Concert / Un retour divinement réussi: dEUS à la Rockhal
Il était attendu au tournant, le retour du mythique groupe belge à la Rockhal, dont le Club affichait par ailleurs complet mercredi soir. Un peu comme Placebo à la même Rockhal il y a quelques mois, voilà un groupe qui existe depuis tellement longtemps qu’il pourrait se contenter, peu importe la qualité du nouvel album, d’enchaîner les classiques issus d’albums comme „In a Bar, Under the Sea“, „The Ideal Crash“ ou „Worst Case Scenario“ et de les garnir des quelques incontournables des ultérieurs „Vantage Point“, „Keep You Close“ ou „Following Sea“ – et hop, tout le monde est content.
Le problème (qui n’en est pas vraiment un), c’est que leur nouvel album „How To Replace It“ (voir ci-dessous) est loin d’être un tel album-prétexte, qu’on enregistre pour avoir une bonne excuse de revenir jouer sur scène et de se remplir les poches. Et comme Placebo, dEUS le montre en consacrant exactement la moitié de son concert – donc neuf morceaux – à cet album, à commencer par les trois premiers du set, qui suit très exactement la tracklist de l’album: le percutant et orchestral „How to Replace It“, suivi du rock indé de „Must Have Been Now“ et du groovy „Man of the House“.
Entre deux morceaux, le fameux Tom Barman, dont la voix, caverneuse et rocailleuse comme toujours, valait à elle seule le ticket d’entrée, précise que c’est le tout début de leur tournée, et que s’il y a encore quelques petites erreurs ça et là – on confirme – il espère que ça ira mieux en cours de soirée.
Souhait exaucé, puisqu’on sent le groupe plus à l’aise avec la suite, où il fait la part belle aux incontournables d’antan, commençant ce deuxième segment du concert avec le magnifique „Constant Now“ de „Keep You Close“, enchaînant ensuite, afin d’être sûr que le public sera conquis, avec une version déconstruite, plus jazzy, de „Girls Keep Drinking“ de „Following Sea“, retournant ensuite encore plus loin dans le temps avec „Fell Off the Floor, Man“ et „W.C.S.“, où funk, jazz et rock indé se mêlent en une joyeuse improvisation on ne peut plus maîtrisée, les musiciens se relayant au chant, le groupe, malgré la longue absence, constituant une entité organique et compacte.
Un (presque) parfait équilibre entre vieux et neuf
Après ce voyage temporel, retour au présent, avec un long segment dédié au nouvel album, où le groupe enchaîne le staccato funky de „Simple Pleasures“, la belle ballade „Dream Is A Giver“, „Pirates“, le magnifique „Faux Bamboo“ et les plus calmes „1989“ et „Love Breaks Down“, une ballade un peu mielleuse située en fin d’album, à laquelle on aurait préféré „Le Blues Polaire“, le morceau de clôture de l’album.
La différence entre ces nouveaux titres qui, stylistiquement, s’insèrent avec brio dans la setlist, se fait surtout sentir au niveau de leur exécution: là où, pour les extraits de „How To Replace It“, le groupe suit assez fidèlement les titres tels qu’ils ont été immortalisés sur l’album, la fin du concert, où l’on nous gratifiera notamment de l’excellent „Quatre Mains“, l’un de leurs rares titres sur lesquels Barman chante en français, voit le groupe prolonger ses classiques par des improvisations bruitistes – en témoigne le final „Instant Street“, mais aussi, pendant l’encore, „Bad Timing“, l’incipit de „Pocket Revolution“, dont le mur de son cathartique constituera l’apogée et la clôture d’un très bon concert.
Si Barman parle peu au public, ses rares interventions, au fur et à mesure que le groupe gagne en confiance, constituent presque des parodies de ces interventions un peu lambda auxquelles se prêtent souvent les chanteurs. Peu avant la fin du concert, il réagira aux hurlements d’un fan: „Je vois qu’on a un petit Tom Waits dans le public (imite Tom Waits en prenant exactement l’aboiement de Brian Griffin, chien de famille dans „Family Guy“). C’était du luxembourgeois ou du flamand étrange? Ah, je ne savais pas que tu parlais français. Bon, qu’est-ce que j’allais dire? Ah oui: rien du tout.“
Au-delà de ces quelques remarques ironiques, Barman se concentre sur les modulations de sa voix, qui passe par maints effets pendant que Klaas Jonzoons alterne entre mandoline, synthés et pianos, que le bassiste Alan Gevaert et le guitariste Mauro Pawlowski ainsi que le batteur Stéphane Misseghers font preuve non seulement d’une excellente maîtrise de leurs instruments mais qu’ils enrichissent le son par leurs différentes voix.
