Art contemporain / Une galerie qui s’expose
A Esch-sur-Alzette, l’artiste plasticien Serge Ecker transforme un tunnel vide en sculpture à la surface pleine … de souvenirs.
Comment porter témoignage de vestiges du passé industriel désormais loin des regards? Comment remettre au cœur de la cité le souvenir de lieux tels que le réseau souterrain de galerie que les lois de la propriété privée et de la sécurité rendent inaccessibles aux hommes et à leurs mémoires? Avec „Passages“, l’artiste plasticien Serge Ecker a trouvé une parade astucieuse à l’oubli, en recourant au scan 3D. En 2019, déjà à l’aide de la même technique, sur un mur du Lycée Hubert Clément d’Esch, il avait reproduit en acier Corten et en low poly un front de taille d’une mine à ciel ouvert. Cette fois, c’est une ancienne galerie qu’il matérialise au Bridderhaus.
Réseaux multiples
Le projet est né dans le cadre de la biennale d’art contemporain 2024 et du projet porté par Elektron, dédié aux réseaux numériques. Serge Ecker a pensé au réseau de galeries qui reliait les sites d’extractions aux usines de transformation. Il a songé en particulier à un tunnel construit par l’Arbed, une galerie dédiée au transport, connectée à des galeries d’exploitations de minerai de fer, qui permettait de transporter le minerai de Rumelange et de Kayl vers l’usine à Esch. Son arrière-grand-père l’a emprunté. Il desservait l’usine où travaillait son grand-père à l’usine. Il s’y baladait lui-même dans sa jeunesse. C’est donc aussi une histoire familiale, de filiation, qui est à l’origine du projet „Passages“.
L’idée a rencontré pleinement le thème du réseau parce qu’après l’exploitation industrielle, le tunnel a gardé sa capacité de mettre en réseau. Quand Rumelange a été relié au câble de télévision, c’est cette galerie abandonnée qui est apparue comme la meilleure solution pour y faire passer le câble. Aujourd’hui, c’est un réseau apprécié par les sept espèces de chauves-souris qui y vivent et par la tribu des explorateurs urbains que sont les urbexeurs. Une voie de tram et des pistes cyclables y ont déjà été projetées sans que cela n’aboutisse. Autrement dit, c’est plusieurs strates de réseaux, de couches de signification géologiques, sociologiques, écologiques, que Serge Ecker convoque dans „Passages“. „Ce sont des traces souterraines, invisibles du dessus, qu’on oublie, mais qui parlent d’une histoire, qui a des connexions partout“, dit-il. „Ce sont des traces physiques d’un monde et d’une époque disparues.“
Je voulais en quelque sorte capturer le tunnel et le matérialiser dans l’espace, combler son videplasticien
La dimension numérique, c’est l’artiste plasticien lui-même qui l’apporte, par le recours au scan 3D. Le numérique chez lui n’est pas la finalité mais le moyen de passer d’une trace à sa matérialisation. „Ce qui m’intéresse est de prendre une information, d’en capturer une trace, de la digérer par le digital, puis de la rematérialiser en créant une structure, une sculpture“, explique-t-il. „Dans le cas présent, je voulais en quelque sorte capturer le tunnel et le matérialiser dans l’espace, combler son vide.“ ll a travaillé, pour ce faire, d’une nouvelle manière. Ce n’est pas à un appareil photo, comme par le passé, mais à un scanner, tenu devant lui comme une torche, qu’il a dû recourir pour obtenir une version 3D de ce tunnel de 1.800 mètres.
Le calme du tunnel
Il a fallu ensuite faire un gros travail de nettoyage des données. Ensuite, pour ce qui est de la sculpture, c’est la question de la matière qui s’est posée. Serge Ecker avait d’abord pensé l’imprimer en métal ou créer un moule pour y couler la fonte, mais ces procédés auraient été trop coûteux. Il a opté pour un matériel plastique ressemblant à la fonte. La prochaine équation à résoudre était celle de la présentation de l’installation, dans l’espace d’exposition du Bridderhaus. Pour lui, il était évident qu’il fallait être fidèle à l’ambiance du tunnel, sombre et calme, en colmatant les fenêtres qui laisseraient sinon passer trop de lumière. Il a ramené de sa pérégrination souterraine une lampe, qui est suspendue au plafond par des crochets eux-mêmes ramenés de la mine.
A côté de la sculpture, Serge Ecker présente un dispositif à trois niveaux. Il s’agit d’une carte en relief, sous laquelle est suspendue une reproduction réduite du tunnel à l’endroit où il passe, et à un niveau inférieur une carte topographique. L’installation apparaît d’autant plus minimaliste qu’il côtoie des œuvres numériques plus technologiques et criardes, dans un espace voisin. Elle n’a été augmentée que par une balade à la surface le 20 juillet, en compagnie du préposé forestier Daniel Sannipoli et de l’urbexeur historien Jeff Piticco – suivie d’une présentation de documents et de vidéos par Serge Ecker au Spektrum de Rumelange.
Une observation précise de la sculpture permet d’identifier quelques particularités telles que le passage de la faille géologique qui va de la France aux Pays-Bas et qui a nécessité un renforcement de la galerie à cet endroit. On peut voir aussi les traces des différentes époques d’aménagement, et notamment les plus modernes aux deux extrémités. La même sculpture à une échelle plus grande permettrait d’en découvrir encore davantage de détails. Cela pourrait surtout constituer sinon un monument – Serge Ecker trouve le terme trop pompeux – tout du moins une évocation du passé industriel originale, qui pourrait aisément s’insérer dans l’espace public.
Infos
L’exposition de Passages est accessible jusqu’au 29 septembre les vendredis et samedis de 14 h à 18 h au Bridderhaus (1, rue Léon Metz à Esch-sur-Alzette). Serge Ecker sera présent sur place le dernier jour.
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