaux de terrassement effectués pieds nus, à la pelle sous un vent glacial. Kathrin Mess aurait aussi pu retenir d’autres mots, ceux d’Elise Bockler-Zigliana, fille et femme d’ouvrier de Dudelange, arrêté avec son mari en juillet 1944 pour avoir hébergé des réfractaires, laquelle aura aussi connu Ravensbrück: „Die Erinnerungen kann man nicht ausziehen wie einen Mantel.“
Dans „Hier kommst du nie mehr raus“, l’historienne Kathrin Mess se fait l’agenceuse d’une multitude d’archives qu’elle a amassées (et même pour certaines créées) depuis cette année 1997 où, doctorante à Berlin, lors d’un stage à Ravensbrück elle a découvert l’existence du journal d’Yvonne Useldinger, et avec lui le parcours de nombreuses autres Luxembourgeoises. Son livre forme une histoire chorale de l’expérience de la Résistance et de la déportation par les premières concernées. „Ziel ist es, den Frauen eine Stimme zu geben, indem sie möglichst oft selbst zu Wort kommen“, explique l’autrice. Elle a voulu que les femmes concernées y prennent le plus souvent possible la parole, pour privilégier la perspective des femmes et mettre en avant leur rôle d’agissantes.
Mais si ce livre est un événement, c’est parce qu’il éclaire l’engagement de femmes longtemps ignoré par la recherche historique comme par la mémoire collective. „Ce n’est pas une histoire de la Résistance luxembourgeoise, mais c’en est un chapitre essentiel très peu traité jusqu’à maintenant, pour ne pas dire qu’on n’en a presque jamais parlé“, convenait le vice-président de la Fondation nationale de la Résistance, Albert Hansen, au moment de la présentation du livre que cette dernière a soutenu. „Les hommes savaient quels étaient les rôles de leur femme, leur mère, leur sœur, mais ceux qui n’avaient rien à avoir avec la Résistance n’en avaient qu’une idée vague.“
„Une collection d’histoires“
Si elle a recours à des archives diverses et variées, souvent présentées pour la première fois, Kathrin Mess met toutefois en garde sur le fait qu’il ne s’agit encore là que d’un „petit et subjectif aperçu sur le vaste thème des femmes luxembourgeoises qui étaient actives dans la Résistance“. Il faut comprendre son livre comme „une collection d’histoires, avec leurs vides qui ne seront peut-être jamais comblés“, dit-elle.
Le livre se veut pédagogique et accessible à un public adolescent, à qui il s’agit de rappeler qu’il n’y a pas si longtemps encore, „l’arbitraire, la violence et la répression régnaient“. Elle recontextualise didactiquement le choix de la Résistance, pour mieux mesurer le risque encouru par les centaines de femmes qui ont eu le courage de tenter de passer entre les mailles d’une surveillance généralisée. Elle rappelle qu’après le 10 mai 1940 le quotidien était réglementé par des interdictions et prescriptions. Du jour au lendemain, des activités quotidiennes aussi banales qu’exprimer son insatisfaction face au système dominant, écouter une radio étrangère, sortir sans papiers, déménager ou changer de travail sans autorisation, ont été criminalisées. Des démarches mineures comme demander une autorisation de pêche pouvaient déclencher des enquêtes politiques. L’introduction du salut hitlérien a auguré „die Zeit des Belauerns und des Misstrauens“. A la criminalisation du quotidien, s’ajoutait la politisation de la vie familiale.
Plus il se rendait insupportable, plus le régime a engendré de résistance. Le refus de la germanisation, l’enrôlement de force et les convictions politiques étaient les trois principaux facteurs d’engagement des femmes dans la Résistance. Les résistantes étaient de toutes les catégories sociales, de tous les bords politiques, s’engageaient individuellement ou dans un réseau. Leur activité clandestine était la même que celle de nombreux résistants masculins: ravitaillement de réfractaires, aide à la fuite, transport d’armes, cache, falsification de papiers d’identité, création et distribution d’imprimés illégaux comme Die Wahrheit.
Dans un livre paru en 1985, qui fut le premier à mesurer la réelle contribution des femmes à la Résistance, Henri Wehenkel disait que les femmes à bicyclette formaient „l’arme cachée de la Résistance“. Marie Demuth était une de ces armes. Kathrin Mess commence son livre en évoquant son destin. Cette membre eschoise du parti communiste traversait le pays à vélo pour ravitailler en argent, nourriture ou même en armes des réfractaires à Wiltz. Arrêtée en août 1942, elle est transférée en janvier 1943 à Trêves puis à l’été 1943 à Ravensbrück. C’est une femme fière et forte trimballée de camp en camp, dont une codétenue, Margita Schwal-Bové, raconte comment elle apostrophait les gardes avec aplomb: „Wie viele Menschen habt ihr heute vergast?“
A travers l’histoire de Marie Demuth et de nombreuses autres, Kathrin Mess tord le cou à la représentation d’une Résistance féminine passive, selon laquelle derrière chaque homme, il y avait une femme. Derrière cette répartition fictive des taches, se cache une répartition bien réelle des genres dans la société d’avant et d’après-guerre.