Si certains classiques comme „Suds and Soda“ ou des hits comme „The Architect“ manquaient à l’appel et que la section du milieu, consacrée au nouvel album, faisait un peu trop la part belle aux ballades, bref si six ou sept extraits de „How To Replace It“ au lieu de neuf auraient permis un meilleur équilibre entre indispensables d’antan et meilleurs morceaux du présent, force est de constater que cela faisait beaucoup de bien d’assister au retour de ce groupe mythique
Deus – How To Replace It
Premier album en plus de dix ans, „How To Replace It“ fait suite à „Following Sea“, un album publié à peine un an après le très beau „Keep You Close“ – et fut attendu avec fébrilité, tant l’influence de ce groupe culte demeure grande à ce jour.
Et c’est avec bonheur et anticipation, mais aussi avec cette crainte qu’accompagne toujours le retour d’un groupe aimé au bout de tant années – crainte que le groupe ruine sa réputation, crainte de la déception, crainte qu’on ne le reconnaisse pas, le groupe, parce qu’il a trop changé ou qu’on a trop changé, nous –, c’est donc avec une attente faite d’émotions contradictoires qu’on plonge dans l’album et que l’on retrouve la voix, reconnaissable entre toutes, de Tom Barman, qui entame ce disque avec la question: „Do you ever think/How to replace it“.
Sans savoir d’abord ce qu’il désigne par cet „it“ anaphorique, l’on se dit que non, le son de ce groupe, on ne voudrait le remplacer pour rien au monde, qui reste ici certes fidèle à lui-même, mais qui se voit conjointement enrichi par de petites nouveautés – les synthés, notamment, ont gagné en texture et en richesse, qui ornent discrètement plusieurs des nouvelles pistes comme „Faux Bamboo“, „Dream Is A Giver“ ou encore „Never Get You High“, leur conférant de subtiles nuances, les enrobant d’une contemporanéité non pas artificielle, mais juste.
Après l’incipit, orchestral et polyphone, suivent le single „Must’ve Been Now“ – du pur rock indé comme dEUS sait encore en écrire –, „Man of the House“, qui met en avant les synthés et un groove entraînant, ainsi que la ballade dream-pop „1989“, qui parachève un premier tiers d’album diablement efficace.
Les choses ne font que s’améliorer par la suite, avec le somptueux „Faux Bamboo“, dont les synthés organiques, la rythmique et la mélodie vocale en font un des points forts de l’album, et „Dream Is A Giver“, meilleure ballade d’un album qui en comporte plusieurs.
Ces deux titres plus calmes sont suivis par „Pirates“, dont l’instrumentation rappelle par moments les Wild Beasts, le jazz-funk de „Simple Pleasures“, bel exemple d’un titre que les Chili Peppers aimeraient bien pouvoir encore écrire et le réussi „Never Get You High“, qui n’aurait pas déteint sur „Keep You Close“, avant que le disque ne finisse sur un morceau de bravoure avec „Le Blues Polaire“ qui non seulement montre, après „Quatre Mains“, que Barman aurait pu poursuivre une carrière dans la chanson française contemporaine, mais qui récèle plusieurs (excellentes) chansons en une.
J’incite au passage tous les grincheux qui reprocheront au groupe d’avoir vendu leur âme en étant trop pop/orchestral, de réécouter des albums comme „Keep You Close“, où les penchants progressistes et improvisationnels du groupe furent déjà canalisés en des joyaux de pop orchestrale parfaitement ciselée.
Si „How To Replace It“ est un chouïa trop long et qu’il comporte donc quelques morceaux dispensables vers sa fin – hormis pour ceux qui ont toujours voulu savoir de quoi un titre dEUS aurait l’air si Barman chantait sur une composition digne d’Elton John, „Love Breaks Down“ est un peu too much –, ce premier album en onze ans fait espérer que le temps d’attente pour le prochain sera moins long.
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