Best of 2020 / Une année comme une gueule de bois
Epure. Ce fut pour les arts de la scène que la pandémie fut la plus dure à vivre: alors que les expositions restaient ouvertes – c’en est d’ailleurs fini, de cette liberté aussi, les musées et galeries devant fermer leurs portes, depuis cette semaine, sans que personne ou presque ne s’en soit avisé – et que chacun prônait, lors du confinement, le bonheur et le soutien que lui apportait la culture – par quoi il comprenait les livres, les séries Netflix et les films –, les concerts, les pièces de théâtre et de danse étaient annulés ou reportés. L’un des résultats est une certaine épure: là où auparavant, l’on était souvent submergé par un véritable raz de marée où s’alternaient les productions locales et internationales, cette année-ci, le nombre de pièces qu’on a pu voir reste assez raisonnable.
(Coups de) Cœur. En même temps, les véritables coups de cœur étaient assez rares, faute donc à un nombre restreint de spectacles, faute aussi à des conditions de travail sans cesse marquées par des arrêts, la promesse ou l’espoir de la relance, une reprise rendue ardue par les infections et les mesures sanitaires, bref: il était difficile de trouver un rythme, une immersion totale, faute à trop … d’intermittences. Preuve de ces difficultés à trouver l’élan, la fameuse Schaubühne berlinoise ne rouvrit ses portes que pour une inauguration fort intéressante – la nouvelle pièce de Milo Rau, Everywoman, portée par son actrice fétiche, une Ursina Lardi éblouissante comme toujours, qui parvenait à injecter une énergie féministe à cette relecture d’Everyman et à passer l’éponge sur le ton un brin pontifiant de la pièce. A peine quelques semaines plus tard, ses portes, elle dut déjà les refermer.
(Coup de) Blues. D’où un certain manque d’orientation, une déprime, l’impression que l’énergie créative se perdait en cours de route ou ne débouchait sur rien de tangible. Le début d’année paraît soudain loin, même si on se rappelle un certain malaise lors des dernières représentations d’une des pièces-phares de la saison, la très réussie adaptation d’Ivanov, avec sa scène quadrifrontale où l’on apercevait déjà quelques porteurs de masques fort avant-gardistes et où l’on surveillait avec angoisse le toussotement d’autrui – une telle proximité avec les acteurs, sur laquelle tablait la mise en scène de Myriam Muller, paraît aujourd’hui inimaginable et nous laisse espérer un retour bien rapide à la norme. Cela d’autant plus qu’on se rappelle avec une certaine nostalgie – un peu comme tout cela avait eu lieu dans un autre monde – la frénésie du début d’année, où l’on enchaînait les productions locales (à titre d’exemple, l’on peut penser à Intervention aux Casemates, à Robert(s), une pièce interactive et écologique sur l’écologie ou encore à la première mouture, inégale mais prometteuse, du cycle des Agitateurs au Centaure).
Digitalisation. Un autre résultat est le rabattement sur le streaming, qui fut un prétexte, pour beaucoup, de ressortir et de faire (re)découvrir des productions déjà montrées. Ils furent donc ou bien rares, ou alors assez lents (le format commence à percer un peu à l’étranger) à oser sortir des sentiers battus de la reprise pour véritablement exploiter le format. A Luxembourg, seule la Volleksbühn osa sauter le pas et offrit des versions courtes, hebdomadaires, de classiques du théâtre. Le principe fut aussi audacieux que démocratique: le public votait, par Internet, le spectacle qu’il voulait voir et l’équipe promettait de mettre en scène, de façon volontairement désinvolte, la pièce élue. C’était certes anecdotique et d’un amateurisme technique assumé, mais dans le jeu avec les cadres et la loufoquerie assumée pointait la possibilité d’en faire quand même quelque chose, de l’ère digitale. C’est cette même ère digitale qui fut éclairée de façon critique dans AppHuman de Ian De Toffoli (dans une mise en scène de Sophie Langevin): comme Kervern et Delépine le firent dans Effacer l’historique, De Toffoli y brosse le portrait au vitriol d’une société post-humaine, où l’homme a abdiqué toute responsabilité et où les machines ont pris la relève.
Retards. Annoncée dès juin, la relance culturelle fut peut-être entamée trop tard – un certain esprit de fonctionnaire s’étant emparé du milieu culturel, celui-ci n’a pas repris, comme il aurait pu le faire, fin juin, mais a jugé crucial de se reposer en été, alors qu’on aurait pu y planifier des spectacles en plein air, solution qui s’imposait pourtant quand on savait que le risque d’infection, dehors, en été, était au plus bas et que la situation empirerait à nouveau en automne. Quand on finit par reprendre véritablement, les spectateurs vécurent deux mois (octobre et novembre) riches en pièces reprises, reportées puis à nouveau annulées. Les productions intégrèrent parfois, souvent un peu maladroitement, des masques afin de commenter une actualité dont on pressentait pourtant qu’elle les dépassait et qu’on n’avait eu ni la distance ni le temps de réflexion nécessaire pour formuler quelque chose de substantiel à l’égard de cette nouvelle donne sociétale. Exception louable, Jacques Schiltz et Claire Wagener, les metteurs en scène d’Amadeus, ont entamé une piste de réflexion en admettant avoir abandonné l’idée d’un pastiche ironique sur les rivalités de la scène culturelle ou théâtrale et d’opter pour une production plus directe, qui chanterait la solidarité en temps de pandémie.
(En parlant de) Solidarité. Celle qu’on vit se développer entre les théâtres, indispensable puisque les petits théâtres n’auraient jamais pu jouer dans leurs salles, fut touchante. Mais après avoir assisté aux productions du Centaure, du TOL et des Casemates sur les scènes du Kinneksbond et du Grand Théâtre, on a quand même pu vérifier que ce qui nous touche dans ces salles, c’est leur intimité – nous manque la salle à sens unique et un brin labyrinthique du Centaure, nous manque aussi la sempiternelle bouteille de bière que quelqu’un fait tomber aux Casemates, nous manque enfin la scène vide, encore jonchée d’accessoires, qu’on traverse vite fait pour nous immiscer dans le boyau de la petite cage d’escaliers qui nous fait atteindre le petit bar au premier étage du TOL. Quant au projet de commandes de texte lancé par les Théâtres de la Ville et le Kinneksbond, ils débouchèrent sur quatre soirées-binômes intéressantes quoique mitigées, le concept en lui-même – la scénographie unique, la lecture scénique – n’ayant pas toujours permis de vraiment plonger dans les huit univers pourtant prometteurs que développaient les textes. Et, ironie du sort, le dernier volet du projet a déjà été victime des nouvelles fermetures – et se voit donc reporté en 2021.
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