Le grand nombre de délateurs rendait particulièrement difficile de ne pas tomber dans les filets de la police allemande. Kathrin Mess détaille sur plusieurs chapitres le parcours des résistantes depuis leur arrestation jusqu’à leur libération. Un parcours typique était un passage par la villa Seligmann à Esch ou la villa Pauly à Luxembourg, puis par la prison des femmes du Grund, avant un transfert dans la prison de Trêves. Là les femmes étaient dispersées dans des camps de travail de la région, dont celui de Flußbach à côté de Wittlich, qui a vu passer 300 Luxembourgeoises dont un tiers seraient ensuite déportées au camp de concentration de Ravensbrück, quand le front se rapprochait. Le livre décrit les conditions de détention, la vie dans des baraquements humides, à cinq sur des lits qui ne sont en fait que des planches sans matelas ni couverture, et la solidarité entre détenues luxembourgeoises. On y découvre les terrifiants appels, sans fin debout dans le froid, avec passages à tabac et mises à mort des plus faibles. „Ich weiß nicht, wie mir war. Ich fühlte meinen Kopf nicht mehr. Ich glaubte, mein Gehirn war eingefroren und ich hatte die Nase erfroren u. habe noch im April darunter gelitten“, témoigne Marie Brix.
Retours décevants
Kathrin Mess ne les abandonne pas à la fin de la guerre, mais suit le douloureux retour, après la libération des camps et un passage pour beaucoup par la Suède, leurs espoirs déçus d’une revalorisation du rôle des femmes et une certaine indifférence qui n’a pas aidé à endurer les conséquences physiques et morales de l’emprisonnement. Marie Demuth est une des premières à mourir en août 1945 à Esch, des suites de sa détention, durant laquelle elle a contracté la tuberculose. Son enterrement est suivi par une foule dense.
Il n’y avait d’une part pas de traitement post-traumatique qui s’offrait à elles, et d’autre part régnait une indifférence ou une incompétence de concitoyens déjà occupés à gérer leur propre souffrance. Et puis, les rescapées avaient des difficultés à communiquer ce qu’elles avaient enduré et qui ne ressemblait à rien d’autre auparavant. „Mit Sicherheit beherrsche ich die deutsche Sprache nicht gut genug, keine Sprache der Welt gut genug, um das unaussprechliche Entsetzen zu nennen, zu benennen, das uns allen in den Knochen sass, in der Seele, im Herzen und in den Gedanken, Tag und Nacht – und Nacht und Tag – und darüber hinaus“, expliquait Madeleine Bauler dans son autobiographie parue en 2002. Cette dernière se souvenait également du traumatisme vécu par sa camarade, Cécile Gwbonka, quand elle apprit à son retour que son mari avait été fusillé à Hinzert. „Noch Jahre nach dem Krieg, wenn [Cécile] deutsch sprechen hörte, begann sie haltlos zu zittern und konnte kein einziges Wort heraus bringen.“
Die Erinnerungen kann man nicht ausziehen wie einen Mantel
Détails
„Hier kommst du nie mehr raus. Luxemburger Frauen im Zweiten Weltkrieg / zwischen Widerstand, Verfolgung und Inhaftierung“
304 pages, édité par l’„Institut für Geschichte und Soziales Luxemburg“.
ISBN: 978-2-919784-03-5. Prix: 45 euros.
En librairie. Peut aussi être commandé directement auprès de l’autrice (IGSL@email.de).
Pareille difficulté à communiquer n’a pas facilité la prise en compte de la contribution des femmes à la Résistance. A la fin de son ouvrage, Kathrin Mess explique aussi l’amnésie de la société par ses tendances conservatrices qui ont triomphé durant les décennies après-guerre et assigné des femmes à un rôle traditionnel tellement incorporé par ces dernières que beaucoup renonçaient à qualifier leurs gestes d’actes de résistance.
Le problème est aussi historiographique puisqu’il aura fallu l’émergence, dans les années 70, de l’histoire orale et de l’histoire d’en bas pratiquées dans les ateliers d’histoire pour que la notion de Résistance soit élargie bien au-delà du seul recours aux armes. En fin de son ouvrage, Kathrin Mess propose deux cents biographies de résistantes. On y retrouve également quelques prisonnières catégorisées comme „asociales“ par le régime nazi. Leurs biographies sont anonymisées pour protéger leurs aïeux. Comme si cette désignation pourtant émise par un régime dictatorial avait gardé de son pouvoir infâmant alors qu’il cache potentiellement des actes de résistance. Le travail historiographique n’est pas fini. Et Kathrin Mess entend consacrer à ces dernières un prochain ouvrage. Le Fonds national de Résistance, quant à lui, confie l’existence d’un projet de publication d’un Dictionnaire de la résistance, dont l’ouvrage „Hier kommst du nie mehr raus“ a fait naître l’idée.
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